Viva Cuba !

Cuba 01
Agnès Vannouvong Cuba, le pays de tous les paradoxes. La ville incandescente, les nuits tropicales, la musique collent d’emblée aux stéréotypes. Faites l’expérience, dites à voix haute, je vais à Cuba et les yeux s’allument. L’île est porteuse d’un imaginaire puissant dont s’inspirent les artistes. Dès l’aéroport, les Pontiac, les Chevrolet, les façades colorées, les cigares, les palais décadents témoignent d’une époque. Splendeurs et misères d’un passé révolutionnaire. La Habana Vieja ne se laisse pas facilement cueillir, elle peut se montrer inhospitalière mais une fois domptée, on ne veut plus la quitter. On veut retourner à l’ultra local bar Galeria El Dandi et manger des langoustes à la Casa chez Fragnol. Comment sentir frémir une capitale autrement que par ses artistes ? L’Alliance française de La Havane me présente des photographes et une peintre. Je visite leur atelier et comprends que le travail sur le camouflage, les conflits, la peur, le corps, la sexualité dévoilent non pas une esthétique commune mais un message caché sur le pouvoir et la domination. Adonis Flores explore la mémoire et l’expérience de la guerre en Angola. Il se met en scène, héros d’une histoire politique chargée, la langue assortie à sa tenue d’ancien soldat au milieu d’un champ de pâquerettes. La violence en héritage est aussi une thématique de Marianela Orozco qui photographie les corps malmenés, la main clouée, le ventre troué. La crucifixion n’est jamais loin, la radicalité aussi. Rocio Garcia peint non sans humour la virilité, façon Genet ou Fassbinder. Elle met à...

Agnès Vannouvong

Cuba, le pays de tous les paradoxes. La ville incandescente, les nuits tropicales, la musique collent d’emblée aux stéréotypes. Faites l’expérience, dites à voix haute, je vais à Cuba et les yeux s’allument. L’île est porteuse d’un imaginaire puissant dont s’inspirent les artistes. Dès l’aéroport, les Pontiac, les Chevrolet, les façades colorées, les cigares, les palais décadents témoignent d’une époque. Splendeurs et misères d’un passé révolutionnaire. La Habana Vieja ne se laisse pas facilement cueillir, elle peut se montrer inhospitalière mais une fois domptée, on ne veut plus la quitter. On veut retourner à l’ultra local bar Galeria El Dandi et manger des langoustes à la Casa chez Fragnol.

Comment sentir frémir une capitale autrement que par ses artistes ? L’Alliance française de La Havane me présente des photographes et une peintre. Je visite leur atelier et comprends que le travail sur le camouflage, les conflits, la peur, le corps, la sexualité dévoilent non pas une esthétique commune mais un message caché sur le pouvoir et la domination. Adonis Flores explore la mémoire et l’expérience de la guerre en Angola. Il se met en scène, héros d’une histoire politique chargée, la langue assortie à sa tenue d’ancien soldat au milieu d’un champ de pâquerettes. La violence en héritage est aussi une thématique de Marianela Orozco qui photographie les corps malmenés, la main clouée, le ventre troué. La crucifixion n’est jamais loin, la radicalité aussi. Rocio Garcia peint non sans humour la virilité, façon Genet ou Fassbinder. Elle met à l’honneur l’esthétique de la bande-dessinée et privilégie la force narrative du triptyque.

Es complicado est un leitmotiv. La vie n’est pas facile. On ne parle pas politique et pourtant, elle est partout, sur les étales vides des supermarchés, chez les artistes dont la stratégie d’évitement permet de ne pas nommer frontalement un régime dictatorial. Obama est passé par là, et Trump aussi. Le quotidien des plasticiens est une lutte, on importe de Miami la peinture, les pinceaux, les toiles, on se débrouille, le «système d» s’érige en économie parallèle et permet néanmoins de tisser des liens humains dont l’Europe devrait s’inspirer. Ça boit des mojitos, ça peint. La jeunesse voudrait partir, certains risquent leur vie sur des radeaux de fortune, mais tous ne rêvent pas d’exil. La jeunesse veut être libre, avoir accès à Internet, voyager.

Dans le quartier de Vedado, on me parle de la Fabrica de Arte, une ancienne usine, un lieu incontournable avec ses expositions, ses performances, ses concerts. L’écrivain que je suis observe, sculpte le réel, je me dis c’est fou, on se croirait à Berlin ou à New York, je me dis aussi que les revers de la mondialisation uniformalisent les lieux dédiés à l’art.

Au Gran Hotel Manzana Kempinski, avec sa vue sur le Palais des Beaux-Arts et le bar le Floridita fréquenté par Hemingway, je sens la ville vibrer. J’ai soudainement envie de m’échapper. Cap vers le sud, direction Trinidad. Plein feu sur la verte nature. Un taxi collectif et la mer des Caraïbes s’offre dans un écrin. El Secreto est une Casa particular, une adresse délicieuse dotée d’un patio qui donne à voir les peintures du père artiste et les sculptures de sa fille. On peut acheter des œuvres, des gramophones, des horloges sans âge. Dehors, les galeries chantent la gloire commerciale du Che et de Fidel Castro. Mais ici, l’art est dans la nature splendide. Je m’offre une équipée sauvage dans les collines de la ville coloniale à cheval, me perds dans les ruelles écrasées de lumière. Trinidad, comme tu es belle !

Après la magie, retour à La Havane. Du vingtième étage au-dessus du Malecon, dans mes nuits de solitude et de jetlag, j’observe une mer immobile. Rares sont les bateaux autorisés à quitter les côtes. En face, Miami comme un mirage. Cuba, tu es si étrange, si vivante. Cuba, tu es un oxymore, un régime rigide dans la douceur des tropiques.

Adonis Flores & Marianela Orozco seront en résidence au Centre Intermondes à La Rochelle à l’automne 2018 et à la FIAC.

Agnès Vannouvong est romancière. Elle vit à Paris et travaille à Genève.

 

  1. Vue sur La Habana depuis le Vedado
  2. Les voitures américaines, au pied du Gran Hotel Manzana Kempinski La Habana
  3. Les rues de Trinidad
  4. La reconstruction, La Habana Vieja
  5. Père & fille dans le Vedado
  6. Marianela Orozco, Post it, 2013
  7. Rocio Garcia, El bar, 2003
  8. Façade sur le ciel de La Habana Vieja
  9. Adonis Flores, Oratoria, 2007, 67,5 x 90 cm
  10. Palais décadent dans le Vedado
  11. Les murs colorés de La Habana

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