WAYNE THIEBAUD

Two Paint Cans, 1987
La Fondation Beyeler consacre une exposition individuelle à Wayne Thiebaud, artiste méconnu précurseur du Pop art. Une rétrospective haute en couleurs. Né en 1920 et mort en 2021, l’artiste américain Wayne Thiebaud a traversé le siècle. Ses œuvres, présentes dans les plus grands musées états-uniens à New York ou à San Francisco, sont rarement exposées en Europe. Il compte parmi les représentants majeurs de l’art figuratif américain, s’inscrivant dans la tradition de peintres tels que Edward Hopper et Georgia O’keeffe. Il a influencé des générations d’artistes comme Bruce Nauman et revendique son admiration pour Vélasquez, Cézanne et Mondrian. L’œuvre de Wayne Thiebaud est paradoxale. Elle se construit sur une tension entre curiosité et attraction. A la fois sociologique, distante, objective, ironique, elle rend hommage au plaisir et aux possibilités sensuelles et matérielles de la peinture. Les 65 tableaux et dessins – regroupés par thème et par salle, et issus de collections privées et publiques – atteste une technique remarquable où les palettes colorées témoignent d’un souci de l’abondance et de la texture. L’artiste peint des natures mortes qui mettent en scène les promesses et la profusion de l’American Way of Life. La poésie du quotidien se décline sous de nombreux motifs : tranches de cake parfaitement alignées, gâteaux de mariage, routes, lacs. Les jouets, animaux en peluche, cornets de glaces et distributeurs de chewing-gums sont autant de tentations de l’enfance. La sérialité et l’abondance sont des invités permanents. Tant et si bien que ces natures mortes d’aliments invitent à repenser la...

La Fondation Beyeler consacre une exposition individuelle à Wayne Thiebaud, artiste méconnu précurseur du Pop art. Une rétrospective haute en couleurs.

Né en 1920 et mort en 2021, l’artiste américain Wayne Thiebaud a traversé le siècle. Ses œuvres, présentes dans les plus grands musées états-uniens à New York ou à San Francisco, sont rarement exposées en Europe. Il compte parmi les représentants majeurs de l’art figuratif américain, s’inscrivant dans la tradition de peintres tels que Edward Hopper et Georgia O’keeffe. Il a influencé des générations d’artistes comme Bruce Nauman et revendique son admiration pour Vélasquez, Cézanne et Mondrian.

L’œuvre de Wayne Thiebaud est paradoxale. Elle se construit sur une tension entre curiosité et attraction. A la fois sociologique, distante, objective, ironique, elle rend hommage au plaisir et aux possibilités sensuelles et matérielles de la peinture. Les 65 tableaux et dessins – regroupés par thème et par salle, et issus de collections privées et publiques – atteste une technique remarquable où les palettes colorées témoignent d’un souci de l’abondance et de la texture.

L’artiste peint des natures mortes qui mettent en scène les promesses et la profusion de l’American Way of Life. La poésie du quotidien se décline sous de nombreux motifs : tranches de cake parfaitement alignées, gâteaux de mariage, routes, lacs. Les jouets, animaux en peluche, cornets de glaces et distributeurs de chewing-gums sont autant de tentations de l’enfance. La sérialité et l’abondance sont des invités permanents. Tant et si bien que ces natures mortes d’aliments invitent à repenser la société de consommation et les paradigmes de l’ancien et du nouveau monde.

L’œuvre de Wayne est souvent associée au Pop art si l’on considère son intérêt pour les objets de la culture populaire. L’artiste a d’ailleurs initialement débuté sa carrière comme graphiste dans les studios Walt Disney. Ses huiles sur toile influencées par l’univers du cartoon et des affiches de publicité donnent vie aux objets et créent une atmosphère qui mêle mélancolie et ironie – à l’image d’un portrait de couple occupé à consommer côte à côte et en silence leur hot dog et leur boisson XXL.

La solitude est un topo qui devient un motif pictural clé avec les autoroutes entrelacées, les paysages urbains sans figures humaines et les repas en solitaire. L’œuvre  People , qui joue de perspectives verticales et horizontales, représente la modernité sans ceux qui la construisent. Les hommes et les femmes ont disparu dans les tranches des immeubles hauts et des voitures.  A l’extérieur, l’intimité se transforme en oubli.

Les huiles sur toile exhibent des autoroutes baignées sous le soleil couchant de la côte ouest. La Californie est reine. On reconnaît Sacramento et San Francisco où Thiebaud a vécu une grande partie de sa vie. On sent son amour pour les grands espaces américains :  Flood waters où les lacs bleutés et dorés dialoguent avec la terre et l’horizon. Ponds and Streams  présente un paysage cultivé typique de la Californie du Nord, à mille lieux de zones touristiques. L’effet réaliste n’est pas du tout recherché. Les bosquets, les champs et les bassins sont bien présents mais la topographie des lieux s’affranchit de toute tentation réaliste. Wayne recherche la composition fragmentée et aléatoire qui émerge de ses souvenirs. L’artiste, qui est né en Arizona et a grandi à Long Beach en Californie, n’est pas étranger à ces territoires. Sa famille a tenu une exploitation agricole dans l’Utah durant la Grand Dépression.

Les tableaux de paysages et de villes de l’artiste sont moins connus.  Rock Ridge  ou  Canyon Mountains  invitent le spectateur au cœur des parois rocheuses sur lesquelles on aimerait grimper. A partir des années 60, Wayne peint le dehors. Il sublime San Francisco, ses collines, ses rues escarpées, ses folles perspectives. Il exalte le fleuve de Sacramento vu du ciel. Il magnifie les sommets imposants et les chaînes montagneuses de la Sierra Nevada, laissant le spectateur saisi de vertige. Les couleurs pastel dominent, un usage lumineux de la couleur qui fait passer les objets au premier plan. Elles deviennent omniprésentes avec la mise en scène des objets de production eux-mêmes. Aussi,  Two Paint Cans  marque la fin des natures mortes et ouvre une réflexion personnelle sur la relation intime entre le travail de l’artiste et son matériel.

Au-delà des peintures de paysages urbains, fluviaux et des natures mortes, Wayne Thiebaud excelle dans l’art du portrait. Les figures des tableaux  Girl with pink hat  ou  Student  en attestent. La jeune étudiante est assise, le regard planté dans celui du spectateur. La puissance des couleurs est telle qu’elle produit un double effet de distance et de présence : plus on s’approche du tableau, plus le personnage redouble d’existence. Wayne se fait le roi de la perception et de l’émotion. Sa technique remarquable, qui s’appuie sur un usage tactile de la matière et de la lumière, donne à voir une nostalgie de la couleur. Les figures sont absorbées dans une mélancolie qui les plonge dans un vide pastel.

L’œuvre du précurseur du Pop art a une dimension critique sans laisser pour autant de côté son humour. Dans 35 Cent Masterworks, l’artiste dresse non pas une liste de ses envies mais une sélection des artistes aimés. Douze œuvres importantes de l’Histoire de l’art trônent sur une étagère : Nature morte à la guitare de Picasso, Les Nymphéas de Monet, Tableau n° IV de Mondrian sont tous à vendre pour 35 centimes. Imbattable ! A sa façon, Wayne évoque la valeur marchande des œuvres d’art et questionne avec subtilité la relation entre original et reproduction.

A partir d’un système proche de l’hyperréalisme, Wayne Thiebaud rompt paradoxalement avec une certaine idée du réalisme et invite le spectateur à entrer dans un monde où l’artiste aurait invité un Hopper shooté à Disney. La magnifique rétrospective le confirme : Wayne Thiebaud est un immense artiste. Il révolutionne l’Histoire de l’art, repense les enjeux de la figuration et un rapport puissant à la couleur. Il fait preuve d’une frontalité provocante en faisant dialoguer le monde tel que nous l’imaginons et le monde réel. Le résultat est scintillant.

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