Les Étrusques chefs-d’oeuvre d’une civilisation singulière

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Malgré tous les efforts des étruscologues, le mot « mystère » qualifie encore avec opiniâtreté toute évocation de cette civilisation qu’on a souvent réduite à ses rapports avec la mort. L’exposition du Musée Maillol, « Étrusques – Un hymne à la vie », dissipe dans la clarté et dans la joie cette fallacieuse tradition. Avec  plus de 230 objets prêtés par les musées d’Italie, et rejoints par quelques autres, conservés dans le reste de l’Europe pour former un ensemble où figurent nombre de chefs-d’œuvre de l’art des Étrusques, l’exposition du Musée Maillol révèle la somme de connaissances qui ont été acquises sur cette civilisation. Loin d’être circonscrites au monde funéraire, elles éclairent de vives lueurs celui des vivants. Se succèdent en effet sous les yeux des visiteurs, l’émergence des Étrusques ; leur essor rapide et le luxe de leurs princes ; l’âge d’or de leurs villes empreintes de fascination pour la Grèce ; les formes et les décors de leurs temples ; la structure de leurs maisons et les événements principaux de la vie qu’ils y menaient, cela au milieu des riches relations entretenues avec d’autres peuples de la Méditerranée. Les Étrusques : un destin à la fois court et brillant Dans une entité politique qui n’est pas un État, mais une confédération de cités implantées entre l’Arno et le Tibre, les villes possèdent des valeurs communes, en particulier des pratiques religieuses, comme en témoignent les cérémonies du sanctuaire de Voltumna, sur le territoire de Volsinies. L’exposition parisienne étend l’exploration de cette civilisation jusqu'à la crise du Ve siècle av. J.-C.,...

Malgré tous les efforts des étruscologues, le mot « mystère » qualifie encore avec opiniâtreté toute évocation de cette civilisation qu’on a souvent réduite à ses rapports avec la mort. L’exposition du Musée Maillol, « Étrusques – Un hymne à la vie », dissipe dans la clarté et dans la joie cette fallacieuse tradition.

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Avec  plus de 230 objets prêtés par les musées d’Italie, et rejoints par quelques autres, conservés dans le reste de l’Europe pour former un ensemble où figurent nombre de chefs-d’œuvre de l’art des Étrusques, l’exposition du Musée Maillol révèle la somme de connaissances qui ont été acquises sur cette civilisation. Loin d’être circonscrites au monde funéraire, elles éclairent de vives lueurs celui des vivants. Se succèdent en effet sous les yeux des visiteurs, l’émergence des Étrusques ; leur essor rapide et le luxe de leurs princes ; l’âge d’or de leurs villes empreintes de fascination pour la Grèce ; les formes et les décors de leurs temples ; la structure de leurs maisons et les événements principaux de la vie qu’ils y menaient, cela au milieu des riches relations entretenues avec d’autres peuples de la Méditerranée.

Les Étrusques : un destin à la fois court et brillant

Dans une entité politique qui n’est pas un État, mais une confédération de cités implantées entre l’Arno et le Tibre, les villes possèdent des valeurs communes, en particulier des pratiques religieuses, comme en témoignent les cérémonies du sanctuaire de Voltumna, sur le territoire de Volsinies. L’exposition parisienne étend l’exploration de cette civilisation jusqu’à la crise du Vsiècle av. J.-C., où les Étrusques perdent leur domination maritime et s’affaiblissent par leurs dissensions et par les tensions sociales ; elle montre également comment, aux IVe et IIIe siècles av. J.-C., malgré un éclatant renouveau, ils finissent par être absorbés par l’irrésistible expansion de Rome. L’empreinte de la Grèce, dans les premiers temps de leur histoire, et la conquête romaine qui y met un terme, ont parfois éclipsé la singularité de la civilisation étrusque, ainsi que l’originalité de son art. Les salles du Musée Maillol rappellent à quel point cet oubli est injuste.

Du villanovien à l’étrusque

L’exposition évoque l’émergence des Étrusques dans l’histoire. Bien qu’objet de débats depuis l’Antiquité, et autrefois attribuée à l’arrivée de migrants venus d’Orient, l’apparition de cette nouvelle civilisation était présentée, ces derniers temps, comme un phénomène « autochtone » : ce serait le soudain essor d’une civilisation antérieure de la péninsule italienne appelée « villanovienne », du nom d’un site proche de Bologne, dont les vestiges ont été recueillis surtout en Toscane, un peu en Campanie. Mais la question demeure toujours ouverte. L’archéologie enseigne, quoi qu’il en soit, que les habitants des petits villages agricoles qui parsemaient ce qui deviendra le territoire de l’Étrurie se sont rassemblés au moins dès le IXe siècle av. J.-C en des lieux stratégiques. Dans ce mouvement, une certaine hiérarchie s’instaure, signe d’un nouvel état social, que dirige désormais un chef ou un groupe dominant : c’est ce que montre, dans l’exposition, la variété des urnes cinéraires en forme de cabanes, véritables maquettes de ces habitats (fig. 1). Autre mode de réceptacle funéraire : les urnes biconiques, dont le musée Maillol expose un modèle en impasto, coiffé d’un couvercle en forme de casque. Mais le chef-d’œuvre, dans ce domaine, est un casque en bronze dont la calotte et la crête s’ornent de motifs circulaires traités en savants bossages exécutés au repoussé (fig. 2) : il devait coiffer l’urne funéraire d’un guerrier de haut rang, placée sans doute au milieu de ses armes de parade.

Les Étrusques dans les échanges méditerranéens

Dans ces agglomérations naissantes, la démographie augmente en même temps que les différences sociales, tandis que des contacts s’établissent avec d’autres peuples de la Méditerranée : des navigateurs venus de la Phénicie ou de l’Eubée grecque, attirés par les gisements métallifères du pays occupé par les Étrusques, en particulier le fer de l’île d’Elbe, fréquentent le rivage tyrrhénien. Maints objets, scarabées ou vases en argile, documentent ces rapports. Certaines créations de cette période trouvées en Étrurie, font hésiter entre l’importation ou l’origine locale : des maîtres grecs ou orientaux, en effet, y avaient implanté des ateliers où travaillaient des artistes locaux. C’est le début de l’époque dite « orientalisante », qu’annoncent les vestiges précieux d’une urne superbe en forme de maison, trouvée à Vetulonia (fig. 3) : faite de bronze revêtu d’argent, elle est, pense-t-on, le réceptacle funéraire d’un prince originaire de Cerveteri. L’aube de cette période s’accompagne de l’apparition de l’écriture, phénomène bien illustré par l’exposition. Là encore, on a tort de répéter que la langue étrusque reste mystérieuse. Dérivant de l’écriture des Grecs d’Eubée, qui l’avaient eux-mêmes adaptée à partir de l’alphabet phénicien, l’écriture étrusque est assurément lisible, et souvent compréhensible, même s’il est vrai qu’il reste beaucoup à  déchiffrer.

Le temps des princes

Le faste des princes étrusques de cet âge orientalisant s’épanouit avec ostentation dans certains édifices, tel le « palais » de Murlo, près de Sienne, dont l’exposition a la chance de pouvoir présenter l’opulent décor en terre cuite. Y participent, en position d’acrotère, de sévères personnages assis où il faut sans doute reconnaître les ancêtres du prince. Les hommes lourdement barbus, aux traits sommaires, sont coiffés d’un couvre-chef pointu aux bords évasés. Inspirés de l’iconographie grecque, des sphinx, des masques de gorgone, des plaques de revêtement historiées de reliefs divers (banquet, course de chevaux, procession, assemblée divine) complétaient l’ornement de cette construction d’exception (fig. 4). C’est aussi dans le cours de ce VIIsiècle av. J.-C. qu’apparaissent les majestueuses tombes à tumulus circulaire, caractéristiques des nécropoles étrusques : Cerveteri, en particulier, en offre le panorama le plus extraordinaire. Dans des structures complexes reproduisant l’habitat des vivants, on a trouvé des armes d’apparat, des parures somptueuses et ce qu’il est convenu d’appeler des « objets de prestige », comme le flabellum, éventail de luxe, dont une scène jouée par des statuettes installées sur le couvercle d’une urne étonnante montre l’utilisation (fig. 5). La pratique du banquet, héritée des Grecs (lesquels la tenaient de l’Orient), suscite la présence d’une vaisselle de prix : par exemple des chaudrons de bronze, d’où l’Orient n’est pas absent, et des coupes en or d’origine phénicienne. Les vases grecs, ceux de Corinthe en particulier, y figurent abondamment, vite imités. Mais c’est un phénomène purement local que l’apparition du bucchero, céramique noire qui se décline en de multiples formes.

La sculpture des Étrusques, et l’apogée du VIe siècle av.  J.-C.

Locale encore, une des images fortes de l’exposition, celle du buste féminin en pierre de Vetulonia (fig. 6) : ses fragments appartenaient à un groupe comprenant huit personnages, représentant des ancêtres, hommes et femmes, ces dernières richement parées. La coiffure en bronze qui complétait une tête masculine en bois a disparu, et il ne reste que quelques traces de la feuille d’or qui la recouvrait : mais le modelé énergique de cette œuvre étrange, dans son état actuel, stupéfie le regard (fig. 7). Plus aimable est la statue féminine en albâtre trouvée à Vulci, qu’a prêtée le British Museum. Bien qu’imprégnée d’influences à la fois grecques et phéniciennes, elle se présente comme l’une des premières sculptures étrusques de grandes dimensions.

L’exposition dit bien quel apogée atteint la civilisation étrusque au VI siècle av. J.-C. L’opulence de ses douze cités principales, où l’élévation d’une classe moyenne laisse encore le pouvoir aux aristocrates, le commerce florissant de ses ports, la vitalité des échanges avec les Phéniciens et les Grecs, dont certains, venus du rivage de l’Asie Mineure s’implantent sur celui de la mer Tyrrhénienne et entreprennent l’édification, ici ou là, de temples et de maisons d’une conception originale : une maquette du temple A de Pyrgi, port de Cerveteri, permet d’observer son plan à trois cellas avec un pronaos à colonnes.

La religion des Étrusques ; les tombes et les maisons.

La piété des Étrusques, probablement surestimée par la tradition, est restée proverbiale : leur « science » divinatoire, que documentent dans l’exposition des images d’haruspices (fig. 8), se poursuit dans la période romaine. Leur religion, d’abord naturaliste, s’imprègne vite des croyances orientales et grecques. Les vitrines de l’exposition donnent à voir des statuettes de bronze où l’assimilation du panthéon grec est accomplie. Toute empreinte d’une saveur typiquement étrusque, l’élégante statuette de Modène  (fig. 9) représentant Fufluns (Dionysos) est une merveille de finesse ; quant à la statue de Tinia (Zeus) trouvée à Viterbe, c’est un éblouissant écho de la plastique grecque du IVe siècle (fig. 10).

Le prêt au musée Maillol, de plusieurs éléments du décor de la tombe princière de Piani di Mola, à Tuscania, permet d’apprécier le luxe architectural que pouvaient atteindre les maisons des vivants, reproduit ici par un tombeau monumental : lions et sphinx en « nenfro » décoraient le « columen », la poutre faîtière de cette sépulture aristocratique couverte d’un toit en bâtière.

Le banquet chez les Étrusques

Au sein de telles demeures, les Étrusques se réunissaient pour le banquet, événement majeur de leur société, au cours duquel, une fois le repas terminé, les convives buvaient ensemble le vin, en usant d’une vaisselle particulière. Les vases produits par les Grecs, que ce soit à Corinthe, à Athènes ou sur la côte ionienne, y tenaient une grande part, comme ceux que des artisans étrusques créaient sous la direction de Grecs immigrés, On peut ainsi admirer un « kyathos », gobelet à puiser le vin, signé par Lydos, grand maître de la technique à figures noires pratiquée à Athènes, ou une belle coupe à figures rouges attribuée au Peintre de Kléophradès, un des meilleurs artistes attiques du début du Ve siècle av. J.-C., mais aussi une « hydrie de Caeré » (fig. 11) ou une amphore « pontique », toutes deux produites en Étrurie même. Une vitrine de l’exposition montre que certains de ces récipients s’ornaient de décors érotiques, reflets possibles de débordements auxquels ces banquets pouvaient conduire. Mais les sources littéraires ont sûrement beaucoup «  inventé » le comportement indécent des femmes étrusques. Pour un Grec ou un Romain, imaginer une femme participant à un banquet, allongée aux côtés d’un homme, sur la même couche, ne pouvait qu’engendrer de tels fantasmes. Le célèbre  Sarcophage des époux , au Louvre, n’offre-t-il pas une belle et sereine image d’un « peuple de la différence » ?

La diversité de la création artistique dans les cités étrusques

Richement illustré, le catalogue de l’exposition rassemble un grand nombre d’objets en les rattachant aux sites où ils ont été trouvés : de Veies, l’ennemie de Rome, provient la tête en terre cuite d’une statue masculine votive, surnommée  Malavolta  ; de Cerveteri, le somptueux fermail en or décoré de 131 figures animales (fig. 12) ; de Vulci, les redoutables lions rugissants et les sphinx gardiens de tombes ; de Chiusi, les fascinants « vases-canopes » (fig. 13), récipients cinéraires anthropomorphes. Donnons une mention spéciale à Tarquinia, dont l’exposition du musée Maillol a la bonne fortune de montrer l’une des 180 tombes peintes qui y ont été trouvées. C’est la Tombe du Navire, datant du milieu du Ve siècle av. J.-C., qui donne à voir dans son volume réel, ses parois et son plafond ornés de tableaux et de motifs divers  (fig. 14) : des scènes nautiques symboliques du destin des âmes, et surtout la célébration du banquet, auquel participent une quinzaine de personnages, avec musiciens et danseurs, hymne à la vie entonné en milieu funéraire.

Le bref renouveau du IVe siècle av. J.-C., et la conquête romaine

C’est cette civilisation brillante qui, ébranlée par la défaite militaire et la crise sociale, va progressivement décliner pour se fondre dans la puissance romaine, dans le cours des premières décennies du IIIe  siècle av. J.-C. Mais ce déclin, dans un monde de Cités-États, n’est pas uniforme. La fin du Ve siècle fait assister à des mouvements de renaissance, et le siècle qui suit rend à certaines cités, comme Tarquinia surtout, mais aussi Cerveteri ou Vulci, un épanouissement que reflète la production artistique. À côté du chef-d’œuvre de la tête de femme en terre cuite de Vulci (fig. 15), qui, loin d’être une imitation servile, redonne vie à ce que le IVsiècle grec a produit de plus admirable, une autre tête, en terre cuite aussi, mais de Tarquinia, et masculine cette fois, offre un émouvant point de rencontre entre l’art étrusque et l’art romain (fig. 16).

Alain Pasquier

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