Pop et en ordre – De l’influence du Pop Art en Suisse

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Son approximatif calembour mis à part, le titre de cet article surprendra peut-être plus d’un lecteur. Verte Helvétie des pâturages, Suisse opulente des banques ou austère Confédération helvétique… Il n’y a assurément pas grand-chose dans ces représentations qui soit de nature à renvoyer spontanément l’amateur d’art moyen au glamour acidulé des «  pin-up » dont le Pop Art fut si friand. Pourtant, venue d’Amérique, la vague du Pop Art a bel et bien déferlé sur la Suisse comme sur le reste du monde. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il eut fallu, pour cela, être à l’abri du consumérisme naissant des années cinquante-soixante, ou être un pays dépourvu d’artistes, ou les deux, et la Suisse n’était ni l’un ni l’autre. Swiss Pop Art, présentée actuellement à Aarau par l’Aargauer Kunsthaus se penche sur cette période méconnue de l’histoire helvétique des arts, avec un sous-titre qui en indique à la fois l’ambition et les limites : Formes et tendances du Pop Art en Suisse. Le parti-pris des commissaires en fait nécessairement une exposition plus panoramique que didactique, ce qui n’empêche pas ce champ, parfois élargi au-delà du raisonnable, d’être scruté avec attention par les différents contributeurs d’un volumineux catalogue. Le Pop Art a été vu par beaucoup de critiques comme le premier mouvement spécifiquement américain. Avec raison, car à l’inverse de l’expressionnisme abstrait, qui s’inscrit clairement dans la tradition picturale, le Pop Art est intrinsèquement lié à l’american way of life. Il hérite bien sûr de certaines pratiques des avant-gardes modernes, comme l’usage...

Son approximatif calembour mis à part, le titre de cet article surprendra peut-être plus d’un lecteur. Verte Helvétie des pâturages, Suisse opulente des banques ou austère Confédération helvétique… Il n’y a assurément pas grand-chose dans ces représentations qui soit de nature à renvoyer spontanément l’amateur d’art moyen au glamour acidulé des «  pin-up » dont le Pop Art fut si friand.

Pourtant, venue d’Amérique, la vague du Pop Art a bel et bien déferlé sur la Suisse comme sur le reste du monde. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il eut fallu, pour cela, être à l’abri du consumérisme naissant des années cinquante-soixante, ou être un pays dépourvu d’artistes, ou les deux, et la Suisse n’était ni l’un ni l’autre.

Swiss Pop Art, présentée actuellement à Aarau par l’Aargauer Kunsthaus se penche sur cette période méconnue de l’histoire helvétique des arts, avec un sous-titre qui en indique à la fois l’ambition et les limites : Formes et tendances du Pop Art en Suisse. Le parti-pris des commissaires en fait nécessairement une exposition plus panoramique que didactique, ce qui n’empêche pas ce champ, parfois élargi au-delà du raisonnable, d’être scruté avec attention par les différents contributeurs d’un volumineux catalogue.

Le Pop Art a été vu par beaucoup de critiques comme le premier mouvement spécifiquement américain. Avec raison, car à l’inverse de l’expressionnisme abstrait, qui s’inscrit clairement dans la tradition picturale, le Pop Art est intrinsèquement lié à l’american way of life. Il hérite bien sûr de certaines pratiques des avant-gardes modernes, comme l’usage de matériaux modernes, de procédés industriels – sans oublier la peinture acrylique, mais en fait un usage bien différent, tout comme le rapport à l’objet vernaculaire diffère sensiblement de celui entretenu par les dadaïstes et néo-dadaïstes.

Peter Stämpfli Tomate, 1964 Huile sur toile, 134 x 138 cm Fundació Stämpfli, Sitges (Barcelona) © Photo : Primula Bosshard
Peter Stämpfli – Tomate, 1964. Huile sur toile, 134 x 138 cm
Fundació Stämpfli, Sitges (Barcelona)
© Photo : Primula Bosshard

On comprendra donc que, si le Pop Art ne constitue que la seconde vague artistique venue d’outre-atlantique après l’expressionnisme abstrait, tant les raisons qui la poussent que sa réception en Europe apparaissent dissemblables. La guerre, en même temps qu’elle coûtait la vie à des dizaines de milliers de jeunes Américains, apporta une prospérité inouïe, ainsi qu’une supériorité politique et morale incontestable. Le basculement du centre de gravité artistique de l’Europe à l’Amérique, de Paris et Berlin à New York, apparaissait dans le sens de l’Histoire, et la nouvelle peinture américaine fut un élément de choix, fortement symbolique, dans la mise en place de la domination culturelle américaine. Pour autant, les artistes européens menaient au même moment des recherches qui ne différaient guère, aussi bien sur le fond que sur la forme, de celles d’un Pollock ou d’un Kline.

Bien que ses premières racines soient anglaises, le Pop Art est quant à lui consubstantiel à un softpower américain désormais bien installé au début des années soixante, et à un mode de vie où progrès rime avec confort. Il trouve avec l’émergence de la société de consommation son lit fait, ou presque, dans tout l’Occident. Toutefois, la réception du Pop par les artistes européens est loin de se limiter à la reprise servile. S’il est accueilli avec intérêt, voire avec gratitude par les plus jeunes, ce New Deal artistique suscite rapidement chez les plus talentueux une réappropriation qui traduit à la fois la survivance des différences culturelles et la prégnance d’une certaine autonomie artistique du vieux continent.

La Suisse, pays relativement exigu et dépourvu de grandes villes, à la mentalité plutôt sérieuse et conservatrice, fait un accueil mitigé au Pop Art, auquel la critique reproche sa vulgarité et surtout, sa superficialité. Dans un pays fortement marqué par l’esthétique du Bauhaus et de De Stijl, par le constructivisme et l’art concret, et dans lequel un artiste comme Max Bill est devenu une figure quasi-tutélaire, le contraire, en fait, eut été surprenant.

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Ainsi se dégage une première caractéristique du Pop Art en Suisse, qui sans être absolument spécifique n’en apparaît pas moins notable et signifiante : il est une affaire de jeunes, et plus précisément de jeunes artistes, pour qui il représente à la fois le moyen de défier l’autorité – artistique s’entend –  et, plus sérieusement, celui d’échapper à la pesanteur de l’abstraction. Markus Müller ira jusqu’à parler de « l’atmosphère moisie  de la classe des professeurs de dessins de Zurich »…
Emilienne Farny Sans titre, 1965, Acrylique sur papier, 63,5 x 49,5 cm, Collection Privée © Photo : Brigitt Lattmann

Corrélativement, on observe dans de nombreuses œuvres d’artistes suisses de l’époque une certaine ironie vis-à-vis du bonheur suisse, dont les clichés sont représentés selon les codes du Pop. On pense à certaines œuvres de Max Matter, de Samuel Buri, ou de Hugo Schuhmacher, mais aussi aux photos coloriées de la série Souvenirs aus Appenzell de Barbara Davatz ou celle un peu plus tardive d’Émilienne Farny intitulée – précisément – Le bonheur suisse. Cet aspect de critique sous-jacente se distingue ainsi dans son objet de celui que l’on peut observer par exemple en France, qui porte une critique sociale plus générale, et plus encore de son « modèle » américain qui quant à lui ne se départ jamais d’une certaine ambiguïté.

L’autre particularité du Pop Art suisse nous renvoie à un certain goût helvétique pour l’abstraction, une certaine exigence intellectuelle un peu austère, là encore assez éloignée des sensibilités françaises ou américaines. Dès le début, Markus Raetz ou Urs Lüthi vont produire des œuvres dont les tendances formelles ou conceptuelles tendent à s’éloigner des canons du Pop. Nombreux également sont ceux qui, comme Franz Gertsch ou dans une moindre mesure Emilienne Farny, changent sensiblement de direction, optant pour un certain réalisme – voire hyperréalisme – photographique tout en conservant une attirance pour les sujets vernaculaires ou populaires. Après avoir produit dans les années soixante d’intéressantes œuvres pop, Rainer Alfred Auer développe à partir des années septante une œuvre basée sur les principes de l’art concret. Peter Stämpfli, de son côté, opère à partir d’une iconographie pop une progressive focalisation qui l’emmène vers ce qu’on a pu qualifier d’abstraction figurative.

A contrario, certains artistes, comme Markus Müller ou Margrit Jäggli, produisirent des œuvres pop fort réussies mais peu originales ; avec une certaine logique cruelle, leur postérité artistique semble devoir se limiter à leur présence dans des exposition comme celle d’Aarau.

Ainsi, l’examen du Pop Art suisse ne diffère finalement guère du même examen mené ailleurs – à l’exception des USA – , au moins dans ses conclusions : le Pop Art mena à tout, à condition d’en sortir. Les auteurs du catalogue eux-mêmes s’étonnent de la quasi-unanimité manifestée aujourd’hui  par les artistes à minimiser, voire à dénigrer leur « période pop », et ceci dans des termes finalement voisins de ceux des critiques qui les accablaient à l’époque.

Alors, le Pop Art, un péché de jeunesse pour les artistes suisses, comme a pu le dire Urs Lüthi ? S’il faut nuancer l’affirmation – et Lüthi lui-même s’en est chargé – , il n’en reste pas moins qu’avec le recul, force est d’avouer que seuls les artistes ayant su in fine « digérer » le Pop pour construire leur œuvre ont laissé une trace significative. Comme si l’Art, en définitive, s’était séparé du Pop.

NOTA BENE : Exposition Swiss Pop Art, Formes et tendances du Pop Art en Suisse, Aargauer Kunsthaus, Aarau, Jusqu’au 1er octobre 201

Philippe Boyer

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