Yves Dana d’Héphaïstos à Athéna

Dès l’arrivée, un saisissant contraste de pierres : sur les hauteurs de Lausanne, dans le magnifique parc Mon-Repos, voisinent la sévère façade grise du Tribunal fédéral et celle, combien plus avenante avec ses pierres jaunes ocre, de l’Orangerie construite en 1823 par l’architecte parisien Leclère. C’est ici, depuis 1987, que travaille Yves Dana.Et le visiteur n’est pas mécontent d’avoir affaire ici plutôt que là;d’autant que l’homme qui émergesoudain de la petite porte basse, sabots et tablier blanchis par la poussière de pierre, semble sympathique. Il l’est, et pour le bonheur complet dudit visiteur, excellent cuisinier en sus. Mais l’heure n’est pas – pas encore – à ce genre de plaisirs. L’atelier, vaste et lumineux, est parsemé de formes souvent oblongues et dressées à la verticale, qui semblent dialoguer les unes avec les autres. Avec humour, Dana a enfilé ses disques de meules usagés – il les garde tous – sur trois mâts, et ces trois mâts font songer eux-mêmes à une sculpture. Une robuste mezzanine accueille deux douzaines de sculptures de moindres dimensions, certaines en fer. Point d’escalier: on y accède par un curieux siège biplace suspendu au treuil électrique que Dana utilise pour manœuvrer ses blocs. Le visiteur, heureux comme un gosse, aura son petit voyage aérien.Yves Dana sculpte depuis toujours ou presque. Dans son adolescence, il rassemble puis assemble des rebuts et des objets divers, qui forment des compositions hétéroclites, animées et sonores. Ces premières œuvres ne sont pas dénuées d’intention critique, et le jeune homme entreprend d’ailleurs...

Dès l’arrivée, un saisissant contraste de pierres : sur les hauteurs de Lausanne, dans le magnifique parc Mon-Repos, voisinent la sévère façade grise du Tribunal fédéral et celle, combien plus avenante avec ses pierres jaunes ocre, de l’Orangerie construite en 1823 par l’architecte parisien Leclère. C’est ici, depuis 1987, que travaille Yves Dana.
Et le visiteur n’est pas mécontent d’avoir affaire ici plutôt que là;d’autant que l’homme qui émergesoudain de la petite porte basse, sabots et tablier blanchis par la poussière de pierre, semble sympathique. Il l’est, et pour le bonheur complet dudit visiteur, excellent cuisinier en sus. Mais l’heure n’est pas – pas encore – à ce genre de plaisirs. L’atelier, vaste et lumineux, est parsemé de formes souvent oblongues et dressées à la verticale, qui semblent dialoguer les unes avec les autres. Avec humour, Dana a enfilé ses disques de meules usagés – il les garde tous – sur trois mâts, et ces trois mâts font songer eux-mêmes à une sculpture. Une robuste mezzanine accueille deux douzaines de sculptures de moindres dimensions, certaines en fer. Point d’escalier: on y accède par un curieux siège biplace suspendu au treuil électrique que Dana utilise pour manœuvrer ses blocs. Le visiteur, heureux comme un gosse, aura son petit voyage aérien.Yves Dana sculpte depuis toujours ou presque. Dans son adolescence, il rassemble puis assemble des rebuts et des objets divers, qui forment des compositions hétéroclites, animées et sonores. Ces premières œuvres ne sont pas dénuées d’intention critique, et le jeune homme entreprend d’ailleurs des études de sociologie. Parenthèse vite refermée, car c’est l’École supérieure des arts visuels, à Genève, et plus précisément l’atelier de Gérard Musy, enseignant le travail du fer, qui détermineront pour les quinze ans à venir son cheminement artistique. Le vacarme, les odeurs, les éclairs envoûteront littéralement Dana, qui parle de «rapt par le feu». De ces quinze années de combat – il travaille le «fer direct», avec un marteau et une enclume – sortiront plus de 180 sculptures.Mais c’est un sculpteur de pierre qui accueille aujourd’hui le visiteur. Nulle trace d’enclume ou de marteau, non plus que de poste à souder. Ils sont à la cave, parmi des sculptures en fer aux formes tourmentées, qu’ils ont créées dans le bruit et la douleur. Désormais silencieux.Silencieuses, les sculptures d’aujourd’hui le sont aussi, mais ce n’est pas le même silence. Les pierres choisies par Dana ne sont pas des pierres tendres, familières; ce sont presque toutes des pierres dures – diabase, pierre de Lunel, serpentine, basalte: toutes ont un parfum d’éternité. Le visiteur se remémore des Sekhmet de diorite verte, des Isis sombres, noires et lisses entrevues dans de sombres cryptes, ou sous l’éclat d’un soleil aveuglant.

Il est vrai que Dana est allé en Égypte, six mois passés au Caire en 1996, dans une maison accueillant les artistes, près du site de Saqqarah. Il est vrai que ce séjour fut primordial. Mais ce serait se tromper que de croire que ce pays de pierre eut sur son travail une influence formelle. Car ce voyage en Égypte est un voyage intérieur, une étape dans son cheminement artistique et personnel. Ses parents sont originaires d’Alexandrie, et si ce n’est pas l’occasion de revoir un pays natal dont il ne conserve aucun souvenir, c’est à coup sûr, parvenu à trente-six ans, l’âge d’un retour sur soi, d’un retour en soi.Six mois de solitude, de dépaysement, de silence, loin de l’agitation de l’Occident, loin aussi du bruit assourdissant du marteau sur la plaque de métal. Dana expérimente une nouvelle matière, le plâtre. De cette matière douce, docile, il tirera la série des stèles, soixante en tout, qui seront par la suite, à son retour, coulées en bronze – on ne quitte pas comme ça un amour de quinze ans…C’est en 1999 que Dana produit ses premières œuvres en pierre. Exode I et II sont des bronzes tirés d’originaux en plâtre. Mais Exode III et IV sont en granit noir de Belgique. En 2002, il arrête le travail du fer, pour seconsacrer entièrement à cette nouvelle matière. Nouvelle sculpture, pourrait-on dire, tant la violence du marteau semble loin à présent. C’est d’écoute qu’il s’agit maintenant, et de maître du fer, il est devenu serviteur de la pierre.Ainsi le parcours de Dana peut-il se lire – pense le visiteur – comme un beau chemin d’homme: des sculptures de sa jeunesse, «à la Tinguely», agissantes et engagées, moins personnelles aussi car moins originales, puis le fer, le combat du fer martelé, sans cesse soumis à nouveau et toujours rétif, pour arriver enfin à la pierre, qu’il écoute, qu’il caresse, qu’il révèle à elle-même autant qu’à lui.Dana n’est pas un artiste démiurgique, il y a renoncé, et comme d’autres – coïncidence ou pérennité des grands schèmes – ce choix de sagesse il l’a fait au désert. Pourrait-on dire – malgré l’importance de son œuvre: plus de 350 sculptures– qu’il apprend à sculpter ? Je ne pense pas que cela lui déplairait, à lui qui se dit plus sculptant que sculpteur. Peut-être un jour – peut-être – Yves Dana posera-t-il ses outils et s’assiéra-t-il, longtemps, pour écouter, pour regarder. Et ce rien ne sera pas vide, mais au contraire plénitude de l’homme et de l’œuvre.

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