ÉDITORIAL

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Rainer Michael Mason C’est une femme assise sur un fauteuil, corps jaune or qui s’enlève sur le bleu pluriel des mers du sud (le motif de sa robe évoque même l’écriture déliée des vagues). L’ovale de sa tête, tracé comme d’un simple trait charbonneux, oriente pour peu vers la perfection de la statuaire cycladique. La face, dont la matière dorée brossée d’un pinceau bourdonnant s’offre comme une aura décalée du dessin, n’a pas d’identité (même si l’on peut savoir qu’elle renvoie à Carmen Leschennes, Katia de son petit nom, un modèle cher à l’artiste). Elle gagne notre éblouissement à l’image des portraits du Fayoum qui, pardelà l’antiquité du temps, ne cessent de certifier à nos yeux la généralité figurale de l’humanité. MATISSE UN TABLEAU PHARE À LYON Le peintre a sans doute voulu capter – une dernière fois, mais le sait-il? – ce qui le hante depuis toujours, le «caractère de haute gravité qui persiste dans tout être humain» (Notes d’un peintre, 1908). Car il s’agit bien de la dernière des toiles peintes par Henri Matisse (1869-1954), mais non son œuvre ultime (il y aura encore nombre de dessins et de gouaches découpées chantant les couleurs et les îles tropicales). Elle appartenait, il y a peu encore, aux descendants du peintre, qui l’ont cédée sans s’étrangler dans l’auri sacra fames, ce maudit appât du gain que pointait déjà Virgile. Et voilà, comme un talisman rechargeant l’énergie de qui le détient, que Katia à la chemise jaune...

Rainer Michael Mason

C’est une femme assise sur un fauteuil, corps jaune or qui s’enlève sur le bleu pluriel des mers du sud (le motif de sa robe évoque même l’écriture déliée des vagues). L’ovale de sa tête, tracé comme d’un simple trait charbonneux, oriente pour peu vers la perfection de la statuaire cycladique. La face, dont la matière dorée brossée d’un pinceau bourdonnant s’offre comme une aura décalée du dessin, n’a pas d’identité (même si l’on peut savoir qu’elle renvoie à Carmen Leschennes, Katia de son petit nom, un modèle cher à l’artiste). Elle gagne notre éblouissement à l’image des portraits du Fayoum qui, pardelà l’antiquité du temps, ne cessent de certifier à nos yeux la généralité figurale de l’humanité.

MATISSE UN TABLEAU PHARE À LYON

Le peintre a sans doute voulu capter – une dernière fois, mais le sait-il? – ce qui le hante depuis toujours, le «caractère de haute gravité qui persiste dans tout être humain» (Notes d’un peintre, 1908).

Car il s’agit bien de la dernière des toiles peintes par Henri Matisse (1869-1954), mais non son œuvre ultime (il y aura encore nombre de dessins et de gouaches découpées chantant les couleurs et les îles tropicales). Elle appartenait, il y a peu encore, aux descendants du peintre, qui l’ont cédée sans s’étrangler dans l’auri sacra fames, ce maudit appât du gain que pointait déjà Virgile.

Et voilà, comme un talisman rechargeant l’énergie de qui le détient, que Katia à la chemise jaune (1951) se trouve désormais au Musée des Beaux-Arts de Lyon, le premier des musées de province de la France voisine, musée où l’archéologie, la sculpture, les arts décoratifs et la peinture incarnent cet ancien idéal encyclopédique qui, né des circonstances du lieu et de ses fondements culturels, caractérise aussi par exemple le Musée d’art et d’histoire, à Genève. Quelle acquisition!

Il faut courir à Lyon – pour renouveler la rencontre nourricière avec une œuvre, pour réalarmer en soi la conscience de l’être de l’art, pour mieux se représenter ce qu’est et ce que doit être un musée.

Par ses « traits essentiels », qui font écho par leur tracé elliptique au saint Dominique épuré et altier de la chapelle de Vence (1950), le portrait sans visage incarne dans sa magie la pensée de Matisse : « Une œuvre doit porter en elle-même sa signification entière et doit l’imposer au spectateur avant même qu’il en connaisse le sujet. » (1908) Quelle leçon!

Quasiment inconnu, le chef-d’œuvre nouvellement mis en «monstration» n’est pas à Lyon pour rien. Matisse fut lié à cette ville par les soins de sa santé, entre janvier et mai 1941. Et l’institution domiciliée au Palais Saint-Pierre réunit non seulement d’admirables encres et fusains de la suite des Thèmes et Variations de 1942, des grands livres à gravures, mais encore le portrait de L’antiquaire Georges-Joseph Demotte (1918) et cette Jeune Femme en blanc, fond rouge (1946), déposée en 1993, après la dation de Pierre Matisse, le fils de l’artiste.

Si un tel accent prend corps à Lyon, parmi quelques autres qui donnent foi en la peinture (pour mémoire : Nicolas Poussin, Fragonard, Ingres, Pierre Soulages, fruits d’un mécénat patiemment suscité et intelligemment orienté), c’est que son Musée des Beaux-Arts mène et développe une véritable politique. Qui s’identifie à un nom, puisque tant vaut l’homme, tant vaut la place : à celui de Sylvie Ramond, depuis 2004.

La directrice du musée de Lyon ne cesse de nous rappeler ce qu’est un musée : une maison de la différenciation stimulante (et aussi des spécificités irréductibles, regardées, étudiées, prises en compte et mises en évidence comme telles), un lieu qui conserve, donne à voir et publie des œuvres d’art – et en acquiert, car un musée qui ne s’enrichit pas par des acquisitions et des expositions magnétiques est un musée mort.

Avec sa stratégie digne de Carl von Clausewitz (renforcer les points forts !), le Musée des Beaux-Arts de Lyon est très loin de céder à la pacotille de l’étalagisme au petit pied ou aux collisions drôles sur l’étal par quoi certains imaginent commodément rendre l’art plus accessible à tous, en le présentant « sous un jour nouveau ». Ce n’est pas à la faveur de l’idéal très XIXe siècle des grands magasins et du bon marché à la Zola, où la verroterie côtoie l’estampe japonaise, que l’on offrira aux regardeurs une quelconque félicité et un surplus de compréhension.

Seules les grandes œuvres dilatent le regard et emportent la conviction. La preuve en est à Lyon.

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