HERE – UN VOYAGE DANS LE TEMPS… EN PLAN FIXE

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Le cinéma d’Artpassions Une œuvre unique est sortie sur les écrans en 2024. La question n’est pas d’aimer ou non la nouvelle réalisation de Robert Zemeckis. Il faut absolument l’avoir vue. Dans le déluge de la production ac-tuelle, on jurerait que tous les films se ressemblent : il arrive par chance qu’un objet de cinéma nous bouleverse par sa forme, avant de connaître son sujet. Here, mis en scène par le créateur de Forrest Gump, provoque ce miracle. Son idée est osée : offrir le premier rôle non pas à un acteur – mais à une parcelle de quelques centaines de mètres carrés, filmée depuis le Big Bang jusqu’à notre époque. En se focalisant surtout sur les derniers siècles, depuis l’Indépendance des États-Unis (le terrain se situe dans le New Jersey) jusqu’aux débuts de notre XXIe siècle. Sur cette parcelle, une maison est construite. Et c’est à l’intérieur de cette habita-tion – dans le salon –, que la caméra sera plantée. Selon le mot célèbre de Cocteau, le cinéma se-rait l’art de filmer la mort au travail. Son histoire s’avère, au demeurant, inséparable des fantômes : dès les premières bobines des frères Lumière (qui durent eux aussi composer avec un cadre fixe, avant les caméras mobiles), il est frappant de constater que les silhouettes animées sur leurs pellicules ne sont pas vraiment des êtres vivants – mais d’em-blée, des traces de vie avalées par le temps. Pour Zemeckis, Here est précisément né de cette « fasci-nation pour les histoires invisibles...

Le cinéma d’Artpassions

Une œuvre unique est sortie sur les écrans en 2024. La question n’est pas d’aimer ou non la nouvelle réalisation de Robert Zemeckis. Il faut absolument l’avoir vue.

Dans le déluge de la production ac-tuelle, on jurerait que tous les films se ressemblent : il arrive par chance qu’un objet de cinéma nous bouleverse par sa forme, avant de connaître son sujet. Here, mis en scène par le créateur de Forrest Gump, provoque ce miracle. Son idée est osée : offrir le premier rôle non pas à un acteur – mais à une parcelle de quelques centaines de mètres carrés, filmée depuis le Big Bang jusqu’à notre époque. En se focalisant surtout sur les derniers siècles, depuis l’Indépendance des États-Unis (le terrain se situe dans le New Jersey) jusqu’aux débuts de notre XXIe siècle. Sur cette parcelle, une maison est construite. Et c’est à l’intérieur de cette habita-tion – dans le salon –, que la caméra sera plantée.

Selon le mot célèbre de Cocteau, le cinéma se-rait l’art de filmer la mort au travail. Son histoire s’avère, au demeurant, inséparable des fantômes : dès les premières bobines des frères Lumière (qui durent eux aussi composer avec un cadre fixe, avant les caméras mobiles), il est frappant de constater que les silhouettes animées sur leurs pellicules ne sont pas vraiment des êtres vivants – mais d’em-blée, des traces de vie avalées par le temps. Pour Zemeckis, Here est précisément né de cette « fasci-nation pour les histoires invisibles qui hantent les lieux que nous habitons ». Et de noter : « En préparant le film, je logeais dans une maison ancienne. Je fixais ses murs, songeant aux vies qui avaient vibré là où j’étais assis. J’imaginais toutes ces personnes affrontant l’exis-tence, ses terreurs, ses joies, la maladie et la santé… »

Le coup de génie du réalisateur, qui adapte une bande dessinée, est d’avoir respecté son disposi-tif graphique radical, le forçant à peindre selon le même axe les générations d’hommes et de fem-mes qui se succèdent dans un périmètre défini. « Lorsque tout se déroule depuis un point de vue à travers les siècles, chaque scène doit fonctionner dans ce cadre unique. Cela paraît simple, ajoute-t-il, mais c’est en réalité extrêmement complexe ». De miroirs en écrans, passant du transistor à la télé, jouant sur la transparence des murs, sans oublier l’évo-lution de la déco, de la mode, ni les déplacements de ses acteurs, Zemeckis rivalise d’ingéniosité pour dérouler son récit en millefeuille, sans que l’im-mobilité du cadre ne réduise la mise en scène au pur théâtre filmé, ou que sa prouesse prenne le pas sur l’émotion. L’IA lui permet enfin de vieillir ses interprètes en temps réel. Le cinéaste devient d’un coup métaphysicien.
Car au-delà du dispositif visuel, surgit l’étour-dissement philosophique. Celui du sens de nos destins balayés par la mort, et pourtant si réels au présent ; autant chez les Indiens natifs que chez Richard et Margaret (Tom Hanks, Robin Wright), duo central de cette fable et banal archétype de l’Amérique des années soixante – de l’adolescence au grand âge. « On pourrait se demander : pourquoi ce couple reste-t-il ensemble ?, médite Hanks. Sont-ils des opposés ? Se complètent-ils ? Leur bonheur est-il illusoire ? Leur amour est-il le fruit d’un désir réel ou du hasard » ? Énigmes insolubles. Car au bout du compte, la vie se résume plutôt à l’usure d’un ca-napé, au souvenir d’un baiser sur ses coussins, à un escabeau renversé, à une dispute le soir de Noël – ou à la lassitude de passer l’essentiel de son existen-ce dans une même pièce. Quel est le nom de cette pièce ? Nous devrions le savoir, nous l’occupons tous. Elle porte d’ailleurs un nom universel : ici. Ou si l’on préfère, Here. C’est le tour de force de Robert Zemeckis, avec douceur et cruauté, de rap-peler que le temps est un lieu, et qu’il ne tient qu’à nous de l’habiter comme une maison aménagée avec soin. Au bout du voyage, c’est au spectateur que l’on propose d’inverser l’horloge : dans le der-nier plan du film, lorsque la caméra s’anime pour la première fois, on a l’impression de réassister à la naissance du cinéma.

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