Un peintre des Pays-Bas en haut de la Butte. Van Dongen, les années montmartroises.

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[vc_row][vc_column][vc_column_text] Camille Lévêque-Claudet [/vc_column_text][vc_column_text] Dans le cadre de la saison culturelle néerlandaise en France, le Musée de Montmartre consacre une exposition aux premières années de la carrière parisienne de Kees van Dongen (1877-1968) en mettant l’accent sur son bref passage au légendaire Bateau-Lavoir, rendu notamment célèbre par Picasso qui y peint Les Demoiselles d’Avignon en 1906-1907. « Jusqu’au début de l’Occupation, Paris a été le lieu saint de notre temps. Le seul. […] Paris était alors le lieu unique où l’on pouvait fondre les différentes tendances et les mener à la maturité, où l’on pouvait agiter le cocktail « moderne » de psychologie viennoise, sculpture africaine, romans policiers américains, néo-catholicisme, technique allemande, nihilisme italien. Paris était l’Internationale de la culture », écrit le poète et critique américain Harold Rosenberg au début de la Seconde Guerre mondiale. Le désir de Paris, désir que nourrissent des motifs d’ordre culturel, artistique, social ou politique, prend la forme du rêve à réaliser puis d’un séjour déterminant, enfin d’une installation définitive. C’est la trajectoire suivie par Van Dongen. Le jeune artiste débarque pour la première fois dans la capitale en juillet 1897. Jusque-là, il a peint, dans des tons sombres, des paysages de sa Hollande natale et des portraits de ses proches, il a réalisé de nombreux dessins violemment colorés des rues chaudes du port de Rotterdam. Hésitant encore entre la clarté et l’ombre, Van Dongen opte déjà pour des contrastes violents et une simplification des formes comme dans son premier autoportrait, peint à l’âge de dix-huit ans,...

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Camille Lévêque-Claudet

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Dans le cadre de la saison culturelle néerlandaise en France, le Musée de Montmartre consacre une exposition aux premières années de la carrière parisienne de Kees van Dongen (1877-1968) en mettant l’accent sur son bref passage au légendaire Bateau-Lavoir, rendu notamment célèbre par Picasso qui y peint Les Demoiselles d’Avignon en 1906-1907.

« Jusqu’au début de l’Occupation, Paris a été le lieu saint de notre temps. Le seul. […] Paris était alors le lieu unique où l’on pouvait fondre les différentes tendances et les mener à la maturité, où l’on pouvait agiter le cocktail « moderne » de psychologie viennoise, sculpture africaine, romans policiers américains, néo-catholicisme, technique allemande, nihilisme italien. Paris était l’Internationale de la culture », écrit le poète et critique américain Harold Rosenberg au début de la Seconde Guerre mondiale. Le désir de Paris, désir que nourrissent des motifs d’ordre culturel, artistique, social ou politique, prend la forme du rêve à réaliser puis d’un séjour déterminant, enfin d’une installation définitive. C’est la trajectoire suivie par Van Dongen.

Le jeune artiste débarque pour la première fois dans la capitale en juillet 1897. Jusque-là, il a peint, dans des tons sombres, des paysages de sa Hollande natale et des portraits de ses proches, il a réalisé de nombreux dessins violemment colorés des rues chaudes du port de Rotterdam. Hésitant encore entre la clarté et l’ombre, Van Dongen opte déjà pour des contrastes violents et une simplification des formes comme dans son premier autoportrait, peint à l’âge de dix-huit ans, où il pose à contre-jour devant une fenêtre. Debout, les mains dans les poches de son pantalon et le menton relevé, dans une attitude presque conquérante, le peintre montre qu’il est prêt au défi. Pendant son premier séjour parisien de près d’une année (juillet 1897-avril 1898), Van Dongen se consacre au dessin et à l’aquarelle, prenant pour sujets les laissés-pour-compte, les marginaux et les prostituées, un choix qui révèle ses préoccupations sociales et anarchisantes. La découverte pour lui des dessins de Théophile-Alexandre Steinlen est d’ailleurs une véritable révélation : en prise directe avec la société, les illustrations de l’artiste suisse, qui paraissent chaque semaine dans le supplément littéraire du Gil Blas, lui donnent la mesure du véritable impact social du dessin. De retour à Rotterdam, Van Dongen arpente plus que jamais le quartier chaud de Zandstraat avec ses bordels et ses cafés. Il croque marins, travailleurs, ouvrières et prostituées à coups de traits et de contours vagues.

Grâce à une collaboration avec le journal Rotterdamsch Nieuwsblad auquel il fournit des illustrations, l’artiste mène une vie plus aisée à Rotterdam que dans la capitale française. Mais Paris l’attire comme un phare. Van Dongen y retourne à l’automne 1899 avec l’intention de s’y établir définitivement avec son épouse Guus Preitinger. C’est à Montmartre que le couple s’installe, d’abord pour quelques semaines au 5 rue Ordener, avant de rejoindre le 10 impasse Girardon. Sur recommandation de Steinlen, qui avait à son tour découvert son talent d’illustrateur, L’Assiette au beurre achète à Van Dongen plusieurs dessins. En octobre 1901, il est même chargé d’illustrer un numéro entier – Petite histoire pour petits et grands enfants– sur le sort d’une mère et d’une fille condamnées, l’une comme l’autre, à se prostituer. Il entame également des collaborations étroites avec des journaux tels que Frou-Frou et  Gil Blas, puis avec La Revue blanche, qui s’entoure alors des artistes les plus novateurs – Bonnard, Vuillard, Vallotton – ainsi que des meilleures plumes – Proust, Gide, Claudel et Apollinaire. Par un coup de crayon décisif, par un recours à une stylisation poussée et par l’emploi de la couleur, Van Dongen parvient à transmettre à la fois ses sensations personnelles et les passions humaines.

Au Salon d’Automne de 1904, où il présente six toiles et à la galerie Vollard qui lui organise sa première exposition particulière en novembre de la même année – cent vingt-cinq œuvres ! –, le don de coloriste de Van Dongen fait sensation. On loue sa touche vigoureuse qui fait vibrer la lumière et les couleurs éclatantes de ses tableaux, des vues du Sacré-Cœur ou de Paris depuis les hauteurs de Montmartre ainsi que des scènes de la vie nocturne sur la butte. On applaudit l’étranger qui a troqué ses teintes typiquement nordiques d’Hollandais pour une palette résolument moderne et parisienne. Van Dongen exploite, comme Van Gogh, l’un de ses « maîtres », les possibilités expressives de la couleur en évitant la division systématique « pointilliste » chère à Seurat et à Signac. Il étale ses couleurs en une avalanche de confettis dodus ou applique directement au couteau la peinture sur la toile, ce qui fera écrire à Félix d’Anner dans L’Intransigeant du 28 mars 1905 « M. Metzinger, pointilliste en confettis gros comme des pièces de dix sous ; M. Signac, comme des pièces de vingt ; M. Valtat, comme des pièces de cent ; M. Van Dongen enfin, par tubes entiers ». Le paysage à peine vallonné qu’il a sous les yeux à l’été 1905, alors qu’il séjourne à Fleury-en-Bière, un village à la lisière de la forêt de Fontainebleau, lui inspire des peintures de ciels d’azur sur un horizon bas et de scènes agricoles inondées de lumière, une lumière dont l’éclat est rendu par une pluie dense de traits et de points. Exposés à la galerie Druet à l’automne, ces tableaux lui valent d’être comparé à Van Gogh. Éloge ultime.

Si les deux peintures que Van Dongen envoie au Salon d’Automne de 1905 ne sont pas accrochées dans la fameuse salle des « Fauves », elles témoignent de la nouvelle orientation de son œuvre et de sa contribution au fauvisme : la figure humaine, saisie à mi-corps, isolée sur un fond uni, renoue avec un modelé que le divisionnisme avait abandonné. Elle retrouve une solidité qu’un cerne répété souligne. Le visage est fardé de taches de couleurs qui le construisent. La couleur n’est ni pure ni criarde ni détonante comme chez Matisse ou Derain, la lumière n’est ni puissante ni envahissante. La violence vient d’ailleurs, du cerne, du contour qui suit la forme, épais, irréguliers, colorés, se multipliant à certains endroits comme des ondes, transformant la figure en une apparition lumineuse.

En décembre 1905, Van Dongen s’installe au Bateau-Lavoir, très certainement à l’invitation de Picasso qui y résidait depuis avril 1904. Il connaît déjà ce lieu, foyer de l’anarchie et de la bohème, des arts et des lettres, dont l’atmosphère exaltante le séduit. Van Dongen délaisse les bas-fonds pour les théâtres, les cafés-concerts et le cirque. Comme Picasso, il est fasciné par la féerie du cirque et tous deux se rendent assidûment aux représentations du Cirque Medrano. Van Dongen fixe sur les pages de son carnet de croquis les traits des acrobates, des clowns et des écuyères mais surtout il est captivé par la lumière qui vient jouer sur leurs corps, qui les fait vibrer, qui accompagne leurs mouvements dans l’espace. L’artiste traduit les effets de l’éclairage des lampes à acétylène sur les corps et les visages par une manière outrancière conférant parfois à ses tableaux un caractère dérangeant. Il cerne ses figures de contours colorés. Son écriture picturale se fait large et appuyée. Dans ses nus de 1906, notamment ceux peints après avoir admiré au Salon des Indépendants de 1906 Le Bonheur de vivre de Matisse, modèle de synthèse et d’utilisation pure de la couleur et de la ligne, Van Dongen pousse encore plus loin sa manière qu’il qualifiera de primitive – par provocation, il déclarera faire un art de « nègre blanc » –, entourant les corps de ses modèles de larges bandes de couleurs très marquées. Avec cette intensification des tons, il propose avec audace une alternative à l’abstraction cubiste de Braque et Picasso. Les larges aplats de couleurs, les contrastes appuyés, la prédilection pour une technique « hirsute », la simplification décorative et la forte présence de ses modèles forcent le respect.

Entre-temps, Van Dongen avait déjà quitté le Bateau-Lavoir, avait passé par Rotterdam pour six mois avant d’emménager dans un appartement au nord de la Butte, rue Lamarck. Un peu plus d’un an plus tard, à l’automne 1909, il s’éloigne de Montmartre pour prendre ses aises dans le quartier des Folies-Bergères. Nouvelle notoriété. À Paris son art alors essaime les galeries et les marchands : Bernheim-Jeune, Kahnweiler, Duret, Georges Petit. L’artiste vend et reçoit des commandes. Il est présent à l’étranger, à Moscou, à la Berliner Secession de Berlin et fréquente Die Brücke à Dresde. Nouveau quartier. Van Dongen rejoint Montparnasse avant de s’installer dans les cossus XVIe puis XVIIe arrondissements de la capitale. Son atelier, où il donne de fastueuses réceptions, est désormais l’endroit où il faut être vu. Nouvelle vie. Son amour d’alors, Léa Jacob, l’introduit dans le monde parisien de la mode et des célébrités des années folles. Van Dongen devient le peintre mondain par excellence. Nouveaux modèles. Les acteurs de ses tableaux changent, les vedettes, mannequins et starlettes du music-hall font leur entrée. L’artiste peint une femme libre et fatale, campe son corps longiligne dans des poses gracieuses au sein d’intérieurs opulents. Cette dernière n’a pas la profondeur expressive des femmes qu’il peignait dix ans auparavant mais la peinture du « Van Dyck des nouveaux riches » comme on peut le lire sous la plume de la critique des années vingt, conserve toute sa force, celle des effets de couleurs inédits et d’une touche large assumée.

[/vc_column_text][vc_column_text]Sélection des illustrations :

* Autoportrait, 1896
* Moulin-Rouge ou le Promenoir (Au café), vers 1904
* Lieuses, 1905
* Chinagri (danseuse), 1906
* Fernande Olivier, 1907
(optionnel) Ma gosse et sa mère, vers 1907-1908
* Portrait de Madame Marie-Thérèse Raulet, vers 1925-1930[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

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