DE L’ART OU DU COCHON

Arthur Pauly
Arthur Pauly
« – L’art à vingt ans, Monsieur ? Comme l’amour, on le fait mais on n’en parle pas ou, si l’on en parle, c’est qu’on ne le fait plus. Punto e basta. La théorie, la critique sont la puissance des impuissants, un ersatz de création auquel – Dieu pardonne ! – je me refuse. Le voudrais-je seulement que vous m’en verriez d’ailleurs incapable : les musées m’ennuient à périr avec leurs enfilades de galeries, leurs queues interminables et l’obligation où chacun se croit d’avoir l’air pénétré d’intérêt pour ces malheureuses toiles qui me rendraient presque nostalgique de la beauté du papier blanc ; je fuis les salles de théâtre et ne saurais, depuis mes adieux à la scène, y mettre un pied sans que les larmes me viennent ; la modestie de mes finances m’interdit généralement l’entrée du concert ou de l’opéra ; quant à la littérature, que je place pourtant si haut, mieux vaut ne rien en dire par peur de vous scandaliser encore. Et l’on ose appeler ça un « jeune écrivain et critique d’art » ! Sans blague. Vous me ferez cependant la grâce de ne pas imputer cette impertinence à la fleur de mon âge, si prompte (c’est bien connu) à vouloir choquer le badaud car, eussé-je quatre-vingt-un ans, rien ne saurait faire vaciller cette certitude : le cheveu blanchit sous la calotte du critique et qui monte en chaire tourne résolument le dos aux cimes du Parnasse – c’est un peu emphatique mais croyez bien...

« – L’art à vingt ans, Monsieur ? Comme l’amour, on le fait mais on n’en parle pas ou, si l’on en parle, c’est qu’on ne le fait plus. Punto e basta. La théorie, la critique sont la puissance des impuissants, un ersatz de création auquel – Dieu pardonne ! – je me refuse. Le voudrais-je seulement que vous m’en verriez d’ailleurs incapable : les musées m’ennuient à périr avec leurs enfilades de galeries, leurs queues interminables et l’obligation où chacun se croit d’avoir l’air pénétré d’intérêt pour ces malheureuses toiles qui me rendraient presque nostalgique de la beauté du papier blanc ; je fuis les salles de théâtre et ne saurais, depuis mes adieux à la scène, y mettre un pied sans que les larmes me viennent ; la modestie de mes finances m’interdit généralement l’entrée du concert ou de l’opéra ; quant à la littérature, que je place pourtant si haut, mieux vaut ne rien en dire par peur de vous scandaliser encore. Et l’on ose appeler ça un « jeune écrivain et critique d’art » ! Sans blague. Vous me ferez cependant la grâce de ne pas imputer cette impertinence à la fleur de mon âge, si prompte (c’est bien connu) à vouloir choquer le badaud car, eussé-je quatre-vingt-un ans, rien ne saurait faire vaciller cette certitude : le cheveu blanchit sous la calotte du critique et qui monte en chaire tourne résolument le dos aux cimes du Parnasse – c’est un peu emphatique mais croyez bien que le cœur y est. Puisque vous avez eu la bonté de me confier une chronique régulière en ces pages, j’ai voulu que les choses, d’emblée, soient claires entre nous. La critique, comme dirait l’archevêque à la cantatrice, n’est pas ma tasse de thé. Not my cup of tea. Aussi vous entretiendrai-je de tout ce qui me passera par la tête, du soleil qui brille et des filles qui pleurent, de la beauté du monde, des chansons italiennes où la vie est moins triste, bref de ce qu’il vous plaira sinon d’art/d’Art (rayez la mention inutile) : laissons cela aux universitaires – il faut bien qu’ils servent à quelque chose – et n’en parlons plus. Mes études m’occupent déjà suffi
samment pour que je me permette de préserver le peu de temps qui me reste des assauts de la critique, du commentaire de texte et de la théorie littéraire. C’est qu’il n’y a pas une minute à perdre, Monsieur : mon œuvre m’attend. Alors dispensons-nous de la vulgate et suivez-moi plutôt sur les quais de l’île Saint-Louis, au Fumoir ou dans les troquets du Quartier latin. Venez, je vous emmène. Bientôt, toute la Suisse saura ce que c’est que d’avoir vingt ans dans la plus belle ville du monde. Je vous ouvrirai mes portes, celles de mon nid d’aigle au plus près des étoiles. Vous monterez en soufflant les cent huit marches, sixième étage et, tranquillement assis sur mon lit, là, dans les vapeurs du thé de lotus, je vous apprendrai qu’il ne m’est d’école que buissonnière, d’art que l’art de vivre. In situ, pas en institution – et tous les musées du monde pour un baiser de celle que j’aime ! Je vous raconterai les Arquebusiers, la khâgne, mes petites histoires de tous les jours. Nous irons déjeuner chez de vieux écrivains – des noms ! des noms ! – et réveiller la beauté dans ses draps. Voyez avec quelle vigueur elle brise les cadres et les carcans où vous la vouliez enfermer, abandonnant derrière elle comme autant de coquilles vides le Louvre et la gare d’Orsay. Ne craignez pas que je vous abuse, que je vous égare : à vingt ans, on est toujours un peu artiste, non ? La jeunesse de l’art, c’est surtout l’art de la jeunesse. Entrez dans la danse, sautez, dansez, etc. Je vous montrerai comment la lumière frappe, entre midi et deux, l’abside de Saint-Étienne-du-Mont, les jolies filles à la sortie de Henri-IV ou de Louis-le-Grand, l’odeur des croissants chauds flottant sur les étals du poissonnier, chaque matin, en allant au lycée. Si l’art court les rues, nous nous lancerons ensemble à sa poursuite. Au grand galop. Et peut-être, à la fin des fins, me direz-vous avec un sourire en coin : allez, petit Pauly, allez ! nous ne nous sommes pas ennuyés avec vous ! Et je serai bien heureux, Monsieur, d’avoir fait rire la galerie. »

ARTHUR PAULY

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