WOLFGANG LAIB DES HAÏKUS MYSTIQUES DANS L’ESPACE

Wolgang Laib en train de disposer son œuvre Pollen de pin © 2017 Hartmut Nägele
Wolgang Laib en train de disposer son œuvre Pollen de pin © 2017 Hartmut Nägele
[vc_row][vc_column][vc_column_text] C’est une lumineuse invitation à la méditation que nous tend le LAC à Lugano. Nourri de spiritualités orientales et de romantisme allemand, Wolfgang Laib a disposé comme autant d’offrandes à la Nature ses pollens, ses cires d’abeille, ses laques et ses pierres de lait. D’emblée, on se prend à retenir son souffle. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre du saisissement, de l’ineffable et de l’envoûtement métaphysique. Un alchimiste serait-il passé par là ? Rien de plus simple et de plus familier que les matériaux dont Wolfgang Laib s’approprie pour les disposer dans l’espace : du lait, du riz, du pollen, de la cire d’abeille, des pierres… Et pourtant, ils irradient tout l’espace alentour, renvoient à un audelà du visible et dégagent un étrange pouvoir. L’artiste, lui, se défend de les transformer : « La nature et la beauté sont une même chose. Je ne peux rien créer d’aussi beau que la nature. Par mon art, j’ai la chance d’y participer. J’en suis le messager : la Nature parle pour moi. » Ces matériaux, il se contente donc de les amener dans l’espace du musée et de les y installer dans les mises en forme minimales d’une géométrie élémentaire universelle : des ronds, des carrés, des triangles, des cônes, des pyramides, des alignements et des escaliers qui ne mènent nulle part sinon vers le haut, un petit peu plus haut. Et ces simples gestes, infiniment répétés : cueillir, tamiser, verser, remplir, entasser, aligner… Humblement pratiqués avec...

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C’est une lumineuse invitation à la méditation que nous tend le LAC à Lugano. Nourri de spiritualités orientales et de romantisme allemand, Wolfgang Laib a disposé comme autant d’offrandes à la Nature ses pollens, ses cires d’abeille, ses laques et ses pierres de lait.

D’emblée, on se prend à retenir son souffle. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre du saisissement, de l’ineffable et de l’envoûtement métaphysique. Un alchimiste serait-il passé par là ? Rien de plus simple et de plus familier que les matériaux dont Wolfgang Laib s’approprie pour les disposer dans l’espace : du lait, du riz, du pollen, de la cire d’abeille, des pierres… Et pourtant, ils irradient tout l’espace alentour, renvoient à un audelà du visible et dégagent un étrange pouvoir. L’artiste, lui, se défend de les transformer : « La nature et la beauté sont une même chose. Je ne peux rien créer d’aussi beau que la nature. Par mon art, j’ai la chance d’y participer. J’en suis le messager : la Nature parle pour moi. » Ces matériaux, il se contente donc de les amener dans l’espace du musée et de les y installer dans les mises en forme minimales d’une géométrie élémentaire universelle : des ronds, des carrés, des triangles, des cônes, des pyramides, des alignements et des escaliers qui ne mènent nulle part sinon vers le haut, un petit peu plus haut. Et ces simples gestes, infiniment répétés : cueillir, tamiser, verser, remplir, entasser, aligner… Humblement pratiqués avec patience, accomplis comme des exercices de méditation, sont si miraculeusement justes et inspirés qu’ils suffisent à opérer leur transmutation et à en faire les instruments d’une communion avec la nature et la terre nourricière.

Wolgang Laib en train de disposer son œuvre Pollen de pin © 2017 Hartmut Nägele
The Five Mountains not to climb Pollen de noisetier, hauteur 7 cm Collection privée © 2017 Hartmut Nägele
Wolfgand Laib disposant son œuvre The Rice Meals © 2017 Hartmut Nägele

Avec son crâne chauve, son doux sourire, sa fine silhouette, ses petites lunettes rondes et ses habits de lin, le sculpteur allemand a des airs de bonze zen ou de moine tibétain. Mais rien d’élaboré dans sa posture, pas d’affectation new age branchée: dès son plus jeune âge, le petit Allemand (né en 1950 à Metzingen) a très régulièrement suivi ses parents médecins dans le sud de l’Inde où ils étaient les parrains d’un village et d’un dispensaire. Des parents qui, accessoirement, étaient aussi de grands collectionneurs d’art minimaliste. C’est dans ce balancement entre l’Orient et l’Occident que leur fils a trouvé son équilibre et ses maîtres à penser : les versets du Tao et Nietzsche, Lao Tseu et Schopenhauer. Déçu par les études de médecine qu’il avait entreprises mais qui se bornaient à soigner le corps sans prendre en compte l’âme, il s’est tourné vers l’art parce qu’il « inclut tout, de la philosophie à la médecine. Parce qu’il est l’ici et le maintenant ». Entré en art comme on entre en religion, il le pratique en ascète porté par une quête de pureté et d’absolu.

BOLS DE RIZ, PLAQUES DE MIEL ET LARMES DE LAIT

Aujourd’hui encore, très loin des frénésies du marché de l’art mais très recherché par les musées et les collectionneurs, Wolfgang Laib partage sa vie entre son ermitage isolé du sud de l’Allemagne et l’Inde du sud qu’il rejoint trois mois par an, sans parler de ses voyages en Iran, en Afghanistan, en Turquie ou en Extrême-Orient. Il parle l’hindi et le sanscrit. « L’Inde porte quelque chose d’universel pour notre âme. Mais mon background allemand demeure très important. Par exemple, mes pierres de lait peuvent être considérées dans la perspective du romantisme allemand, tout en évoquant une question très universelle ». Mystique, imprégné de sagesses orientales et de spiritualités philosophiques, il rejette toute appartenance religieuse quelle qu’elle soit. Mais chaque création d’œuvre est pour lui une forme de rite de vibrante célébration de la vie. « Je crois en l’art, ce qui est une manière de croire en Dieu ».

Les œuvres de Wolfgang Laib ne s’arrêtent pas à leurs formes et couleurs. C’est aux cinq sens qu’elles en appellent, faisant de l’exposition un lieu d’immersion et d’expérience totale, à la fois physique et métaphysique. L’odorat est le premier sens sollicité : miel et pollen remplissent l’espace de leurs effluves. L’ouïe n’est pas en reste, tant le silence est présent, presque palpable. Le toucher, bien qu’ interdit de séjour dans l’espace muséal, est sollicité par la douceur poudreuse du pollen, la fluidité du lait, le granulé du riz, les translucidités ambrées du miel, la dureté brillante des laques. Le goût, lui aussi, demeure virtuel, mais les papilles n’en sont pas moins mises en éveil par les bols de riz, les plaques de miel ou les larmes de lait…

UNE ASCÈSE DE VIE

Dans le champ de l’art contemporain, Laib est souvent rattaché au Land art et à l’art minimal. Des liens existent, mais assez vagues et finalement plutôt lointains. Certes, une part importante de ses matériaux est directement issue de la nature, mais au-delà de ses longues marches à travers prés et bois pour récolter ses pollens de noisetier, de pin, de mousse et de pissenlis, ce n’est -contrairement à la grande majorité des land artistes- jamais en extérieur qu’il leur donne forme et vie. Et si ses formes sont parfaitement nues et dépouillées, la composante industrielle et non-subjective de la sculpture minimaliste n’y a pas sa place. Pour lui, le minimalisme est ailleurs, et il est bien plus

Es gibt kein Anfang und kein Ende, 1999 Cire d’abeille et structure en bois 620 x 130 x 570 cm, collection privée © 2017 Hartmut Nägele
Vue d’une salle de l’exposition du MASI © 2017 Hartmut Nägele

que cela : il en a fait « une ascèse de vie ». Tels des haïkus dans l’espace, ses formes minimales puisent également au vocabulaire symbolique universel qui est aussi vieux que le monde, à l’architecture religieuse et funéraire des grandes civilisations anciennes, voire aux simples offrandes de fleurs et de fruits des temples hindous. Il réinvente même des rituels qui leur ressemblent, comme avec ses « Pierres de lait » desquelles il verse chaque jour quelques gouttes de lait sur la surface légèrement incurvée.
L’homme et l’œuvre demeurent décidément rétifs aux étiquettes de l’art. Pour autant, le cueilleur de pollen considéré comme symbole de l’éternel renouveau de la nature, ne joue pas les créateurs à part, vierges de toute référence. Il se réfère même explicitement à ses mentors : Joseph Beuys et Mario Merz. Le premier pour son côté chamane et le second pour son attention fertile aux matériaux pauvres et dérisoires. Deux particularités qu’il a fait siennes.
Et la question du monochrome que l’on évoque souvent devant ses immenses tapis de pollen blond ? Bien sûr la quête d’absolu qui habite les toiles de Malevitch ou de Rothko ne lui sont pas étrangères, mais chez lui la couleur n’en est ni le sujet ni le but. Elle n’est que la résultante de ses choix de matériaux, même si la manière dont ces derniers sont mis en scène finit par donner à leur couleur une importance essentielle. Avec le léger flou de leur matière poudreuse et cette manière qu’ils ont d’irradier une lumière qui semble venir de l’intérieur d’eux-mêmes, ses carrés de poussière jaune soufré évoquent de fascinants Rothko en pollen.

DANS SON TEMPS ET HORS DU TEMPS

Deux autres traits de l’œuvre de Laib le relient aussi à des pratiques récurrentes dans l’art contemporain même si, loin de les inventer, celui-ci les a réactualisées à sa manière : le goût de l’éphémère et le sens de la répétition. Laib conjugue avec une subtilité consommée l’extrême concentration et la lenteur d’exécution qu’exige la réalisation de ses pièces avec la brièveté d’existence de certaines d’entre elles, tels ses pollens qui, à l’instar de pièces de musique, sont « rejoués » à chaque nouvelle exposition, en re-

Rice House À gauche : 2000-2001, marbre blanc et riz, 47 x 57 x 156 cm Collection privée À droite : 2011, marbre blanc et riz, 45 x 55 x 215 cm, collection privée © 2017 Hartmut Nägele

lation étroite avec le lieu où ils se déploient. Depuis trente ans et plus, avec les mêmes gestes, les mêmes matières et les mêmes formes, il les réinterprète infiniment, comme une incantation, mais jamais deux fois de la même manière : « Champ de pollen », « Pierres de lait », « Maison de riz », « Chambre de cire », monumentales ziggourats en cire d’abeille, escaliers en laque de Birmanie, montagnes miniatures en pollen ou en riz. Dans notre monde qui n’en finit pas de se transformer, il éprouve ce besoin de retrouver et de ritualiser des signes de permanence et de beauté. Le rapport à la beauté d’un certain art contemporain le laisse perplexe : « La beauté est bourgeoise ? Quelle drôle d’idée ! J’ai essayé de participer à la mise en forme de belles choses… Et c’est ma plus grande chance. » L’artiste est à la fois de son temps et hors du temps, d’aujourd’hui et de toujours. Dans la douceur lumineuse et recueillie de son art, l’éthéré s’allie au tactile, le spirituel au sensoriel et le sacré à l’humilité du quotidien.

NOTA BENE
Wolfgang Laib, LAC Lugano, Museo d’arte della Svizzera italiana (MASI) Jusqu’au 7 janvier 2018

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