ERWIN BLUMENFELD

Double autoportrait à la Linhoff
Le MahJ célèbre un photographe errant et protéiforme, Erwin Blumenfeld. Son visage, fanqué du sourire goguenard de celui qui vient d’en sortir une bien bonne, rappelle celui de Pierre Desproges. Sa biographie, Jadis et Daguerre, porte un jeu de mots pour titre, création pure à partir du titre original en allemand, également un calembour : Einbildungsroman. Et sur cet autoportrait qui fgure en couverture d’une monographie, son oeil boursoufé façon fsh-eye dans l’objectif fait penser à celui, pendulaire et caustique, de monsieur Cyclopède. Nous comprenons aussitôt que notre homme ne manque pas d’humour. Il en aura en efet fallu au photographe Erwin Blumenfeld – actuellement mis en lumière au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris – pour traverser la vie comme il l’a fait. Né juif en 1897 à Berlin, orphelin de père avant sa majorité, Blumenfeld devra constamment fuir plutôt que voyager (Amsterdam, Paris, New York) avant de mourir à Rome en 1969, au sommet de sa gloire de photographe de mode. On dit qu’une appendicite à dix ans lui valut son premier appareil-photo, pour récompense; sous le toit de son père, parapluitier, on l’imagine grandir dans le fracas régulier du massicot, des toiles que l’on déplie, des baleines que l’on teste. Mais son père meurt. Il y a des deuils qui font grandir d’un coup – comme on appuie sur avance rapide. Le minot de Kreuzberg se fait maroquinier, à Amsterdam. Il se dira un jour «homme des villes» plutôt que des pays: «je n’ai jamais...

Le MahJ célèbre un photographe errant et protéiforme, Erwin Blumenfeld.

Son visage, fanqué du sourire goguenard de celui qui vient d’en sortir une bien bonne, rappelle celui de Pierre Desproges. Sa biographie, Jadis et Daguerre, porte un jeu de mots pour titre, création pure à partir du titre original en allemand, également un calembour : Einbildungsroman. Et sur cet autoportrait qui fgure en couverture d’une monographie, son oeil boursoufé façon fsh-eye dans l’objectif fait penser à celui, pendulaire et caustique, de monsieur Cyclopède. Nous comprenons aussitôt que notre homme ne manque pas d’humour. Il en aura en efet fallu au photographe Erwin Blumenfeld – actuellement mis en lumière au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris – pour traverser la vie comme il l’a fait. Né juif en 1897 à Berlin, orphelin de père avant sa majorité, Blumenfeld devra constamment fuir plutôt que voyager (Amsterdam, Paris, New York) avant de mourir à Rome en 1969, au sommet de sa gloire de photographe de mode.

On dit qu’une appendicite à dix ans lui valut son premier appareil-photo, pour récompense; sous le toit de son père, parapluitier, on l’imagine grandir dans le fracas régulier du massicot, des toiles que l’on déplie, des baleines que l’on teste. Mais son père meurt. Il y a des deuils qui font grandir d’un coup – comme on appuie sur avance rapide. Le minot de Kreuzberg se fait maroquinier, à Amsterdam. Il se dira un jour «homme des villes» plutôt que des pays: «je n’ai jamais été allemand, seulement berlinois», afrmait celui qui serait un jour aussi bien «Montparnos». Dans l’arrière-boutique de son commerce amstellodamois, il tire des portraits à la chambre, avec un appareil à soufet, et les expose en vitrine. Blumenfeld, dans ces mois de création pure, jouissant de son amateurisme – dont il dira plus tard qu’il lui est consubstantiel –, se prépare un destin comme une laborantine prépare un milieu gélosé dans une boîte de Petri. Et le destin fnit par frapper sous la forme d’une femme: Geneviève Rouault (flle du peintre) repère ses photographies sur la vitrine et n’a dès lors de cesse qu’il n’ait rencontré le tout-Paris.

Paris, à l’époque, est à Montparnasse. Blumenfeld naviguera entre la rue d’Odessa et la rue Delambre, bien introduit dans le milieu des artistes par Cecil Beaton ainsi que par Michel de Brunhof, le frère du créateur de Babar. Sa chambre de la rue d’Odessa ne lui coûte pas cher: cent francs par mois, à condition de la laisser libre chaque aprèsmidi pour que puissent s’y exprimer pleinement les amours tarifées…

Ces années-là – les trente –, Blumenfeld les traverse en léger décalage avec la folie des années vingt, queue de comète. Lui qui correspondait avec Tzara et avait fondé l’antenne amstellodamoise de Dada découvre l’expérimentation photographique, admire Man Ray, photographie dans des poses inquiétantes les plus beaux crânes du musée de l’Homme, publie des textes aux accents délicieusement surréalistes, comme « Le mystère de la réalité redécouvert par la photographie », rencontre Michel Leiris. Ces années-là, Blumenfeld craint aussi pour sa peau. Son obédience n’a pas la cote; puis, il s’est montré antihitlérien précoce, caricaturant le futur chancelier en tête de mort ou en Moloch. Ces images ne sont pas les plus saisissantes de l’exposition – reste son courage visionnaire.

Et comme toujours avec lui, une relative stabilité se paye aussitôt d’un chambardement. Avec la drôle de guerre lui revient le statut d’errant, de schlemiel. Contraint à passer plusieurs mois dans un camp d’internement pour étrangers, il écrit à sa femme et ses enfants: «je voudrais être Cervantès pour vous le raconter.» Ce n’est qu’en 1941 qu’il parvient à rejoindre New York, où il sera enfn lui-même. Hepburn, Grace Kelly, toutes les stars veulent passer derrière son objectif. Vogue et Harper’s Bazaar se l’arrachent, certaines de ses couvertures deviennent des classiques. Blumenfeld, inspiré par Téophile Gautier, aura cherché toute sa vie l’Art pour l’Art, comme le propre du sien. Son originalité est de l’avoir cherché aux confns de la photographie plutôt qu’au milieu du visage.

Sans titre (Manina), Paris, 1936
Saintes-Maries-de-la-Mer, 1928
Sans titre (Natalia) New York, 1942
Red Cross (Croix rouge), 1945

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