HALTE À LA MEUTE !

DOMINIQUE FERNANDEZ
DOMINIQUE FERNANDEZ
Affaire Kevin Spacey… Affaire Polanski… Affaire Matzneff… Un acteur est accusé d’un ancien viol : non seulement on le condamne pour ses agissements, mais on détruit les films qu’il avait tournés et on les tourne à nouveau en prenant un autre acteur à sa place. On accuse un cinéaste d’un ancien viol, et mille voix s’élèvent pour qu’on interdise son dernier film, qui n’a rien à voir avec ce dont on l’accuse. On accuse un écrivain d’un ancien détournement de mineure, et on retire ses livres de la vente, on lui ôte son allocation, son logement, ses décorations. Trois affaires lamentables, qui résultent de la confusion que font le public, les pouvoirs publics, les médias entre un homme et son œuvre. Si on croit un homme coupable, qu’on le juge selon une procédure équitable, avec confrontation des parties, avocats des deux camps. Pour Matzneff, on l’a jugé d’après un seul témoignage, sans vérification. Voilà un homme, longtemps publié, lu, admiré, primé – alors qu’il n’a jamais caché ses goûts et qu’il en a même fait la matière de ses livres (Les moins de seize ans, son titre le plus célèbre, date de 1974 !) – voilà donc cet homme du jour au lendemain traîné dans la boue, renié par ses éditeurs, lâché par ses amis, désavoué par son ministre dont la mission devrait être de protéger les écrivains contre les condamnations hâtives, le voilà cloué au pilori, réduit à la misère, obligé de s’enfuir à l’étranger pour échapper au lynchage...

Affaire Kevin Spacey… Affaire Polanski… Affaire Matzneff… Un acteur est accusé d’un ancien viol : non seulement on le condamne pour ses agissements, mais on détruit les films qu’il avait tournés et on les tourne à nouveau en prenant un autre acteur à sa place. On accuse un cinéaste d’un ancien viol, et mille voix s’élèvent pour qu’on interdise son dernier film, qui n’a rien à voir avec ce dont on l’accuse. On accuse un écrivain d’un ancien détournement de mineure, et on retire ses livres de la vente, on lui ôte son allocation, son logement, ses décorations. Trois affaires lamentables, qui résultent de la confusion que font le public, les pouvoirs publics, les médias entre un homme et son œuvre.

Si on croit un homme coupable, qu’on le juge selon une procédure équitable, avec confrontation des parties, avocats des deux camps. Pour Matzneff, on l’a jugé d’après un seul témoignage, sans vérification. Voilà un homme, longtemps publié, lu, admiré, primé – alors qu’il n’a jamais caché ses goûts et qu’il en a même fait la matière de ses livres (Les moins de seize ans, son titre le plus célèbre, date de 1974 !) – voilà donc cet homme du jour au lendemain traîné dans la boue, renié par ses éditeurs, lâché par ses amis, désavoué par son ministre dont la mission devrait être de protéger les écrivains contre les condamnations hâtives, le voilà cloué au pilori, réduit à la misère, obligé de s’enfuir à l’étranger pour échapper au lynchage physique.


On sonne de partout l’hallali. Ses agissements sont blâmables, mais cette curée est odieuse. On se refait une vertu en piétinant un homme à terre. Or, s’il n’est pas question qu’un citoyen échappe aux lois, l’œuvre d’art n’est pas de leur ressort. La distinction doit être nette entre ce qu’un homme fait et ce qu’il crée.

Regardez les immenses conséquences qu’entraînerait cette confusion si elle durait. Dans la littérature. Edgar Poe a possédé Virginia quand elle avait treize ans. Au feu les Histoires extraordinaires, que Baudelaire a eu tort évidemment de traduire !
Lewis Carroll photographiait des petites filles toutes nues. Au feu Alice au pays des merveilles ! Pasolini, instituteur dans le Frioul, a été chassé de son école et obligé de s’enfuir à Rome pour avoir abusé d’écoliers. Au feu Théorème et Médée ! André Gide a fait l’apologie, dans Les Faux-Monnayeurs, des amours entre un lycéen et un adulte. Le comique, c’est que le ministre de l’Éducation nationale français a mis ce roman au programme des terminales. Il fallait du courage pour le faire. Vat-on maintenant retirer son prix Nobel à Gide ? Montherlant fixait à treize ans l’âge idéal pour son goût des garçons. Au feu Port-Royal et Le Maître de Santiago ! Lolita, de Nabokov, quel diable d’aveuglement a poussé les lecteurs à en faire un succès planétaire ? Et Tadzio, dans La Mort à Venise, quel scandale, dans la littérature comme au cinéma !

Dans les beaux-arts, les flammes n’ont pas moins à dévorer. À commencer chez les Anciens, avec leurs dégoûtantes effigies de Ganymède, enlevé à quatorze ans par ce porc de Jupiter ! Pour ne rien dire d’Antinoüs, déifié à quatorze ans par l’empereur Hadrien, qui se faisait passer pour philosophe, l’hypocrite. Léonard de Vinci, quand il avait vingtquatre ans, a été traîné en justice pour avoir sodomisé un jeune de dix-sept ans ; ensuite, quand il avait quarante ans, il a pris à son service (à ses services) le petit Salaï, âgé de dix ans. Ces faits sont attestés. Au bûcher la Joconde ! Au musée de Berlin, on ferait bien de retirer des cimaises ce tableau éhonté de Caravage, où il a représenté, sous le nom d’Amour vainqueur, son amant de douze ans, complètement nu, et dans une pose que la décence interdit de préciser. Les temps modernes ne sont pas en reste. Qu’il suffise de mentionner Pierre Klossowski, dont les préadolescents ont oublié de mettre leur culotte, ou Balthus, dont les nymphettes ne s’embarrassent pas non plus de vêtements.

Hélas, ce qui a l’air d’une apocalypse de sciencefiction risque de se réaliser si la vertu, l’ordre moral, toujours ennemis de la littérature et de l’art, réussissent à imposer leurs lois.

DOMINIQUE FERNANDEZ

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