Ben : « On est tous ego »
Propos recueillis par Robert Kopp
Installé sur les hauteurs de Nice, loin du monde, mais tout près de son centre, entre Gairaut et Aspremont, Ben, depuis plus de quarante ans, n’arrête pas de transformer et d’enrichir sa maison, au point d’en faire la première et la plus extravagante de ses « installations ». C’est que, pour lui, tout est art, et rien ne l’est. Et à ce titre, tout et n’importe quoi trouve une place dans cet univers : roues de bicyclettes et vieux skis, bidets et pots de fleurs, cages d’oiseaux et boîtes de conserves, coupures de journaux et tuyaux d’aspirateur, chapeaux de cowboy et maillots de bain, affiches publicitaires et ordinateurs mis hors service. Tout finit soit sur le toit, soit contre la façade de la maison, ou dans le jardin, dans la véranda, ou sous l’escalier, dans la salle de bains, à la cave, sous les combles. Un capharnaüm cyclopéen, un bric-à-brac gigantesque, où tout le monde se perd, sauf Ben qui, de chaque pièce, connaît l’origine, la date et l’emplacement.
Débordant d’imagination fantasque et d’inspiration farfelue, Ben est un artiste qui s’invente et se réinvente en permanence, qui s’interroge, qui se met en scène. Comme s’il voulait se transformer en son propre chef-d’œuvre. Sûr de lui, arrogant, méchant et fragile à la fois. Un vrai créateur qui se sent comme dieu devant ses créatures.
Après Tout Ben, dès 1975, La Vie et mes conneries (1935-1997), paru vingt ans plus tard, son autobiographie artistique La Vie ne s’arrête jamais (Genève, Favre, 2012), l’un des plus récents parmi les nombreux livres de l’artiste est consacré à la Théorie de l’ego (Genève, Favre, 2014). Il donne un excellent aperçu de la philosophie de Ben, qui peut se résumer à ceci : « Je veux être moi-même, mais je ne sais pas qui je suis. » Ou encore : « Je veux être libre et fou, mais je n’y arrive pas. » Et enfin : « Regardez-moi, cela suffit. » Cette dernière phrase reprend d’ailleurs celle d’une performance de 1962. Belle continuité pour un artiste hanté par la crainte de la répétition (Je tourne en rond, 1990) !
Tout avait commencé à Nice, 32 rue Tonduti-de-l’Escarène, au milieu des années cinquante. Ben avait vingt ans et sa mère, le poussait à gagner sa vie. Elle avait vécu à Naples, avant- guerre, puis avait voyagé, en Suisse, en Turquie, en Italie, en Égypte, avant de se fixer à Nice, en 1949. C’est là que son fils, Benjamin Vautier, arrière-petit-fils du peintre de genre suisse, Marc Louis Benjamin Vautier, a fait ses classes. Sans grande conviction, on le plaça donc dans une librairie, en attendant qu’il ouvre sa propre boutique, de papeterie et de livres d’abord, de disques d’occasion par la suite….
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