En février 1909, il y a cent ans, commençait l’aventure littéraire qui a changé le visage de la littérature française. Où en était-on, en 1909 ? À Pierre Loti, à Émile Zola, à Paul Bourget, à Maurice Barrès, à Anatole France. Comme tout cela sonne vieux, aujourd’hui ! L’exotisme chatoyant du premier, le réalisme agressif du deuxième, la lourdeur didactique du troisième, la prédication nationaliste du quatrième, l’élégance salonarde du dernier, un certain nombre de jeunes hommes n’en voulaient déjà plus, en 1909. À leur tête, il y avait André Gide, déjà célèbre, mais dans un tout petit cercle d’initiés. Ils décidèrent de créer une revue qui serait le miroir de leurs aspirations. Place à une littérature qui serait vraiment moderne, c’est-à-dire aussi dégagée des chichis stylistiques que des préoccupations morales et politiques, une littérature soucieuse seulement de vérité.
Un nouvel humanisme : c’est ainsi qu’il faudrait définir l’entreprise. Pas de doctrine, mais l’exigence de la qualité. La Nouvelle Revue Française imposa les auteurs qui, avec Gide, renouvelèrent le paysage littéraire : Proust, Valéry, Claudel, puis Jean Paulhan, Aragon, Drieu La Rochelle, Giono, Montherlant, Malraux, Ramuz, et tant d’autres. Les deux plus grands critiques de l’entre-deux-guerres, Ramon Fernandez et Albert Thibaudet, tenaient une chronique régulière. Les notes et notules étaient signées des plus grands noms : Larbaud, Cocteau, Morand, Kessel, Crevel, Queneau. Avant la Seconde Guerre mondiale, Sartre y fit ses débuts, et, tout de suite après la guerre, Butor, Robbe-Grillet, Jaccottet. Elle se publie toujours, au rythme ralenti de quatre livraisons par an, mais ne joue plus aucun rôle.
La revue fit découvrir aussi nombre de grands auteurs étrangers : Conrad, Meredith, Dostoïevski, Rilke, Ungaretti, Melville, Hemingway, etc. Elle avait ses bêtes noires : la facilité, la complaisance envers le public, les paillettes. Il ne suffisait pas de faire de « grosses ventes » pour y être admis : il fallait être un véritable écrivain, avoir la religion de son art. Mallarmé était leur dieu, D’Annunzio le modèle à ne pas suivre. Gide, avec son éthique protestante, donnait le ton : avoir le sens de la mesure, être soucieux d’économie, s’en tenir au mot juste. Chaque mois, la revue faisait l’opinion. Elle avait une ligne et n’en a jamais dévié. Rien à voir avec l’éclectisme qui règne aujourd’hui, où la seule règle est le succès. Un écrivain relativement obscur était préféré infiniment à un auteur en vogue. Jouhandeau, Jouve, Cingria, étaient considérés comme bien supérieurs à Duhamel ou à Maurois.
C’était cela, la NRF : ni une école ni une chapelle, mais un esprit, une recherche inlassable du vrai et du beau, de l’union du vrai et du beau. Une telle revue n’est plus possible aujourd’hui, parce que la société a changé. Les éditeurs lancent des « produits », destinés à une courte durée. La NRF visait à l’éternel : et c’est pourquoi on en parle encore.