Sainte Russie

Dominique Fernandez / Artpassions
Dominique Fernandez / Artpassions
Retour en force du cinéma russe : deux grands films, deux œuvres extraordinaires, d’une beauté plastique et d’une profondeur métaphysique exceptionnelle, l’Ile de Pavel Lounguine, et le Bannissement d’Andreï Zvlaquintsev, nous rappellent que le pays d’Eisenstein et de Tarkovski reste la terre d’élection du septième art. Quel souffle ! Quelle poésie ! Comme les films occidentaux paraissent petits, mesquins, en comparaison ! L’Ile, c’est l’histoire d’un homme qui a tué et qui, devenu moine, expie dans les solitudes glacées du grand nord. Le Bannissement, encore supérieur, c’est l’histoire d’un couple, de la crise d’un couple. Ce second film, malgré le sujet profane, est traversé d’une idée sacrée de l’homme et de la condition humaine. Zviaguintsev avait, dans son premier film, non moins fabuleux, Le Retour, dépeint les rapports torturés entre un père et son fils. C’était une tragédie dans le style shakespearien. Aujourd’hui, je parlerais plutôt de Tolstoï : même génie pour donner à chaque personnage une épaisseur psychologique, même lenteur dans le déroulement des événements, même sentiment poignant de la faiblesse humaine, même aspiration à une transcendance libératrice, même amour de la nature, même sensibilité à la splendeur du paysage.           Le hasard qui rapproche la sortie de ces deux films nous propose de la Russie une image tout autre que celle que véhiculent les médias, avec une ignorance et un mépris de la réalité révoltants. Il est inouï de penser que le pays qui a subi quatre-vingts ans de « matérialisme historique » soit resté si peu matérialiste, surtout si on compare ce que nous...

Retour en force du cinéma russe : deux grands films, deux œuvres extraordinaires, d’une beauté plastique et d’une profondeur métaphysique exceptionnelle, l’Ile de Pavel Lounguine, et le Bannissement d’Andreï Zvlaquintsev, nous rappellent que le pays d’Eisenstein et de Tarkovski reste la terre d’élection du septième art. Quel souffle ! Quelle poésie ! Comme les films occidentaux paraissent petits, mesquins, en comparaison ! L’Ile, c’est l’histoire d’un homme qui a tué et qui, devenu moine, expie dans les solitudes glacées du grand nord. Le Bannissement, encore supérieur, c’est l’histoire d’un couple, de la crise d’un couple. Ce second film, malgré le sujet profane, est traversé d’une idée sacrée de l’homme et de la condition humaine. Zviaguintsev avait, dans son premier film, non moins fabuleux, Le Retour, dépeint les rapports torturés entre un père et son fils. C’était une tragédie dans le style shakespearien.

Aujourd’hui, je parlerais plutôt de Tolstoï : même génie pour donner à chaque personnage une épaisseur psychologique, même lenteur dans le déroulement des événements, même sentiment poignant de la faiblesse humaine, même aspiration à une transcendance libératrice, même amour de la nature, même sensibilité à la splendeur du paysage.

          Le hasard qui rapproche la sortie de ces deux films nous propose de la Russie une image tout autre que celle que véhiculent les médias, avec une ignorance et un mépris de la réalité révoltants. Il est inouï de penser que le pays qui a subi quatre-vingts ans de « matérialisme historique » soit resté si peu matérialiste, surtout si on compare ce que nous donnent à voir ces deux films à la frénésie occidentale de consommation, de loisirs, de vulgarité commerciale. Le renouveau de la « spiritualité » (entendue au sens large, avec référence directe au monachisme orthodoxe, dans L’Ile, sans référence à aucune confession dans le Bannissement), le retour du sacré en Russie tranchent tellement avec ce qu’on nous serine contre Poutine, la mafia, la corruption, etc…qu’on se dit, une fois de plus, qu’il faut faire confiance aux artistes, non à la presse, pour nous apprendrela vérité. Eux seuls réfléchissent, au lieu de rabâcher des clichés.

          Du Bannissement, un cinéaste occidental aurait fait une banale affaire d’adultère. Zviaguintsev, lui, élève son sujet à la hauteur d’un « mystère » médiéval. Nous sommes dans la vie quotidienne, et en même temps au-delà de la vie quotidienne. Les questions fondamentales : d’où venons-nous ? qui sommes-nous ? où allons-nous ? affleurent à chaque instant, sans transformer les personnages en symboles, en leur laissant leur pleine charge d’humanité souffrante, inquiète, implorante. Trahison, culpabilité, compassion, sacrifice, rédemption : ces grands thèmes, qui traversent aussi L’Ile, animent, comme on sait, toute la littérature et la musique russes, de Dostoïevski à Pasternak, de Moussorgski à Chostakovitch. Quelle leçon, pour nos esprits ratatinés par le bien-être et la facilité ! Quel courant d’air salutaire !

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