JULES VERNE INATTENDU

QUOI DE NEUF À LIRE
CHRONIQUE DE DOMINIQUE FERNANDEZ, de l’Académie française La postérité joue de drôles de tours aux écrivains. Jules Verne a passé longtemps pour un auteur à l’usage des adolescents. Les lecteurs « sérieux » le dédaignaient. Il écrivait trop de livres, il était trop facile à lire, il avait trop de succès. En somme, on lui faisait le même procès qu’à Alexandre Dumas. Aujourd’hui, revirement. Les jeunes ne le lisent plus, parce qu’il écrit trop bien, que son vocabulaire est trop riche. Ils ignorent le sens de bien des mots qu’il emploie. En sorte que son lectorat a changé, et du même coup son statut: c’est désormais un «grand» écrivain, qui a édifié une œuvre de première importance, à mettre au rang des bâtisseurs d’empires romanesques, les Balzac, les Sand, les Dumas, les Maupassant, les Zola. On se rend compte qu’il a innové jusque dans la langue. Par exemple, il opte, avec cent cinquante ans d’avance, pour la féminisation des noms de métier. Parlant de femmes qui tirent au canon, il dit que ce sont des «artilleuses». Et les romans qui faisaient autrefois ses plus grands succès, tels Vingt mille lieues sous les mers, Cinq semaines en ballon ou Voyage au centre de la terre, surchargés d’informations géographiques et devenus lassants par l’énumération de poissons, de minéraux ou de plantes, cèdent la première place à des livres qui n’ont plus rien à voir avec des «voyages extraordinaires», mais dressent le portrait psychologique et moral de personnages étudiés dans leur existence quotidienne....

CHRONIQUE DE DOMINIQUE FERNANDEZ, de l’Académie française

La postérité joue de drôles de tours aux écrivains. Jules Verne a passé longtemps pour un auteur à l’usage des adolescents. Les lecteurs « sérieux » le dédaignaient. Il écrivait trop de livres, il était trop facile à lire, il avait trop de succès. En somme, on lui faisait le même procès qu’à Alexandre Dumas.

Aujourd’hui, revirement. Les jeunes ne le lisent plus, parce qu’il écrit trop bien, que son vocabulaire est trop riche. Ils ignorent le sens de bien des mots qu’il emploie. En sorte que son lectorat a changé, et du même coup son statut: c’est désormais un «grand» écrivain, qui a édifié une œuvre de première importance, à mettre au rang des bâtisseurs d’empires romanesques, les Balzac, les Sand, les Dumas, les Maupassant, les Zola. On se rend compte qu’il a innové jusque dans la langue. Par exemple, il opte, avec cent cinquante ans d’avance, pour la féminisation des noms de métier. Parlant de femmes qui tirent au canon, il dit que ce sont des «artilleuses». Et les romans qui faisaient autrefois ses plus grands succès, tels Vingt mille lieues sous les mers, Cinq semaines en ballon ou Voyage au centre de la terre, surchargés d’informations géographiques et devenus lassants par l’énumération de poissons, de minéraux ou de plantes, cèdent la première place à des livres qui n’ont plus rien à voir avec des «voyages extraordinaires», mais dressent le portrait psychologique et moral de personnages étudiés dans leur existence quotidienne.

Ainsi, le plus étonnant de ses romans « ordinaires», Les Cinq Cents Millions de la Bégum, raconte une histoire qui ne correspond pas du tout au titre. Il n’y est pas question de la Bégum, morte en 1839, mais seulement de son héritage qui a permis, quarante ans après, à Herr Schultze, professeur de chimie à l’université d’Iéna, de devenir le plus grand travailleur du fer et spécialement le plus grand fabricant de canons des deux mondes. Il fonde aux États-Unis la Cité de l’acier, qu’il peuple de trente mille travailleurs originaires d’Allemagne, avec le but avoué de construire des engins d’une portée capable de détruire n’importe quelle partie de la planète, y compris des fusées bourrées de charges explosives.

Avec une prescience stupéfiante, Jules Verne décrit cette « Stahlstadt » colossale et sinistre «agglomération de bâtiments réguliers percés de fenêtres symétriques, couverts de toits rouges, surmontés d’une forêt de cheminées cylindriques, et qui vomissent par ces mille bouches des torrents continus de vapeurs fuligineuses». On se croirait dans la Ruhr de Hitler. L’ambition démoniaque de Herr Schultze est rien de moins que de s’assurer la domination de l’univers par la mise au point d’armes létales qui pulvériseront les faibles démocraties. L’époque obligeait Jules Verne à conclure par un happy end: n’empêche qu’il a prédit les moyens dont se pourvoirait l’horreur totalitaire.

«Je veux que dans quinze jours France-Ville soit une cité morte et que pas un de ses habitants ne survive. Il me faut une Pompéi moderne, et que ce soit en même temps l’effroi et l’étonnement du monde entier». Le monstre exige même qu’on lui présente les cadavres. On voit que Jules Verne n’a pas seulement inventé le sous-marin (du capitaine Némo), le téléphone (dans Le Château des Carpates), le polar (Un drame en Livonie), mais imaginé avec une précision terrifiante ce que serait le Surhomme nazi proclamant la guerre totale contre le genre humain qu’il hait.

Dans le registre comique aussi il est passé maître. Je vous recommande Les Tribulations d’un Chinois en Chine pour le portait satirique mais non caricatural des us et coutumes de l’empire du Soleil levant; et Le Testament d’un excentrique, où un riche Américain lègue son immense fortune à celui qui gagnera à un jeu de l’oie qu’il invente, mais dont les difficultés sont telles qu’il n’y aura pas de vainqueur.

Multiple, varié, d’une inventivité inépuisable, à l’aise dans tous les domaines, Jules Verne est venu à propos occuper mes longs mois de confinement par les quelque cinquante volumes de ses œuvres complètes.

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