UN NOUVEL ART: LE CINÉ-OPÉRA

DOMINIQUE FERNANDEZ
DOMINIQUE FERNANDEZ
Le reproche le plus légitime qu’on pouvait faire à l’opéra, ce n’était pas le ridicule des livrets ou l’invraisemblance des situations, mais le prix des places. Deux cents euros, un dixième de salaire. Voici cette injustice réparée : l’opéra n’est plus un art de classe, réservé à un parterre de rombières ou de touristes japonais. Pour trente cinq euros vous pouvez assister à une représentation, en direct, d’un opéra filmé. Attention : la caméra ne se plante pas devant le spectacle, comme il arrivait autrefois, de manière statique et impersonnelle, mais filme le spectacle, de façon à vous en donner une version cinématographique originale. Vous avez deux arts en un : d’une part un opéra, d’autre part un film. Si le metteur en scène a du talent, il réalise un film quasiment indépendant de l’opéra. Le montage, les gros plans, les plans de coupe font une œuvre à part. Ainsi, dans La Fanciulla del West, de Puccini, qu’il avait conçu comme un opéra western, j’ai vu un western autant qu’entendu un opéra. Le chœur des cow-boys qui réclament du whisky à la tenancière cessait d’être une troupe amorphe de figurants, pour devenir un tableau réaliste, à la Le Nain ou à la Courbet, animation du vivant en plus. Les progrès de l’acoustique sont tels que la qualité du son est parfaite. Et cette nouvelle façon de représenter un opéra a deux avantages. Les chanteurs sont forcés de devenir acteurs : ils ne peuvent plus débiter leur air comme un robinet...

Le reproche le plus légitime qu’on pouvait faire à l’opéra, ce n’était pas le ridicule des livrets ou l’invraisemblance des situations, mais le prix des places. Deux cents euros, un dixième de salaire. Voici cette injustice réparée : l’opéra n’est plus un art de classe, réservé à un parterre de rombières ou de touristes japonais. Pour trente cinq euros vous pouvez assister à une représentation, en direct, d’un opéra filmé. Attention : la caméra ne se plante pas devant le spectacle, comme il arrivait autrefois, de manière statique et impersonnelle, mais filme le spectacle, de façon à vous en donner une version cinématographique originale. Vous avez deux arts en un : d’une part un opéra, d’autre part un film. Si le metteur en scène a du talent, il réalise un film quasiment indépendant de l’opéra. Le montage, les gros plans, les plans de coupe font une œuvre à part. Ainsi, dans La Fanciulla del West, de Puccini, qu’il avait conçu comme un opéra western, j’ai vu un western autant qu’entendu un opéra. Le chœur des cow-boys qui réclament du whisky à la tenancière cessait d’être une troupe amorphe de figurants, pour devenir un tableau réaliste, à la Le Nain ou à la Courbet, animation du vivant en plus.

Les progrès de l’acoustique sont tels que la qualité du son est parfaite. Et cette nouvelle façon de représenter un opéra a deux avantages. Les chanteurs sont forcés de devenir acteurs : ils ne peuvent plus débiter leur air comme un robinet débite l’eau (tel se comportait un Pavarotti), ils sont désormais engagés dans l’action et doivent se conduire en acteurs. Les chœurs doivent se bouger au lieu de se contenter d’ouvrir la bouche. Chacun des cowboys de La Fanciulla avait une existence particulière, une individualité, on les reconnaissait, ce qui était impossible avant. Être filmés en direct et en gros plans les obligeait à soigner leur gestuelle.

Le second avantage, immense si l’on s’intéresse au chant, c’est qu’on voit de près le travail physique des chanteurs ; les gros plans montrent de
près les mâchoires, les lèvres, les mouvements de la bouche, le jeu des muscles faciaux, jusqu’à l’intérieur de la bouche, jusqu’à la glotte. On mesure l’effort, on apprécie la victoire sur les difficultés, avec autant de claire évidence qu’on suit les passes de cape du torero dans une corrida. Le contre-ut conclusif, c’est l’estocade finale. Si l’actrice ou l’acteur sont beaux, c’est un régal supplémentaire. Évidemment, s’ils sont vilains, le dommage est sensible. Tel ténor, dans Les Indes galantes de Rameau, était affreux à voir ; et l’on ne comprenait pas pourquoi la jolie Émilie préférait son amant à grosse tête commune au beau sultan turc Osman qui la retenait captive.

Le cinéma est impitoyable : il accentue les défauts comme les qualité physiques des chanteurs. Telle verrue sur le menton, qu’on n’apercevait pas quand on était dans la salle, choque lorsqu’on vous la met sous le nez. En revanche, quel émerveillement de voir de près, dans Madame Butterfly, l’héroïne de Puccini consumer ses beaux traits dans l’interminable attente ! Il est probable qu’avec le développement du ciné-opéra les chanteurs seront forcés de soigner leur apparence. La tendance était déjà amorcée, avec la disparition progressive des grosses dondons jouant aux jeunes enamourées. On sait que la première, à Venise, de La Traviata, fut un fiasco, parce que Violetta, la brillante courtisane, supposée aguicheuse avant de mourir de phtisie, pesait cent vingt kilos. Callas, en maigrissant, avait donné le signal. Aujourd’hui, au cinéma, il serait tout à fait impossible d’émouvoir avec un physique d’éléphant. Peut-être la nature, prise de pitié, fera naître beaux tous ceux qui seront amenés à se produire devant une caméra.

Elle a commencé ce travail de restauration des chanteurs en nous présentant dans le Roméo et Juliette de Gounod le couple aussi séduisant à voir qu’enthousiasmant à entendre, de Aida Garifullina et de Juan Diego Flórez. Un grand opéra d’amour, un grand film d’amour.

DOMINIQUE FERNANDEZ, de l’Académie française

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