Expériences éminemment sensorielles, les travaux de Zimoun ont à ce jour été présentés à travers le monde entier. Ils investissent jusqu’à l’été prochain les vastes espaces du Centquatre à Paris dans une exposition intitulée « Mécaniques remontées », qui présente neuf installations dont trois créations inédites pour la plus grande exposition personnelle jamais organisée de l’artiste. Une belle occasion de marquer les quarante printemps de cet autodidacte suisse alémanique.
« Il se passe toujours quelque-chose qui fait du son », assénait John Cage qui décidait, en 1952, qu’il était désormais impossible de conserver la séparation traditionnelle entre le son et le silence. C’était l’époque de 4’33’’, œuvre jouée pour la première fois à Woodstock à travers laquelle il démontrait qu’il était impossible de séparer la vue de l’ouïe. « Vous dites : le réel, le monde tel qu’il est. Mais il n’est pas, il devient ! Il bouge, il change ! […] Le monde, le réel, ce n’est pas un objet. C’est un processus ». Rappelons par ailleurs que dans le sillage de John Cage, George Brecht avait composé des pièces de musique qu’il ne destinait pas aux seules oreilles mais qu’il considérait aussi bien visuelles que sonores. « La musique, ce n’est pas seulement ce qu’on entend, mais tout ce qui se passe », disait-il en 1973.
Dans une gamme en devenir constant, Zimoun réalise des sculptures sonores et mouvantes à l’échelle du lieu qui les reçoit : « Dans mon travail, vous entendez ce que vous voyez et vous voyez ce que vous entendez. » « Sculpture sonore » ou « architecture sonore » : « des combinaisons de mots qui reflètent l’élément sonore et le matériau et l’espace tridimensionnel. » Monuments éphémères dégageant « une certaine vitalité », ses installations ont pour but de « créer une situation », pour reprendre ses termes. Installation, tableau animé, expérience à vivre soulignent ou absorbent l’emplacement dans lequel ils sont exposés. Ils parlent d’espace, le creusent ou le dilatent. À titre d’exemple, des fines barres de bois disposées contre le mur et sur le sol prolongent actuellement le dessin des parois de certaines salles du Centquatre, les traits prenant une épaisseur tridimensionnelle (276 Prepared Dc-Motors, Wooden Sticks 2.4). Il arrive d’autres fois que le même motif superposé dans la hauteur souligne au contraire l’élévation des murs dans une verticalité s’apparentant aux nefs des édifices religieux. Quoi qu’il en soit, le regard est généralement happé par une répétition régulière mais non continue de modules omniprésents qui conduit en une perte de repères. Déstabilisé, celui-ci n’en est pas moins fasciné par cette désorientation parfaite, lisse, froide et cohérente où les différents éléments, sans se rencontrer, ne sont jamais étrangers l’un à l’autre.
Zimoun envisage ses projets tels des principes d’organisation vivants qui se juxtaposent sans se télescoper, jouant sur le rythme, la structure, les effets de reconnaissance et de surprise en même temps. De projet en projet, le Bernois a su se distinguer ces dernières années par la précision de ses dispositifs, leur intelligibilité, tout en stimulant admirablement la curiosité, l’imaginaire ou la réflexion. Sans s’encombrer de discours, son travail aux apparences minimalistes encourage en effet les associations d’idées, les souvenirs comme les projections possibles et met les choses en relation. N’y a-t-il pas dans ces mises en scène parfaitement maîtrisées la représentation d’autant d’individus qui formeraient un tout indissociable? Entre similitudes et variations dans les équivalences surviennent de petits moments d’étonnement, de confusion ou de clairvoyance. Car ses structures monumentales réduisent considérablement la distance qui pourrait séparer l’ordre du désordre. Capables de dominer le visiteur avec autorité, elles n’en restent pas moins organiques : chaque élément qui les constitue bouge en toute autonomie, leurs mouvements itératifs évoquant tour à tour le rythme d’un souffle, d’un tempo musical, d’une fonction dansée, entre poésie cacophonique et chaos structuré.
Sur le mode du métronome démultiplié – le caractère direct de ses travaux fait du « temps réel » le protagoniste principal de son œuvre – à la fois ludique et stressant, l’artiste joue avec divers matériaux : des boîtes en carton, des sacs en papier, des baguettes en bois, des particules de polystyrène, des balles de coton, des tiges, du plastique… autant d’éléments ordinaires et fonctionnels issus du quotidien et généralement de l’industrie. Les propriétés de chacun de ces matériaux – résistance, volatilité, élasticité, frottement, résonance – constituent les prétextes à toute nouvelle forme d’expérimentation. 300 Prepared Dc-Motors, 27 kg Wood – les titres ne sont jamais autre chose que la stricte description des matériaux utilisés –, installation récemment créée pour le Musée des beaux-arts du Locle et constituée de trois cents baguettes en bois articulées mécaniquement, participait au discours sur le temps qui passe.
30 000 Plastic Bags, 16 Ventilators, soit littéralement trente mille sacs en plastique transparents collés contre les murs de la rada– espace d’art contemporain de Locarno – en 2010 vibraient de leur froissement scintillant grâce au souffle propulsé conjointement par seize ventilateurs. 62 Prepared Dc-Motors, Cotton Balls, Cardboard Boxes, une soixantaine de boîtes en carton, mesurant 60 centimètres par soixante centimètres et espacées chacune de soixante centimètres entre elles, quadrillaient avec une parfaite exactitude le parterre de la Kunsthalle Palazzo de Liestal en 2011. Augmentée de petits systèmes motorisés, cette installation – comme tant d’autres – rythmée de manière aléatoire faisait vivre à l’échelle humaine la rencontre avec un mécanisme proche de celui d’une boîte à musique. Si, à la fin du XVIIIe siècle, le Genevois Antoine Favre avait développé de tels dispositifs insérés minutieusement dans des montres, boîtes à bijoux ou tabatières, voilà que Zimoun en démultiplie une forme de représentation manifeste, reflétant néanmoins un même goût pour l’ingéniosité, la précision, la musique – ou le son – et le jeu. Au-delà de cette relation à l’horlogerie qui peut être une interprétation possible des dispositifs du Bernois, son œuvre s’inscrit indéniablement dans la tradition d’un art suisse reconnu pour son minimalisme et sa géométrie : ses mécanismes hautement précis ne dessinent-ils pas sempiternellement des grilles ? Ne travaillant que dans une gamme de couleurs limitée, privilégiant les tons industriels du carton, du métal ou du bois, parfois recouverts de peinture, Zimoun étire des bandes, des lignes, dresse des plans, des aplats pour faire vibrer les surfaces et sortir l’œil de ses perceptions ordinaires.
Identifiée très rapidement, la démarche de Zimoun est généralement chapeautée par un chef d’orchestre abstrait. Toutefois, quand celui-ci rencontre l’univers débridé des danseurs et chorégraphes Marco Delgado et Nadine Fuchs, on pourrait s’attendre au développement d’un univers plus figuratif. A Normal Working Day est le collectif développé depuis quatre ans, qui réunit les trois protagonistes et permet aux arts plastiques et aux arts de la scène de se rencontrer sur une même plateforme. Le plasticien a collecté prises de vues et captations vidéos du duo de danseurs et s’amuse des sauts d’échelle multipliés, superposés, augmentés à l’infini, les faisant exploser dans l’espace avant de les contraindre dans des systèmes de patterns scrupuleusement organisés qui n’échappent pas à sa signature. Mille-pattes travestis en rosaces baroques, parades séductrices, corps plastiques désincarnés et dérision se mêlent dans des installations all over, des visions kaléidoscopiques qui ont pris tout leur sens à l’occasion de la Fête de la danse 2017 à Yverdon-les-Bains et dont le Centre d’Art Contemporain prolonge l’expérience encore quelques semaines, et sans son pour le coup. Peut-être parce que les images sont terriblement criardes.
Karine Tissot
Nota Bene : Mécaniques remontées, Espace Centquatre-Paris jusqu’au 6 août 2017