Roy Lichtenstein – Un point c’est tout

Roy-Lichtenstein
Le travail du peintre américain, décédé en 1997, est présenté jusqu’au mois de novembre au Centre Pompidou dans une rétrospective très complète, incluant non seulement l’œuvre gravé et sculpté, rarement montré, mais aussi un large éventail de tableaux qui permettent d’aller bien au-delà du Whaam! primordial... Roy Lichtenstein est en effet finalement peu connu en France ; il se résume quasiment à quelques-uns de ses tableaux les plus emblématiques, même si sa manière très caractéristique fait reconnaître presque infailliblement la plupart de ses toiles, voire de ses sculptures. L’exposition de Beaubourg met l’accent sur les différentes époques de la longue carrière du peintre, distinguant derrière cette unité stylistique de façade un Lichtenstein pop, un Lichtenstein postmoderne et enfin un dernier, classique. À l’aube des années 60, le changement de paradigme du monde occidental semble avéré ; d’un monde industriel, né plus d’un siècle auparavant, on est passé à ce que l’on peut considérer comme l’étape suivante, la société de consommation. La publicité est le moyen impératif de cette transition, largement perçue comme nécessaire et souhaitable après les dévastations des deux guerres mondiales. Elle modifie radicalement le régime de l’image et sa puissance va rapidement et profondément faire muter la vieille culture visuelle installée depuis la fin du xixe siècle par la lithographie et la gravure. L’imagerie publicitaire ou commerciale, confrontée aux impératifs de concurrence et de rentabilité, vise à l’efficacité maximale, en un minimum de temps ; pour ce faire, elle use non seulement de la répétition, mais aussi de la simplification du...

Le travail du peintre américain, décédé en 1997, est présenté jusqu’au mois de novembre au Centre Pompidou dans une rétrospective très complète, incluant non seulement l’œuvre gravé et sculpté, rarement montré, mais aussi un large éventail de tableaux qui permettent d’aller bien au-delà du Whaam! primordial…

Roy Lichtenstein est en effet finalement peu connu en France ; il se résume quasiment à quelques-uns de ses tableaux les plus emblématiques, même si sa manière très caractéristique fait reconnaître presque infailliblement la plupart de ses toiles, voire de ses sculptures. L’exposition de Beaubourg met l’accent sur les différentes époques de la longue carrière du peintre, distinguant derrière cette unité stylistique de façade un Lichtenstein pop, un Lichtenstein postmoderne et enfin un dernier, classique.

À l’aube des années 60, le changement de paradigme du monde occidental semble avéré ; d’un monde industriel, né plus d’un siècle auparavant, on est passé à ce que l’on peut considérer comme l’étape suivante, la société de consommation. La publicité est le moyen impératif de cette transition, largement perçue comme nécessaire et souhaitable après les dévastations des deux guerres mondiales. Elle modifie radicalement le régime de l’image et sa puissance va rapidement et profondément faire muter la vieille culture visuelle installée depuis la fin du xixe siècle par la lithographie et la gravure.

L’imagerie publicitaire ou commerciale, confrontée aux impératifs de concurrence et de rentabilité, vise à l’efficacité maximale, en un minimum de temps ; pour ce faire, elle use non seulement de la répétition, mais aussi de la simplification du fond comme de la forme. Malgré son indignité fondamentale, ce nouveau régime d’image ne peut que fasciner les artistes de l’époque, tout comme la perfection industrielle d’une hélice d’avion fascinait en leur temps Brancusi, Duchamp et Léger.

De son côté, aux États-Unis, l’expressionnisme abstrait s’est essoufflé après avoir brillamment triomphé des complexes d’infériorité de l’art américain, sans pour autant avoir résolu de manière convaincante le vieux conflit entre abstraction et figuration. Dans le monde artistique, les terrae incognitae semblent avoir été déjà largement défrichées par les avant-gardes, et certaines questions apparaissent de plus en plus cruciales, mais aussi peut-être, de plus en plus incertaines quant à leur résolution. Celle de l’essence de l’art en général et de la peinture en particulier, prise dans la perspective téléologique  du modernisme, semble arriver dans une impasse, et la critique d’art, qui joue un rôle très important à l’époque, va bientôt commencer à s’écharper à ce sujet. Mais si le langage de la critique d’art paraît impuissant – et il le restera longtemps, la théorie postmoderne ne s’élaborant définitivement qu’à l’aube des années quatre-vingt – celui formel et plastique des artistes va s’avérer mieux à même de résoudre les questions qui se posent à lui.

Lorsqu’en 1961, Roy Lichtenstein peint Look Mickey, il est âgé de trente-huit ans et ce n’est pas tout-à-fait la première fois qu’il se confronte à l’imagerie populaire. Toutefois cette œuvre marque non seulement un tournant stylistique, mais aussi et surtout une amélioration méthodologique. Depuis ses débuts, le peintre expérimente en effet, autour du sujet en peinture, les possibilités conjointes de sa permanence et de son effacement. Mais alors qu’il obtenait jusqu’alors son décalage par sa manière de peindre des sujets tirés du folklore américain, traités dans un style expressionniste ou cubiste volontairement naïf, la double adoption d’un style et de sujets tirés soit des comics destinés à la jeunesse américaine soit de représentations publicitaires très simplifiées d’objets du quotidien, va lui permettre de raffiner sa recherche et de l’orienter dans une direction qui déterminera directement toute la suite de son œuvre.

L’imitation des techniques d’impression industrielle bon marché lui permet une mise à distance des affects bien plus directe, claire et efficace que la transposition des styles à l’œuvre dans sa première manière. Le style, c’est l’absence de style. À ce premier éclaircissement du sujet s’ajoute celui obtenu par la simplification à l’œuvre dans les images qui lui servent de support. Les conventions graphiques des comics, le dessin au trait de l’illustration publicitaire, ainsi que la multiplicité des images autour d’un même objet lui permettent de se rapprocher de ce qu’en arithmétique on nommerait « le plus petit dénominateur commun » et que Lichtenstein appelle le sujet dans sa forme archétypale « la plus dure ».

Contrairement à ce qui lui a été parfois reproché, l’artiste bien sûr ne s’arrête pas là. Le style mécanique, industriel, cache paradoxalement un travail manuel soigneux, que le peintre organise pour que son rapport au tableau en cours devienne presque abstrait, en combinant les effets de l’agrandissement et des astuces d’atelier, comme l’utilisation d’un chevalet pivotant qui lui permet de basculer le tableau sur son côté pendant qu’il travaille. D’autre part, comme on peut le constater en consultant les cahiers où il colle et conserve les images qui ont attiré son œil, Lichtenstein modifie le plus souvent, et parfois largement la composition. En outre, les détails du décor disparaissent et le cadrage agrandi focalise le regard sur le punctum narratif, en l’occurrence dans le cas des comics celui de la détresse féminine ou de la furia guerrière masculine.

Dès 1964, Roy Lichtenstein va néanmoins se détourner de ces premières séries d’images, où l’omniprésence du signifié – conventions de genre, présence des dialogues – l’éloigne par trop de ses préoccupations proprement picturales. C’est désormais à nouveau dans l’histoire de l’art qu’il va aller chercher ses images, se plaçant résolument dans la continuité des recherches de Cézanne, Matisse ou Picasso, entre autres prédécesseurs illustres. Comme il le faisait pour l’imagerie populaire, Lichtenstein opère un choix. Il reprend des motifs classiques comme le miroir, mais aussi la fumée ou la lumière, pour le défi pictural et intellectuel qu’ils représentent ; Il reprend également des œuvres complètes, soit pour les mêmes raisons, soit pour leur qualité iconique, c’est-à-dire pour l’image au figuré. Sa recherche se complexifie, il joue avec la mise en abyme, la métaphore, peint l’image à plusieurs niveaux.

À partir des années 90, Lichtenstein va commencer à peindre des nus et des paysages. L’intérêt de l’artiste pour la notion conventionnelle de genre en peinture reflète là encore leur qualité de représentation, et s’inscrit dans sa recherche constante sur la nature de l’image et du sujet. Si Roy Lichtenstein a su en explorer toutes les acceptions, des plus alambiquées aux plus concrètes, il a surtout su en transcrire tous les avatars sur la toile.

Dans cette optique, pop mais bien éloignée de Warhol, postmoderne sans vraiment l’être, Roy Lichtenstein fut avant tout et surtout un artiste classique, dans le meilleur sens de ce terme.

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