Présentée par la Galerie Boléro à Versoix, sur la riviera vaudoise, la collection privée d’Inge et Francis Clivaz révèle pour la première fois un ensemble d’œuvres de Hans Erni, le plus populaire des artistes suisses du 20ème siècle. Du jamais vu à découvrir dès le 29 septembre.
De son imagerie qui puisait dans un helvétisme fantasmé représentant cette suissitude paisible, de ces fresques remplies de personnages nus inspirés de l’Antiquité, de chevaux, de colombes pour la paix, l’exposition de la collection privée d’Inge et Francis Clivaz présentée à la Galerie Boléro met d’abord l’accent sur les lithographies qui ont notamment illustré les précieux livres d’art des Editions Gonin. « Une œuvre gravée importante pour les amoureux de bibliophilie, qui exprime le lien fort qu’Hans Erni a entretenu avec la littérature », indique Olivier Delhoume que l’édition passionne depuis toujours. Ce médiateur, artiste, auteur et photographe consacre toute son énergie à promouvoir les arts au centre culturel Boléro qui, sous sa gouverne depuis son ouverture en 2015, rayonne désormais au-delà des frontières.
Le livre rare, c’est aussi la source d’une fidèle amitié, dès les années 1960, entre Francis Clivaz et l’artiste lucernois. Ils se rencontreront, grâce à André Gonin, après une visite dans l’atelier de Pietro Sarto, peintre et graveur installé au bord du Léman, dont l’inspiration littéraire éclaire les multiples explorations. « Ce fut la première fois que j’assistais à la production d’un ouvrage illustré par Erni, raconte le collectionneur. Je reste impressionné par la force de l’homme, sa virtuosité et la puissance de son trait de crayon. » Au-delà de l’admiration, l’un et l’autre partageront des valeurs humanistes et la passion de l’Afrique. Une passion qui passera pour Erni par ses voyages avec l’ethnologue suisse Jean Gabus en 1950-1951, qui donneront naissance à une vaste production de dessins de « reportage ».
L’artiste pour tous, mais malmené
Aux côtés de ces lithographies de grand format, tirées sur parchemin, papier vélin ou à la cuve, l’exposition se fait l’écho du legs immense de cet artiste lucernois disparu en 2015, à l’âge de 106 ans. Peintre, graveur, auteur d’œuvres murales, il est le chantre d’un nouvel art public marqué au sceau d’une qualité communicative redoutable, positive et immédiate. Ce grand imagier dont la vocation fut de parler en direct au plus grand nombre reste sans nul doute l’artiste du siècle dernier le plus présent dans la vie des Suisses. Seule la mort a stoppé plus de 80 ans de production, déclinée en affiches politiques ou culturelles, en illustrations, en médailles et timbres-poste, en fresques monumentales comme celle réalisée en 2009 sur le mur des Nations Unies à Genève qui exhorte les peuples à la paix. Une œuvre significative de son art qui, relève Olivier Delhoume, « a fait basculer l’art académique dans la modernité ».
Lui qui a côtoyé les avant-gardes du XXe siècle, a reçu l’influence des cubistes – Braque et Picasso -, s’est intéressé à l’abstraction de Kandinsky, Arp, Henry Moore, et au surréalisme naissant de Miro, a finalement réalisé, dès les années 1940, une synthèse virtuose entre l’abstraction de ses fonds informels et ses représentations figuratives magistrales.
Ses sympathies communistes– il était très proche de l’intellectuel marxiste lucernois Konrad Farner -, auront des effets désastreux durant la Guerre froide sur le marché de l’art et de la commande publique, qui le contraindront malgré tout à chercher ses débouchés dans l’Amérique du maccarthysme.
L’auteur de l’immense peinture murale « La Suisse, pays de vacances des peuples » réalisée pour l’exposition nationale de 1939 devient ainsi un « traître à la patrie ». Il se verra dans le même temps retirer la commande de nouveaux billets de banque suisses représentant une Helvétie paysanne, mais aussi ingénieuse et savante. L’ostracisme perdurera jusqu’aux années 1960. « Erni en a souffert, mais en silence », glisse Olivier Delhoume. Dès 1980, tous les dix ans, la Fondation Gianadda lui consacre une vaste exposition. Au vernissage de 2008, il recevra les excuses officielles de Pascal Couchepin.
Hans Erni : un trait, plus graphique que pictural, reconnaissable entre tous. Un trait, ébloui d’idéalisme et de foi dans le progrès, qui n’a cessé de sonder les interférences entre l’homme et son univers. L’artiste reste toutefois encore trop mal connu, emprisonné qu’il est dans sa figure de « peintre fédéral ». L’exposition inédite qui nous attend à la Galerie Boléro contribue à révéler les talents multifacettes du plus populaire des artistes suisses du XXe siècle.
Viviane Scaramiglia
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Hans Erni (1909 – 2015)
- 21 février 1909 : naissance à Lucerne
- 1927 : Dessinateur en bâtiment, il entre à l’Ecole des arts appliqués de Lucerne
- 1928 – 1930 : Formation artistique à l’Académie Julian à Paris, puis à Berlin.
- Ses influences sont clairement cubistes au travers de Braque et de Picasso
- 1937-1938 : Il adhère au groupe Abstraction-Création, à Londres.
- A cette époque, il découvre l’art de l’antiquité, dont les traces de plus en plus claires apparaîtront dans son œuvre
- 1939 : Sa grande fresque « La Suisse, la destination de vacances des peuples » pour l’Exposition nationale de Zurich le rendra célèbre.
- L’expérience du national-socialisme de la Seconde guerre le conduit au marxisme. Les autorités helvétiques le boycottent jusqu’à ce qu’il se détourne du communisme en 1956, lorsque Budapest se révolte au nom de la liberté.
- Après-guerre, son génie éclate. Auteur d’une abondante production privée, il privilégie toutefois les techniques à vocation publique, dont les arts graphiques (affiches, illustrations) et les réalisations monumentales (peinture murale, relief, mosaïque).
- De nombreux organismes et collectivités en Suisse et à l’étranger le sollicitent, dont l’ONU et le CIO.
- En 1979, il ouvre son propre musée à Lucerne qui abrite quelque 300 œuvres
- Son amitié avec Léonard Gianadda le conduit à réaliser plusieurs œuvres monumentales, dont le Minotaure, 1999, à Martigny.
- En 2009, Erni centenaire continue de créer presque chaque jour dans son atelier lumineux sur les hauts de Lucerne.
- Le 21 mars 2015, il meurt à Lucerne, sa ville natale.
Récompenses :
- 1928 : Prix de l’Académie Julian, Paris
- 1968 : Prix cultuel de la ville de Lucerne
- 1983 ; Médaille de la Paix de l’ONU
- 2008 Life Time Award, prix Suisse récompensant l’œuvre de toute une vie