Illusions perdues – cinéma gagné

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Le succès, dans les salles françaises et suisses, de l’adaptation du chef-d’œuvre de Balzac, au casting ébouriffant, rappelle que les grands livres fixent moins leur époque que l’humanité dans ce qu’elle a de plus immuable.   Alors étudiant en lettres dans le quartier latin, Xavier Giannoli ne pensait déjà qu’au cinéma. Cela lui aura pris trente ans pour transposer sur grand écran cet ouvrage qui l’avait fasciné. Car le futur réalisateur avait conscience de devoir de vivre une vie parisienne, pour saisir réellement de quoi parlait Illusions perdues... De fait, que raconte ce roman en plusieurs parties, qui commence à paraître en 1837 et prend place durant la Restauration ; qui opposa les milieux dits libéraux aux royalistes ressuscités, attachés à Louis XVIII et au retour de Napoléon ? Il raconte la vie d’abord humble d’un provincial nommé Lucien de Rubempré qui, face à l’échec de ses poèmes naïfs, va se convertir en cruel journaliste de la capitale afin de se trouver une place dans le monde. Jusqu’à frôler la grandeur. Et se vautrer dans la décadence. Au demeurant, c’est sur cette « montée à Paris » que le film se focalise, au détriment des nombreux chapitres à Angoulême chez Balzac. Dans un but certain : vouer aux gémonies le journalisme contemporain. Car dans la ville où déboule Lucien, chaque être a un prix. Une réplique donne le ton, décochée à un jeune gratte-papier trop vertueux, par son directeur de rédaction : « Te moque pas de moi, tu paierais pour te vendre... » Bref, dans cet...

Le succès, dans les salles françaises et suisses, de l’adaptation du chef-d’œuvre de Balzac, au casting ébouriffant, rappelle que les grands livres fixent moins leur époque que l’humanité dans ce qu’elle a de plus immuable.

 

Alors étudiant en lettres dans le quartier latin, Xavier Giannoli ne pensait déjà qu’au cinéma. Cela lui aura pris trente ans pour transposer sur grand écran cet ouvrage qui l’avait fasciné. Car le futur réalisateur avait conscience de devoir de vivre une vie parisienne, pour saisir réellement de quoi parlait Illusions perdues

De fait, que raconte ce roman en plusieurs parties, qui commence à paraître en 1837 et prend place durant la Restauration ; qui opposa les milieux dits libéraux aux royalistes ressuscités, attachés à Louis XVIII et au retour de Napoléon ? Il raconte la vie d’abord humble d’un provincial nommé Lucien de Rubempré qui, face à l’échec de ses poèmes naïfs, va se convertir en cruel journaliste de la capitale afin de se trouver une place dans le monde. Jusqu’à frôler la grandeur. Et se vautrer dans la décadence.

Au demeurant, c’est sur cette « montée à Paris » que le film se focalise, au détriment des nombreux chapitres à Angoulême chez Balzac. Dans un but certain : vouer aux gémonies le journalisme contemporain. Car dans la ville où déboule Lucien, chaque être a un prix. Une réplique donne le ton, décochée à un jeune gratte-papier trop vertueux, par son directeur de rédaction : « Te moque pas de moi, tu paierais pour te vendre… » Bref, dans cet univers, les compromissions sont la norme et la droiture une tare : on paie pour faire huer ou applaudir les pièces dans les théâtres, les éditeurs eux-mêmes sont analphabètes. Et Giannoli ne se prive pas de filer la métaphore : les canards de jadis s’avèrent nos fake news d’aujourd’hui, la polémique s’appelait alors buzz, qui naissait dans les cafés et les salons plutôt que sur les réseaux sociaux. Sans parler de ce clin-d’œil glissé par le narrateur : Un jour peut-être, allez savoir, un banquier va arriver au gouvernement. Suivez mon regard.

Ce sera l’autre axe critique de cette adaptation : le pouvoir absolu de l’argent et les sirènes du consumérisme moderne – que Zola portera aux nues cinquante plus tard dans Au Bonheur des Dames. Car partout dans le Paris de Giannoli, d’illusoires promesses de plaisir et de jouvence cosmétique font écho aux désirs déçus de Lucien, qui se rendra à l’évidence que tout est faux : face à ce portrait de la cruauté urbaine, on pourrait regretter avec l’écrivaine Laurence Cossé, que les scénaristes aient éliminé les personnages nobles (au sens moral), tels la sœur et le beau-frère de Lucien, qui le soutiennent de façon inconditionnelle dans son ambition et dans sa chute, ou ses amis du cénacle, qui l’instruisent sur lui-même, le mettent en garde contre son avidité et lui sont fidèles. « La vertu est ennuyeuse à filmer », rétorque le cinéaste. Et de souligner précisément que son co-auteur Jacques Fieschi (collaborateur de Pialat, de Sautet) l’a aidé à humaniser les relations entre les personnages quand Balzac [lui] paraissait trop moqueur et punitif.

Mais au-delà de l’écriture, c’est un objet étincelant qu’à mis en scène Xavier Giannoli, dont la caméra voltige d’un lustre d’opéra à une roue de carrosse, avant de plonger dans les méandres – façon Rorschach – d’une tache d’encre… Oui : son film déborde de mouvement, de voitures, de rotatives, dépeignant une civilisation en train de devenir moderne – quoique sa photographie semble conçue pour exposer le monde d’avant l’électricité. Dans les scènes d’intérieurs ou de nuit, les visages s’y dissolvent dans une sibylline obscurité.

Ce qui n’empêche pas ses vedettes de briller : on a beaucoup commenté le prodigieux casting d’Illusions perdues, de Gérard Depardieu à Vincent Lacoste, en passant par Cécile de France, Jeanne Balibar, Xavier Dolan, sans omettre Benjamin Voisin ; parfait héros de cette aventure révélé par François Ozon. On ressort du spectacle avec un goût d’éternité : celui d’une fable toujours prête à recommencer, de l’hubris grecque à la télé-réalité – que ses acteurs soient de chair ou de mots. Balzac l’exprime mieux que nous : Je pense à ceux qui doivent trouver en eux quelque chose après le désenchantement. « J’ai l’impression que cette phrase résume l’histoire de nos vies », conclut Giannoli.

N.B. : Illusions perdues, un film de Xavier Giannoli, 149 minutes, Gaumont distribution

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