Splendeurs de l’Algérie romaine

Dominique Fernandez / Artpassions
Dominique Fernandez / Artpassions
Les Romains de l’Antiquité ont été les plus grands bâtisseurs du monde. Dans quel lieu de la Méditerranée ne trouve-t-on pas quelque vestige de leur génie urbanistique et architectural ? En Italie même et en Sicile, bien sûr, mais aussi en France, en Espagne, en Croatie, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Libye, en Tunisie, au Maroc. Et l’Algérie ? Pourquoi les ruines romaines de l’Algérie restent-elles les plus méconnues ? Est-ce à cause des vicissitudes de son histoire ? Des drames engendrés par les diverses guerres qui ont ravagé récemment son territoire ? Ou pour des raisons plus profondes, qui touchent aux dispositions psychologiques de ses habitants ? Albert Camus leur reprochait, dans un de ses tout premiers textes (Noces, 1938), de n’avoir ni passé, ni tradition, de s’épuiser dans l’instant. « Ce peuple tout entier jeté dans le présent vit sans mythes, sans consolation. Il a mis tous ses biens sur cette terre et reste dès lors sans défense contre la mort. Les dons de la beauté physique lui ont été prodigués. Et avec eux, la singulière avidité qui accompagne toujours cette richesse sans avenir. » Ce constat désenchanté a incité le jeune homme à commencer sa carrière littéraire par un hommage à deux des plus beaux sites de l’Algérie romaine, et c’est le seul écrivain d’importance qui ait essayé, par ses pages sur Tipasa et Djemila, de rendre à l’Algérie ce passé, cette tradition, ces mythes, cette éternité hors du temps. Tipasa : des ruines enfouies sous la végétation, et qui descendent vers la mer...

Les Romains de l’Antiquité ont été les plus grands bâtisseurs du monde. Dans quel lieu de la Méditerranée ne trouve-t-on pas quelque vestige de leur génie urbanistique et architectural ? En Italie même et en Sicile, bien sûr, mais aussi en France, en Espagne, en Croatie, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Libye, en Tunisie, au Maroc. Et l’Algérie ? Pourquoi les ruines romaines de l’Algérie restent-elles les plus méconnues ? Est-ce à cause des vicissitudes de son histoire ? Des drames engendrés par les diverses guerres qui ont ravagé récemment son territoire ? Ou pour des raisons plus profondes, qui touchent aux dispositions psychologiques de ses habitants ?

Albert Camus leur reprochait, dans un de ses tout premiers textes (Noces, 1938), de n’avoir ni passé, ni tradition, de s’épuiser dans l’instant. « Ce peuple tout entier jeté dans le présent vit sans mythes, sans consolation. Il a mis tous ses biens sur cette terre et reste dès lors sans défense contre la mort. Les dons de la beauté physique lui ont été prodigués. Et avec eux, la singulière avidité qui accompagne toujours cette richesse sans avenir. » Ce constat désenchanté a incité le jeune homme à commencer sa carrière littéraire par un hommage à deux des plus beaux sites de l’Algérie romaine, et c’est le seul écrivain d’importance qui ait essayé, par ses pages sur Tipasa et Djemila, de rendre à l’Algérie ce passé, cette tradition, ces mythes, cette éternité hors du temps.

Tipasa : des ruines enfouies sous la végétation, et qui descendent vers la mer au milieu des arbres (1), voilà l’originalité et le charme inouï de ce lieu. A la place du désert habituel qui entoure les vestiges de l’Antiquité, une débauche de verdure. Les colonnes, les blocs de marbre, les arcs surgissent d’entre les oliviers, les pins, les eucalyptus, les lentisques. Partout des asphodèles, des touffes d’absinthe qui répandent leur amère odeur, des amandiers couverts de fleurs blanches en février. Tipasa est d’abord un parc, un lieu de promenade idéal, où la beauté et le poids du passé n’étouffent pas la jouissance du présent. On marche au hasard dans des allées pavées ou sablonnées, et tout à coup on découvre la mer, forte et aveuglante, qui palpite entre les branches.(1bis)

Ce n’est que dans un second temps qu’on se ressaisit de ces impressions délicieuses pour entreprendre un parcours plus méthodique et prendre une leçon d’archéologie. Tipasa atteignit son apogée au IIe siècle ap.J.-C. Cette allée dallée et bordée de colonnes qui a l’air de plonger dans les flots, c’est l’ancien decumanus, un des deux axes de toute ville romaine. Voici les restes de temples, de villas cossues, voici le théâtre, l’amphithéâtre, le nymphée, la nécropole du IIIe siècle avec son mausolée circulaire et ses tombes creusées dans la pierre, voici les vestiges de ce qui était l’immense basilique chrétienne du IVe siècle, une des plus grandes d’Afrique, à neuf nefs, et puis, sur la colline, voici le Capitole, avec l’esplanade du forum et la basilique judiciaire, un édifice de trois nefs séparées par des (4 à choix) colonnades. C’est là qu’on a retrouvé un extraordinaire pavement de mosaïque (visible dans le musée) figurant une famille de captifs maures, accroupis et prostrés. Image qui affirmait la puissance victorieuse de l’empire romain sur les populations indigènes ; pour nous, aujourd’hui, le symbole des souffrances d’un peuple sans cesse au cours des siècles colonisé et exploité.

Djemila, non loin de Sétif, en Numidie, à l’intérieur des terres, sur les hauteurs, présente un tout autre aspect. Dès l’entrée du site, on a une vue d’ensemble de l’ancienne ville, bâtie sur un éperon rocheux entre des vallons encaissés, sur fond de montagnes austères. Elle fut fondée au 1er siècle ap.J.-C., par des vétérans de l’empereur Nerva, comme colonie militaire. Les ruines sont ici en meilleur état qu’à Tipasa. Le grand cardo dallé est bordé de colonnes intactes, qui ont gardé leur chapiteau. A la limite occidentale de l’enceinte, l’arc de Caracalla est debout, avec ses deux façades hautes de 12,50 m et ornées de deux paires de colonnes corinthiennes. Le duc d’Orléans, de passage en 1839, avait le projet de faire transporter ce monument à Paris, avec l’inscription : « L’armée d’Afrique à la France ». Le gouverneur général de l’Algérie s’opposa heureusement à cette niaiserie sacrilège, et l’arc encadre toujours au bout de la ville un admirable paysage de montagnes.

Que de merveilles, dans le site ! Bien que la principale beauté de Djemila soit son emplacement même, à neuf cents mètres d’altitude, battu souvent par un vent froid qui augmente l’impression de solitude et de sauvagerie, l’oeil est attiré par maint reste d’édifice qui surgit dans le fouillis des ruines : avant tout, sur la place des Sévères, le temple de la famille Septimienne, auquel on accède par un escalier monumental de vingt-six marches. Les quatre colonnes du pronaos sont debout, ainsi qu’une partie de la cella. Au cours de la promenade, on découvre les vestiges ou les emplacements de tout ce qui scandait l’existence dans une ville romaine : le Capitole, le forum, les thermes, les marchés, où subsistent des stèles sculptées. Le théâtre (3), qui pouvait contenir trois mille personnes, est un des mieux conservés ; et le décor naturel de montagnes dressées tout autour constituait, à coup sûr, un des atouts majeurs du spectacle.

Dans le musée, mosaïques avec des animaux, des scènes de pêche, des légendes mythologiques : l’ « enlèvement d’Europe » par le taureau qui nage au milieu d’une foule luxuriante de poissons, de dauphins, de mollusques, d’amours ailés ; la « légende de Dionysos », qui retrace toute la vie du dieu, depuis son allaitement par une nymphe jusqu’aux cérémonies orgiastiques ; et la très curieuse « toilette de Vénus », au fond de l’eau, entre des poissons, des monstres marins, des pêcheurs et des musiciens sur une barque.

Timgad, le troisième grand site romain, à 150 km au sud de Sétif, dégagé en 1880, s’étend au milieu d’une grande plaine dénudée. C’était aussi une colonie militaire. L’arc de Trajan, à trois arches, construit au IIIe siècle, est le seul monument qui reste debout, avec le théâtre, assez bien conservé. Mais le peu qui subsiste des ruines, presque à ras de terre, laisse apparaître le génie régulateur des Romains : le plan géométrique de la ville, construite sur les deux axes du cardo et du decumanus qui se coupent à angle droit, manifeste avec éclat la volonté d’instaurer un ordre, d’imposer une loi.

La fantaisie, on la retrouvera dans le musée, qui renferme parmi les plus belles mosaïques d’Algérie. La « Vénus anadyomène » s’exhibe nue entre deux monstres marins. Le « triomphe de Vénus » montre la déesse nue sur le dos d’un centaure barbu. Mais l’érotisme n’était pas réservé aux femmes, ainsi qu’en témoigne un esclave noir en pleine exultation physique. Remarquable également cette « Diane surprise par Actéon » : on ne voit pas le visage du jeune homme penché au-dessus de la fontaine, mais seulement son reflet dans l’eau. Actéon convoitait-il vraiment Diane, ou s’aimait-il lui-même comme Narcisse ?

Splendeur des décors naturels, sévérité des ruines, exubérance des mosaïques, érudition et gentillesse des conservateurs et des gardiens : voilà les impressions euphorisantes qu’on emporte de cette randonnée dans l’Algérie romaine.

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