FICTION CONGO – L’ETHNOGRAPHIE À L’ÉPREUVE DU CONTEMPORAIN

«FICTION CONGO» L’ETHNOGRAPHIE À L’ÉPREUVE DU CONTEMPORAIN
Revivifier le regard sur les icônes de l’art traditionnel du Congo en les confrontant aux interrogations multiples des artistes d’aujourd’hui, tel est le propos ambitieux de l’exposition du Musée Rietberg. S’appuyant sur l’extraordinaire documentation rassemblée dès la fin des années trente par l’ethnologue allemand Hans Himmelheber, le parcours provoque de salutaires télescopages, propices à la réflexion. Peu de régions d’Afrique peuvent rivaliser avec la République démocratique du Congo en matière d’audaces et d’inventions plastiques. Visiter les collections du Musée de Tervuren en Belgique, ou celles du Musée Rietberg de Zurich, c’est voyager ainsi au cœur d’un foisonnement de formes et d’usages qui ont littéralement fasciné les ethnologues européens dès la fin du XIXe siècle. Des pagnes de danse Kuba en raphia dont les motifs géométriques inspirèrent des artistes comme Klee, Matisse ou Picasso, aux masques Songye aux accents « cubistes », en passant par les « fétiches » nkissi dardés de clous dont la charge magico-religieuse était censée repousser les mauvais esprits, on reste subjugué par la force qui se dégage encore de ces objets en dépit de leur décontextualisation… LE FONDS D’ARCHIVES HANS HIMMELHEBER : UN NOUVEAU REGARD SUR L’ARTISTE AFRICAIN On comprend dès lors le choc éprouvé par le jeune Allemand Hans Himmelheber (1908-2003) lorsqu’il découvre, au plus fort de la domination coloniale belge, l’extrême diversité des pratiques esthétiques et cultuelles du Congo. Titulaire d’un doctorat de médecine, ce dernier se prend alors de passion pour l’Afrique et devient un acteur essentiel dans la reconnaissance de l’art africain...

Revivifier le regard sur les icônes de l’art traditionnel du Congo en les confrontant aux interrogations multiples des artistes d’aujourd’hui, tel est le propos ambitieux de l’exposition du Musée Rietberg. S’appuyant sur l’extraordinaire documentation rassemblée dès la fin des années trente par l’ethnologue allemand Hans Himmelheber, le parcours provoque de salutaires télescopages, propices à la réflexion.Hans Himmelheber Personnage masqué avec des hommes, région de Pende, 1938 Négatif en noir et blanc © Musée Rietberg - Donation Erben

Peu de régions d’Afrique peuvent rivaliser avec la République démocratique du Congo en matière d’audaces et d’inventions plastiques. Visiter les collections du Musée de Tervuren en Belgique, ou celles du Musée Rietberg de Zurich, c’est voyager ainsi au cœur d’un foisonnement de formes et d’usages qui ont littéralement fasciné les ethnologues européens dès la fin du XIXe siècle. Des pagnes de danse Kuba en raphia dont les motifs géométriques inspirèrent des artistes comme Klee, Matisse ou Picasso, aux masques Songye aux accents « cubistes », en passant par les « fétiches » nkissi dardés de clous dont la charge magico-religieuse était censée repousser les mauvais esprits, on reste subjugué par la force qui se dégage encore de ces objets en dépit de leur décontextualisation…

LE FONDS D’ARCHIVES HANS HIMMELHEBER : UN NOUVEAU REGARD SUR L’ARTISTE AFRICAIN

Monsengo Shula, Ata Ndele Mokili (Tôt ou tard le monde changera), 2014 Acrylique et paillettes sur toile, 130 x 200 cm, Collection H

On comprend dès lors le choc éprouvé par le jeune Allemand Hans Himmelheber (1908-2003) lorsqu’il découvre, au plus fort de la domination coloniale belge, l’extrême diversité des pratiques esthétiques et cultuelles du Congo. Titulaire d’un doctorat de médecine, ce dernier se prend alors de passion pour l’Afrique et devient un acteur essentiel dans la reconnaissance de l’art africain à travers ses écrits et les innombrables photographies qu’il effectue au fil de ses quatorze expéditions sur le terrain. « Hans Himmelheber a été un des premiers Occidentaux à mettre en avant les artistes traditionnels et à donner leurs noms. Il a ainsi consacré une étude approfondie à trois sculpteurs Baoulé de Côte d’Ivoire et a mené plusieurs entretiens avec des sculpteurs de masques Yaka », explique Michaela Oberhofer qui dirige depuis 2018 un projet de recherche sur les archives de Hans Himmelheber en collaboration avec l’Université de Zurich.

C’est ainsi plus de sept cent cinquante objets, quinze mille photographies et une extraordinaire masse de documents écrits qui sont venus enrichir les collections du Musée Rietberg, apportant un éclairage essentiel sur la personnalité et les conditions de création des artistes traditionnels africains, les secrets de fabrication des masques et les rituels d’initiation qui les accompagnaient.

Mais loin d’être seulement un scientifique et un photographe, Hans Himmelheber fut aussi un collectionneur et un marchand qui contribua à la « fabrique du regard » et à la diffusion de l’art africain dans le réseau du marché global des années trente. « Pour financer ses expéditions, il était obligé de vendre des objets d’art achetés sur place. Les Musées d’ethnologie de Bâle et de Genève, ainsi que la Weyhe Gallery à New York, comptaient parmi ses principaux sponsors et clients. Il avait aussi noué des contacts étroits avec le Musée de l’Homme et connaissait très bien le galeriste parisien Charles Ratton », souligne Michaela Oberhofer. Par ses multiples activités, Hans Himmelheber a dès lors participé à la transmission des savoirs, mais aussi à la circulation et au collectionnisme des œuvres. Les visiteurs du Pavillon des Sessions, au Louvre, peuvent ainsi admirer, parmi d’autres chefs-d’œuvre, l’une des pièces que l’ethnologue offrit en 1933 au Musée d’Ethnographie du Trocadéro : la célèbre boîte à divination Baoulé de Côte d’Ivoire…

Michèle Magema Evolve, 2019 Dessin, réalisé à la demande du Musée Rietberg

« SORTIR DU PRIMITIVISME EN RÉACTIVANT LE REGARD »

Mais loin de vouloir réserver au seul usage des historiens de l’art ce fonds exceptionnel d’archives écrites et visuelles, les conservateurs du Musée Rietberg ont eu l’heureuse idée de l’offrir aux regards d’artistes contemporains de la République du Congo, qui l’ont approprié avec force et émotion. Ainsi, star des biennales internationales, Sammy Baloji (né en 1978) a conçu une installation multimédia dans laquelle il remet en question la décontextualisation des objets exposés dans les musées, en essayant de les faire revivre grâce à une réinterprétation des anciennes pratiques de la mémoire. Le jeune écrivain Sinzo Aanza (né en 1990) se penche, quant à lui, sur la question de la restitution des œuvres pillées, par le biais d’une installation sonore mêlant ses propres textes aux enregistrements qu’il a effectués au sein des villages visités dans les années trente par Hans Himmelheber. Vivant à Paris, l’artiste Michèle Magema (née en 1977) interroge de son côté le passé douloureux de sa famille condamnée à l’acculturation, par l’entremise d’une installation d’une poignante intensité. C’est donc toute l’originalité de cette exposition que de vouloir s’affranchir du sempiternel « primitivisme européen » en confrontant œuvres traditionnelles et créations contemporaines. Documentant le contexte colonial dans lequel tous ces objets ont été collectés, tout en les réactivant par des interventions plurielles, elle n’oublie pas pour autant d’en souligner la dimension esthétique originelle. Soit un amour du « Beau » décliné sous toutes ses formes que l’on retrouve, près d’un siècle plus tard, chez les « Sapeurs » (du mouvement SAPE qui signifie « Société des ambianceurs et des personnes élégantes ») qui affichent leur dandysme dans les rues de Kinshasa, mais aussi de Zurich.

Bérénice Geoffroy-Schneiter

Hans Himmelheber Femmes avec coiffures traditionnelles Région de Kuba, 2 février, 1939 Négatif en noir et blanc Musée Rietberg

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