Une rigueur embrasée

Dominique Fernandez / Artpassions
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Retenez ce nom : Jan Lisiecki. Il a seize ans depuis le 23 mars, des parents polonais, la beauté fine de Tadzio, un casque d’or sur la tête, la grâce au bout des doigts. Au dernier festival de musique de Gstaad, il a fait le concert d’ouverture de la semaine des jeunes pianistes. A 16h, dans la minuscule et délicieuse chapelle. Les douze Études op.25 puis la Grande Polonaise de Chopin. Pas trace de cabotinage, dans ce programme vertigineux. Aucune surabondance de sentiment, aucun abus d’effets, ces travers juvéniles. Pas de grandes orgues en cataracte. Au contraire : l’alliance du cœur et de l’esprit. Une rigueur embrasée, une fureur amusée, une sérénité acrobatique, une gourmandise têtue. Il fallait le voir, penché sur son piano, sans partition, pétrissant cette lave en fusion, déchaînant le tumulte tout en détachant de cette tempête sonore chaque note distinctement.      Il a joué aussi du Bach – son compositeur préféré, dit-il -, mais là, il n’a pas encore la maturité nécessaire. Son Bach est trop fiévreux, presque hoquetant – trop jeune, sans cette hauteur, cette distance indispensables. Chopin, en revanche, il se jette dedans comme un sorcier dans le feu. Ce fut un grand moment. Né et élevé au Canada, Jan est resté slave dans l’âme, dans l’élan, dans ce quelque chose de plus qui manque à l’Occident.      Aux « Sommets musicaux de Gstaad » (première semaine de février), on trouve deux sortes de concerts, dans un village où, paradoxalement, n’existe aucune salle à cet usage. Un des...

Retenez ce nom : Jan Lisiecki. Il a seize ans depuis le 23 mars, des parents polonais, la beauté fine de Tadzio, un casque d’or sur la tête, la grâce au bout des doigts. Au dernier festival de musique de Gstaad, il a fait le concert d’ouverture de la semaine des jeunes pianistes. A 16h, dans la minuscule et délicieuse chapelle. Les douze Études op.25 puis la Grande Polonaise de Chopin. Pas trace de cabotinage, dans ce programme vertigineux. Aucune surabondance de sentiment, aucun abus d’effets, ces travers juvéniles. Pas de grandes orgues en cataracte. Au contraire : l’alliance du cœur et de l’esprit. Une rigueur embrasée, une fureur amusée, une sérénité acrobatique, une gourmandise têtue. Il fallait le voir, penché sur son piano, sans partition, pétrissant cette lave en fusion, déchaînant le tumulte tout en détachant de cette tempête sonore chaque note distinctement.

     Il a joué aussi du Bach – son compositeur préféré, dit-il -, mais là, il n’a pas encore la maturité nécessaire. Son Bach est trop fiévreux, presque hoquetant – trop jeune, sans cette hauteur, cette distance indispensables. Chopin, en revanche, il se jette dedans comme un sorcier dans le feu. Ce fut un grand moment. Né et élevé au Canada, Jan est resté slave dans l’âme, dans l’élan, dans ce quelque chose de plus qui manque à l’Occident.

     Aux « Sommets musicaux de Gstaad » (première semaine de février), on trouve deux sortes de concerts, dans un village où, paradoxalement, n’existe aucune salle à cet usage. Un des charmes de ce festival, justement, c’est qu’il n’a pas de lieu à lui. La musique n’y est pas enfermée dans un ghetto musical, elle est partout, dans les sourires des promeneurs qu’on croise, dans l’air qu’on respire, dans les maisons de bois de la rue unique, sur les premières pentes des montagnes, sur le mufle rose des vaches qui prennent le soleil aux terrasses des étables. Le soir, elle se concentre dans les églises des deux villages voisins, Saanen ou Rougemont, à quelques kilomètres, car à Gstaad il n’y a pas même d’église ! Là, se produisent les artistes confirmés, là, ont défilé au cours des années  les Nelson Freire, les Vadim Repin, les Elisabeth Leonskaja, les Diana Damrau. Cette année : Gerhard Oppitz, Marc-André Hamelin, le merveilleux duo de pianistes Yaara Tal et Andreas Groethuysen, et le duo piano et violoncelle de Francesco Piemontesi et Daniel Müller-Schott, qui ont interprété avec un brio magistral la sonate de Chostakovitch – hommage à la musique russe trop absente de ce festival. Hamelin, en bis, a donné une paraphrase pour la main gauche, de sa propre création, sur une des plus belles mélodies de Tchaïkovski, et le « colossal » Brahms, surreprésenté, a été balayé par ce vent frais de pure poésie.

     Le plaisir est vif, d’écouter ces stars. Mais plus forte encore l’émotion qu’on éprouve dans la chapelle de Gstaad – à peine cent vingt places – qui chaque jour, à 16h, accueille un débutant. Chacun s’expose, se défonce, tire de la pâte encore tendre de son acerbe sensibilité un bouillonnement d’énergies. On assiste à la naissance du talent, à l’éclosion d’une fleur, au décochement d’une flèche d’or dans le mur opaque de la grisaille quotidienne. Mélodie Zhao, 16 ans. Mona Asuka Ott, 19 ans. Lara Melda, 16 ans. Juan Pérez Floristan, 17 ans. Benjamin Grosvenor, 18 ans. À part une – dont je tairai le nom – qui prenait le piano pour un marteau piqueur, tous et toutes remarquables, riches de promesses. La petite classe exultante ! Cet après-midi du 29 janvier 2011, quand Jan Lisiecki eut achevé son concert, tout le monde a senti, les frémissements de la dernière note éteints, qu’une nouvelle étoile s’était levée.

     Bon anniversaire, Jan !

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