Nicolas de Staël, Musée d’art moderne de la Ville de Paris

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Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris propose une rétrospective forte de deux cents œuvres entre tableaux, dessins, gravures et carnets du peintre mort en 1955, à quarante-et-un ans. Une œuvre d’une rare finesse, en équilibre entre abstraction et figuration, qui a vu le jour en à peine plus de quinze années d’activité. Nicolas de Staël a quatre ans seulement quand sa famille, fuyant la Russie en révolution, échoue en Pologne. Déjà sans patrie, l’enfant se retrouve orphelin en 1919, à l’âge de six ans. Confié par sa marraine à une famille russe d’origine sarde, les Fricero, il déménage en Belgique. Descendant d’une grande lignée aristocratique germano-balte (c’est un lointain parent de Madame de Staël), Nicolas de Staël commence son existence en ayant tout perdu: pays, fortune et parents. Son itinéraire est dès le début celui d’un arraché de la société. La peinture va être pour ce grand dépressif un parcours vital, nécessaire – le seul Salut, la seule issue. Après des études secondaires en humanités classiques, le jeune Staël choisit de se consacrer à l’apprentissage de la peinture à Bruxelles, où il s’inscrit à l’École des Beaux-Arts. Puisqu’il n’a pas de racines, que rien ne le retient en Belgique, après son diplôme, il décide de voyager: il sillonne le sud de la France, l’Espagne à bicyclette en compagnie d’un ami puis le Maroc et, enfin, l’Italie. Lors de ces voyages, il étudie avec passion les grands maîtres. Toute sa vie, Staël gardera cette passion pour le voyage...

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris propose une rétrospective forte de deux cents œuvres entre tableaux, dessins, gravures et carnets du peintre mort en 1955, à quarante-et-un ans. Une œuvre d’une rare finesse, en équilibre entre abstraction et figuration, qui a vu le jour en à peine plus de quinze années d’activité.

Nicolas de Staël a quatre ans seulement quand sa famille, fuyant la Russie en révolution, échoue en Pologne. Déjà sans patrie, l’enfant se retrouve orphelin en 1919, à l’âge de six ans. Confié par sa marraine à une famille russe d’origine sarde, les Fricero, il déménage en Belgique. Descendant d’une grande lignée aristocratique germano-balte (c’est un lointain parent de Madame de Staël), Nicolas de Staël commence son existence en ayant tout perdu: pays, fortune et parents. Son itinéraire est dès le début celui d’un arraché de la société. La peinture va être pour ce grand dépressif un parcours vital, nécessaire – le seul Salut, la seule issue. Après des études secondaires en humanités classiques, le jeune Staël choisit de se consacrer à l’apprentissage de la peinture à Bruxelles, où il s’inscrit à l’École des Beaux-Arts. Puisqu’il n’a pas de racines, que rien ne le retient en Belgique, après son diplôme, il décide de voyager: il sillonne le sud de la France, l’Espagne à bicyclette en compagnie d’un ami puis le Maroc et, enfin, l’Italie. Lors de ces voyages, il étudie avec passion les grands maîtres. Toute sa vie, Staël gardera cette passion pour le voyage et le dépaysement, échappées qui fourniront autant de nouveaux sujets pour sa palette, de la Sicile à la mer du Nord, de la Côte d’Azur à la Normandie. Il ne s’installe à Paris qu’en 1938, après avoir rencontré sa première épouse au Maroc un an auparavant, une peintre française prénommée Jeannine Guillou. Elle mourra tragiquement à la suite d’un avortement en 1946. Il ne reste pratiquement aucune œuvre de cette première période de formation, résolument figurative et classique. Staël passe les années d’Occupation entre Nice et Paris. C’est alors que l’Europe est à feu et à sang qu’il va éclore artistiquement. En 1942, il s’essaie pour la première fois à l’abstraction: c’est pour lui une bouffée d’oxygène, il découvre une voie qui va lui permettre d’explorer le monde à sa manière. C’est à ce moment que commence véritablement sa carrière de peintre. C’est aussi la première année pour laquelle on conserve un nombre conséquent de toiles de sa main: satisfait, il ne les a pas détruites, comme celles des années précédentes. Les compositions abstraites de 1942 ont quelque chose de Kandinsky, avec des jeux géométriques composés de formes telles des lames, en équilibre sur des fonds crépusculaires. Comparé à ce qui vient dans les années suivantes, on sent qu’il ne s’est pas encore trouvé un style personnel. En même temps qu’il peint ces toiles abstraites, Staël exécute également des œuvres figuratives, des paysages mêlant cubisme et fauvisme.

Ces tableaux de l’année 1942 illustrent déjà la singularité de l’artiste: celle d’être à la fois un peintre abstrait et un peintre figuratif. Chose rare, surtout dans les années d’après-guerre, alors que l’abstraction devient le nouveau mouvement d’avant-garde, encouragé par les critiques, les institutions et même favorablement accueilli par le public et les collectionneurs. Après-guerre, ou bien l’on est abstrait, ou bien l’on est figuratif – et, dans ce dernier cas, généralement considéré comme réactionnaire. Staël se distingue et refuse même de choisir un camp, ne voulant appartenir à aucun mouvement. Il passe constamment de la figure à l’abstrait, sans se fermer aucune porte, alimentant une vision avec l’autre. Pour lui, les deux vont de pair. Il affirme que «les tendances non figuratives n’existent pas» et que «le peintre aura toujours besoin d’avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d’inspiration qu’est l’univers sensible». Il dénigre même les peintres abstraits parisiens, parlant à leur sujet du « gang de l’abstraction avant» en référence au Gang des Tractions Avant, célèbre bande de malfrats de l’après-guerre. Pourtant, nombre de ses toiles apparaissent, à l’œil du spectateur, comme totalement informelles. À partir de 1942, Staël se met à peindre comme un forcené et passe d’une phase à l’autre en un rien de temps, se renouvelant constamment, si bien qu’il est difficile de réduire sa peinture à une analyse univoque. On peut néanmoins reconnaître des caractéristiques stylistiques communes à toutes les périodes: qu’il peigne le réel ou des compositions abstraites, il favorise des fonds neutres desquels se dégagent des motifs faits de touches larges et orthogonales, comme des briques ou des tesselles de mosaïque, qu’il allonge et amincit parfois jusqu’à n’en faire plus que des soupirs, ou bien les agence les unes aux autres comme les pierres dans un mur pour bâtir des tableaux qui ressemblent à des maçonneries. Les effets de matière et de texture sont omniprésents, l’artiste peignant au couteau et à la spatule – sauf à la toute fin de sa vie. Du point du vue des sujets, Staël opère une simplification à l’extrême des motifs, comme une essentialisation, afin de transcrire des sensations profondes. Quand il y a figuration, c’est-àdire un sujet (un paysage, un objet), on dirait qu’il cherche à réduire le motif à son plus petit dénominateur possible, juste avant qu’il ne se dissolve dans l’abstraction pure. Il en découle que les tableaux figuratifs de Staël possèdent une dimension très personnelle tout en revêtant une portée résolument universelle, touchant la sensibilité de tout un chacun. Sa peinture est généralement posée et silencieuse et même si elle peut être puissante et intense elle ne se développe pas dans la gestualité et la spatialité, comme chez Hans Hartung, Georges Mathieu ou Judit Reigl à la même époque. Dans la deuxième partie des années quarante, les compositions de Staël s’organisent autour de bâtonnets de peinture qui se répartissent dans tout l’espace de la toile, engendrant des grilles serrées, peintes dans des tons sombres. À la fin de la décennie, sa palette s’éclaircit tandis que les grilles s’ouvrent, les compositions se relâchent et commencent à respirer.

Au cours des années cinquante, il y a presque autant de périodes que d’années. Comme si l’artiste savait qu’il n’allait pas tarder à en finir avec luimême. Vite, il faut se dépêcher! En 1950, il peint des compositions dont la caractéristique est d’être condensées, concentrées: elles dénotent un travail lent, patient. Il y a des stratifications faites d’étalements, de débordements et de recouvrements minutieux qui sentent la peinture à pleins poumons. Le but avoué est d’essayer de faire le plus simple possible. Les coloris sont atténués, comme dans Grande composition bleue. L’année suivante, en réaction, il explore la voie opposée: l’éclatement, l’explosion des formes, la fragmentation. Cela donne des tableaux très matiéristes, remplis de pavés de peinture éclatants. En 1952, nouveau changement: il revient à la figure. Cette année-là, il peint la bagatelle de deux cent-quarante œuvres. Des paysages, dont beaucoup peints sur le motif. Le 26 mars 1952, Staël assiste au match de football France-Suède au Parc des Princes, à Paris: c’est une révélation. Il écrit à son ami René Char : « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en tout oubli de soi. Quelle joie, René, quelle joie.» De retour à l’atelier, il peint une quinzaine d’œuvres qui retranscrivent en touches rectangulaires agencées les unes aux autres différentes situations du match, capturant le mouvement, l’effort physique et les couleurs vives des équipes s’affrontant sur le terrain. Se concentrant sur les deux équipes aux prises l’une avec l’autre, Staël s’intéresse ici à la vitesse des joueurs, là à la décomposition de leurs mouvements ou ici encore aux duels et corps à corps qui font que les formes et les maillots se confondent quasiment. Certaines compositions frisent l’abstraction, avec des formes allusives qui se mêlent presque avec le fond, comme dans le monumental Parc des Princes, plus grand tableau de la série (200 x350cm). Ses paysages de l’année 1954 comptent parmi les sommets de son art. La touche s’aplanit, les concrétions et empâtements, les bourrelets de matières s’effacent et, même si les effets de texture ne disparaissent pas complètement, de grandes zones de couleur simplement apposées en aplats surgissent parfois, telle la bande rouge en partie supérieure de Marseille. S’en dégage un effet de profondeur magnétique digne de Rothko. Dans un apparent paradoxe, le peintre parvient à tirer le maximum de vérité d’un motif en réduisant au minimum son apparence réaliste.

À partir de septembre 1954, installé à Antibes, les peintures de Staël respirent la sérénité et l’émerveillement de l’artiste devant chaque motif que lui offre son quotidien – du plus majestueux avec ses marines méditerranéennes au plus simple quand il peint les objets de son atelier ou des natures mortes, comme Le saladier. La couleur est plus diluée, la surface se fait plus soyeuse alors qu’il remplace le couteau et la spatule par le coton et des tampons de gaze afin d’étaler délicatement la matière sur la toile. Nicolas de Staël, tombant amoureux de Jeanne Mathieu, une femme mariée qui réside à Nice, s’essaie même au nu. Pourtant le 16 mars 1955, il se suicide en se précipitant du toit de son atelier alors qu’il peignait comme un enragé depuis plusieurs mois (rien que le dernier mois de sa vie, il a peint trois cent-cinquante toiles). Comme ses derniers tableaux l’illustrent particulièrement bien, on devine rarement, à contempler les toiles et dessins de Nicolas de Staël, la trace du drame de son existence, de ce mal-être qui l’a conduit à se donner la mort mais aussi à peindre mille cent œuvres en quinze ans (chiffre qui ne tient pas compte de celles qu’il a détruites). La rétrospective du musée parisien se garde bien d’ailleurs d’interpréter l’œuvre à l’aune de la biographie tourmentée de l’artiste, tentation à laquelle ont succombé bien des critiques et des historiens au cours du temps. La peinture avait pour Staël une vertu thérapeutique, peindre sans relâche était certainement le seul moyen qu’il avait de se rendre la vie à peu près supportable. Mais bien plus que son état mental, ce sont des questionnements de pur peintre réfléchissant sur les possibilités de son art qui expliquent l’originalité de son œuvre et ses recherches incessantes. Sa peinture reste un peu à part des mouvements dominants des années quarante-cinquante tout en s’insérant parfaitement dans les orientations artistiques d’après-guerre. Comme l’a écrit Jean-Louis Prat «entre une abstraction qui n’a pour elle que le nom et une figuration qui n’illustre qu’imparfaitement le réel, Nicolas de Staël a exploré jusqu’à l’épuisement le vrai domaine de la peinture dans son essence et son esprit». En emmenant le réel vers l’abstrait et l’abstrait vers le réel – comme un double pas de côté –, Staël est parvenu à renouveler les deux.

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