Eh oui, pour une saison, avec cette magnifique exposition de tableaux présentée jusqu’au 31 octobre par Joséphine Matamoros au musée d’Art moderne de cette ville, la plus jolie du Roussillon. Rues étroites, venelles ombreuses, façades empreintes d’une austère dignité, fontaines qui se permettent à peine un chuchotement, au loin la muraille des Pyrénées : une architecture et un décor qui attirèrent dès 1911 le jeune Picasso, et, à sa suite, Braque, Juan Gris, Max Jacob. Ce furent ensuite Soutine et Masson, Chagall et Dufy, Albert Marquet, André Lhote, Jean Cocteau… Qui n’a pas séjourné à Céret, depuis un siècle ? La tradition perdure, puisque le parcours se termine sur les superbes toiles de Vincent Bioulès, exaltations métaphysiques du Canigou et de la densité feuillue des Albères.
Prince de l’exposition : Chaïm Soutine, hôte de Céret entre 1919 et 1922. Pauvre et alcoolique, il payait ses ardoises en tableaux. Le génie pur. Il peignait les rues et les arbres de la ville. Vingt tableaux de cette époque sont ici montrés. Il est fascinant de comparer les paysages réels et la métamorphose que leur faisait subir le peintre. Les noms inscrits au bas des tableaux sont encore les mêmes que les noms des plaques toponymiques : rue de la République, rue Pierre-Brune, place de la Liberté, église Saint-Pierre, couvent des capucins. Une place, des rues régulières, plantées de platanes bien droits, des bâtiments d’aplomb. Soutine balaye toute cette rectitude française et déchaîne une tempête russe qui emporte maisons et arbres dans un vent de folie. Les troncs sont écorchés, rouge vif, ils penchent de côté, les maisons aussi, prises de vertige, semblent prêtes à basculer. On songe à Van Gogh, par l’épaisseur de la touche de couleur, la marque du pouce dans la matière, par la violence baroque du chavirement, par l’explosion plastique de ce qui paraissait si sage dans la nature.
A l’opposé de ce délire visionnaire, il est curieux de constater l’autre voie ouverte par le séjour des peintres à Céret : la voie sévère de l’abstraction cubiste. Outre les noms illustres cités plus haut, le visiteur aura sans doute la révélation d’un artiste moins connu, Auguste Herbin, admirable organisateur de formes géométriques. Mais Céret, la lumière de Céret agit sur lui. Vingt-quatre tableaux permettent de suivre son évolution. Il se détache peu à peu du cubisme monochrome ou en teintes sombres des Picasso, Braque, Juan Gris, pour réfléchir dans ses toiles l’éclat du soleil catalan. Le Chêne-liège, La Route muletière, Les Trois Arbres, Paysage de Céret, Le Canigou, pour en rester à sa production de 1913, sont d’extraordinaires fêtes de couleurs, tout en respectant l’idéal d’austérité angulaire. Le Canigou, montagne qui domine la région à presque trois mille mètres d’altitude et impose sa structure pointue, devient, peint en rouge par Herbin, un modèle de géométrie gaie. On sort du musée étourdi de beauté et de bonheur.