La redécouverte de la sculptrice surréaliste Helen Phillips à Paris

Helen Phillips, Amants Novices, 1952, bronze poli
« Helen Phillips, Gail Singer et S. W. Hayter : l’atelier surréaliste »Exposition du 03.10 au 30.10.2024Galerie T&L61 rue de la Verrerie75004 Pariswww.tl-galerie.com Alors que le Centre Pompidou célèbre les cent ans du Surréalisme, la Galerie T&L propose dans ses locaux situés tout près du musée parisien, la première exposition mettant en relation les oeuvres de  la sculptrice surréaliste Helen Phillips (1913-1995) avec les tableaux de son époux, Stanley William Hayter (1901-1988). Elle leur associe également quelques oeuvres de l’une de leurs plus chères élèves, la peintre américaine Gail Singer (1924-1985), aujourd’hui relativement oubliée. L’exposition propose une confrontation originale entre les tableaux de Hayter (dont une oeuvre fait partie du parcours de l’exposition du Centre Pompidou) et de Singer et les oeuvres de Phillips, qui est l’une des rares femmes du mouvement surréaliste à avoir pratiqué la sculpture. Phillips et Hayter : sculpture et peinture, du surréalisme à l’abstraction Commençons cependant par présenter le mari. S. W. Hayter est l’un des principaux représentants du mouvement surréaliste : ce Londonien s’installe à Paris dès 1926 où, sans le sou, il partage une chambre avec Alexander Calder. Dès l’année suivante, il crée un atelier de gravure, l’Atelier 17, qui deviendra le principal lieu de l’estampe surréaliste à Paris : Picasso, Miró, Tanguy, Masson mais aussi Vieira da Silva et Giacometti viendront y pratiquer la gravure. Membre du groupe surréaliste, engagé pendant la Guerre d’Espagne au point de s’y rendre pour aider l’armée républicaine, Hayter est aussi, avec Roland Penrose, l’un de ceux qui introduisit...

« Helen Phillips, Gail Singer et S. W. Hayter : l’atelier surréaliste »
Exposition du 03.10 au 30.10.2024
Galerie T&L
61 rue de la Verrerie
75004 Paris
www.tl-galerie.com

Alors que le Centre Pompidou célèbre les cent ans du Surréalisme, la Galerie T&L propose dans ses locaux situés tout près du musée parisien, la première exposition mettant en relation les oeuvres de  la sculptrice surréaliste Helen Phillips (1913-1995) avec les tableaux de son époux, Stanley William Hayter (1901-1988). Elle leur associe également quelques oeuvres de l’une de leurs plus chères élèves, la peintre américaine Gail Singer (1924-1985), aujourd’hui relativement oubliée.

L’exposition propose une confrontation originale entre les tableaux de Hayter (dont une oeuvre fait partie du parcours de l’exposition du Centre Pompidou) et de Singer et les oeuvres de Phillips, qui est l’une des rares femmes du mouvement surréaliste à avoir pratiqué la sculpture.

Phillips et Hayter : sculpture et peinture, du surréalisme à l’abstraction

Commençons cependant par présenter le mari. S. W. Hayter est l’un des principaux représentants du mouvement surréaliste : ce Londonien s’installe à Paris dès 1926 où, sans le sou, il partage une chambre avec Alexander Calder. Dès l’année suivante, il crée un atelier de gravure, l’Atelier 17, qui deviendra le principal lieu de l’estampe surréaliste à Paris : Picasso, Miró, Tanguy, Masson mais aussi Vieira da Silva et Giacometti viendront y pratiquer la gravure. Membre du groupe surréaliste, engagé pendant la Guerre d’Espagne au point de s’y rendre pour aider l’armée républicaine, Hayter est aussi, avec Roland Penrose, l’un de ceux qui introduisit le Surréalisme en Grande-Bretagne, grâce une exposition fondamentale, « The International Surrealist Exhibition », organisée à Londres en 1936. C’est dans son atelier de gravure parisien, où elle s’inscrit en 1936, que la californienne Helen Phillips rencontre Hayter, qui la forme à son esthétique. Ils se marient en 1940 et auront deux enfants. Aux côtés de Hayter, elle s’initie avec brio à la gravure et intègre rapidement la leçon de son époux à sa pratique de sculptrice.

Quand éclate la 2e guerre mondiale, le couple déménage à Londres avant de gagner New York en 1940 : là, Hayter refonde l’Atelier 17 et enseigne, entre autres, la gravure à un jeune Jackson Pollock. À New York, Phillips participe à plusieurs expositions, parmi lesquelles Thirty One Women (1943) à la fameuse galerie The Art of this Century de Peggy Guggenheim, ou Blood Flames à la Hugo Gallery (1947).

De retour à Paris en 1950, le couple acquière une maison à Alba-la-Romaine, en Ardèche, en 1951, où il est au centre d’une colonie d’artistes. En 1953, avec Métamorphose II (1951-1952), Phillips remporte un prix au Concours international de sculpture organisé à la Tate à Londres en vue de la création d’un Monument au prisonnier politique inconnu. C’est à cette date qu’elle commence à travailler le balsa puis le chêne pour créer des totems géants. En 1967, un accident survenu à l’occasion du maniement d’Alabaster Column (1966), une sculpture acquise par l’Albright Knox Museum de Buffalo, l’oblige à mettre fin à ses projets d’œuvres monumentales. Dans un esprit plus délicat et confidentiel, elle produit de nombreuses structures en fil métallique, légères et de petit format. Hayter et Phillips divorcent en 1972. Elle meurt en 1995 à New York, sept ans après Hayter, qui s’éteint à Paris en 1988.

Échos stylistiques de la toile au bronze

Les sculptures de Phillips reprennent le mouvement et le dynamisme des compositions peintes ou gravées de Hayter, qui utilisent un trait tel un fil de fer pour composer les figures. La ligne de Hayter est virevoltante, enlevée, hypnotique : elle se croise et se décroise, mettant en application de manière originale le principe surréaliste de l’automatisme. Naissent ainsi de l’instinct et de l’inconscient des figures allusives, faites de lignes agiles et colorées, tantôt anthropomorphes tantôt zoomorphes. Si elles rappellent aux débuts le biomorphisme de Miró ou de Tanguy, comme dans le petit Composition (1934), elles s’en éloignent dès la fin de la décennie, pour chercher la couleur et le dynamisme. Dans les années 1940, le traité coloré s’épaissit et se libère du contour : les personnages manifestent alors une force purement plastique et dynamique. Dans la première partie des années 1950, ils deviennent un entrelacs frisant l’abstrait. La rupture avec la figuration est consommée à la fin de cette décennie :  la figure disparaît et la couleur et le geste prennent le dessus, dans une violence joyeuse, avec le monumental Summer (1959, deux mètres par trois), hymne aux saisons et à la nature, et hommage, sans doute, au Monet des dernières années.

Les sculptures de Phillips, souvent des pièces de bronze poli de petites ou moyennes dimensions, appliquent les principes de Hayter mais dans une recherche d’épure. Son esthétique n’est pas sans liens avec Brancusi, Henry Moore et Jean Arp, voire avec les statues futuristes de Boccioni, dans le cas de Moto perpetuo, de 1944-1945 (dont le titre même fait trait au mouvement d’avant-garde italien). Les figures longilignes en tube soudé font, elles penser, à Giacometti. Comme dans les tableaux de Hayter, le spectateur voit à travers la figure : ce sont des personnages délicats, représentés dans des poses évocatrices, celles de la vie de tous les jours. Ils contrastent avec les hybrides en bronze, figures quasi-mythologiques, de la phase précédente : ces sculptures des années 1940 et 1950 ont un aspect monumental malgré leurs dimensions moyennes, et invitent le spectateur à tourner autour d’elles, chaque face offrant une vision différente, comme en métamorphose et en transformation permanentes – un principe cher au Surréalisme.

Si le travail de Phillips, une des rares femmes sculptrice du mouvement surréaliste, est présent dans les plus grands musées Outre-Atlantique, elle reste encore de nos jours peu mise à l’honneur en France, ce pays qu’elle dont elle fit pourtant sa terre d’élection. Nul doute que cette exposition ne sera que la première étape de la redécouverte en Europe de cette artiste à l’oeuvre passionnante.

Tancrède Hertzog

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