GIACOMO CEREUTI • LE PEINTRE LE PLUS AVENTUREUX DU XVIII SIÈCLE

Une grande exposition à Brescia rend hommage à ce portraitiste de génie connu pour ses scènes de genre des milieux populaires, redécouvert il y a tout juste un siècle. Un homme au regard altier mais tendre, une main enserrant délicatement un bâton, l’attribut du pèlerin ou du men-diant, tandis que l’autre se glisse dans de misérables oripeaux. Giacomo Ceruti (1698 - 1767) est pourtant au sommet de sa carrière lorsqu’il peint cet autoportrait mêlant si intime-ment la misère et la noblesse. Miseria & Nobiltà, c’est justement le titre de l’exposition qui lui est consacrée à Brescia. Le visiteur est accueilli par cette toile en pénétrant dans le magnifique musée Santa Giulia installé dans un ancien complexe mo-nastique bénédictin. Brescia, capitale de la culture italienne en 2023 avec Bergame, rend ainsi hom-mage à l’un de ses peintres les plus réputés près de quarante ans après la dernière grande exposition sur Giacomo Ceruti. Un nom qui s’efface encore trop souvent sous le sobriquet dont il a été affublé au tournant du XXe siècle : le « Pitocchetto » ou pe-tit mendiant. Cet artiste s’attacha en effet au dé-but de sa carrière à documenter avec talent la vie quotidienne des plus humbles et des marginaux. « Nous avons volontairement censuré ce surnom dans l’exposition, revendique sa curatrice Roberta d’Adda, car nous le trouvons trop réducteur pour l’importance d’un peintre que la critique considère désormais comme le plus aventureux du XVIIIe siècle dans la péninsule ». Il sera pourtant complètement oublié au siècle sui-vant...

Une grande exposition à Brescia rend hommage à ce portraitiste de génie connu pour ses scènes de genre des milieux populaires, redécouvert il y a tout juste un siècle.

Un homme au regard altier mais tendre, une main enserrant délicatement un bâton, l’attribut du pèlerin ou du men-diant, tandis que l’autre se glisse dans de misérables oripeaux. Giacomo Ceruti (1698 – 1767) est pourtant au sommet de sa carrière lorsqu’il peint cet autoportrait mêlant si intime-ment la misère et la noblesse. Miseria & Nobiltà, c’est justement le titre de l’exposition qui lui est consacrée à Brescia. Le visiteur est accueilli par cette toile en pénétrant dans le magnifique musée Santa Giulia installé dans un ancien complexe mo-nastique bénédictin. Brescia, capitale de la culture italienne en 2023 avec Bergame, rend ainsi hom-mage à l’un de ses peintres les plus réputés près de quarante ans après la dernière grande exposition sur Giacomo Ceruti. Un nom qui s’efface encore trop souvent sous le sobriquet dont il a été affublé au tournant du XXe siècle : le « Pitocchetto » ou pe-tit mendiant. Cet artiste s’attacha en effet au dé-but de sa carrière à documenter avec talent la vie quotidienne des plus humbles et des marginaux.


« Nous avons volontairement censuré ce surnom dans l’exposition, revendique sa curatrice Roberta d’Adda, car nous le trouvons trop réducteur pour l’importance d’un peintre que la critique considère désormais comme le plus aventureux du XVIIIe siècle dans la péninsule ».

Il sera pourtant complètement oublié au siècle sui-vant lorsque ses scènes populaires seront passées de mode avant que le naturalisme ne renouvelle profondément ce genre. Ce n’est qu’en 1922 que son nom sort de l’oubli grâce à l’historien de l’art Roberto Longhi visitant l’exposition à Florence sur la peinture italienne des XVIIe et XVIIIe siècle. Il tombe sous le charme de la Lavandière, seul tableau à l’époque attribué avec certitude à celui dont il loue les « couleurs de poussière et de guenilles ». L’écrivain Giovanni Testori l’appellera « l’Homère des déshérités ».


Sur ses toiles de grande dimension, dans leur pose hiératique, ses héros en haillons accèdent en effet au rang de véritables personnages d’Iliade et d’Odys-sée existentielle. Ce ne sont plus des archétypes so-ciaux ou moraux faisant l’objet de moquerie ou de commisération. Ces indigents quittent l’anonymat de figures génériques pour retrouver une indivi-dualité dont les privait l’habituel traitement artis-tique de la misère. On ne connaît évidemment pas leur nom mais Giacomo Ceruti les a sans nul doute croisés. Leurs regards intenses nous interpellent. Les traits de leurs physionomies se gravent dans nos mémoires. Il ne se contente ainsi pas de rendre de la dignité à la pauvreté mais préfère redonner une véritable individualité à ces enfants des rues, à ces lazzaroni du nord ou à ces femmes des classes po-pulaires. Il en brosse des portraits saisissants avec une inédite intensité émotionnelle dans sa palette crayeuse éclairée par la lumière crue lombarde. La critique artistique italienne dédaignera pourtant son œuvre au XIXe siècle. Elle n’aura pas la for-tune de celle des frères Le Nain sortis de l’oubli par l’écrivain Champfleury. Nombres de ses toiles se-ront d’ailleurs longtemps attribuées à ces peintres français ou encore à Giacomo Francesco Cipper dit « Il Todeschini ». Une négligence qui concernera également ses portraits de membres de l’aristocra-tie comme cette « Jeune fille avec un éventail » at-tribuée à Francesco Zuccarelli puis à Pietro Longhi avant que Roberto Longhi ne lui rende sa véritable paternité.

Car si la mémoire de Giacomo Ceruti a été long-temps occultée, on a également oublié le portrai-tiste de génie qu’il fut. Un genre dans lequel il excellait comme s’en réjouissaient ses riches com-manditaires. En 1736 il quitte Brescia, apparte-nant à la Sérénissime, pour s’installer à Venise et travailler auprès du maréchal Johann Matthias von der Schulenburg (1661-1747). Ce fastueux mécène constituait alors une collection exception-nelle dans son palais sur le Grand Canal. Giacomo Ceruti se renouvelle alors au contact de la socié-té internationale et cosmopolite de la ville. « Sa peinture s’anoblit, souligne Roberta d’Adda. Même lorsqu’il reprend des thèmes qui lui tiennent à cœur, il les décline différemment. Ses portraits et ses scènes populaires en particulier perdent la sévérité chroma-tique de ses premières toiles paupéristes et deviennent pétillants de couleurs. Le sous-titre de l’exposition est Giacomo Ceruti et l’Europe du XVIIIe siècle. Si celle de 1987 était purement monographique, la nôtre s’attache à l’insérer dans le contexte de l’époque en comparant ses toiles à celle de Guardi, Piazzetta, Pittoni, Tiepolo mais aussi avec le portraitiste fran-çais Hyacinthe Rigaud ».


Ces influences bouleversent sa palette qui s’éclaire d’une lumière plus douce et chaude. La mondani-té vénitienne prend le pas sur la rigueur et l’aus-térité de Brescia. Les scènes de chasses et les na-tures mortes apparaissent dans le corpus de ses œuvres. Les scènes arcadiennes substituent celles strictement populaires. Des aristocrates vieillis-sants tiennent avec tendresse leur animal de com-pagnie favori. Il n’y a pas que les thèmes traités qui changent. Les pauses de ses modèles également. Elles sont plus alanguies. Les regards de ses « pi-tocchi » (mendiants) ne sont plus pénétrants mais sont caressants. Un jeune homme vêtu d’un costume oriental pourpre nous toise dans une at-titude provocante. Si les modèles de Giacomo Ceruti évoluent, son œil de fin observateur de-meure intact. Avec le même luxe de détails uti-lisé pour peindre les hardes recouvrant les margi-naux, il s’applique à conserver l’éclat des tissus et la moirure des étoffes exhibés par les nobles. Sans considération particulière pour leur classe sociale, il continue à restituer sans concession leurs traits.


Cette exposition a le mérite de présenter l’immense richesse de l’œuvre d’un artiste qui ne peut être ré-duit à un principal représentant du courant paupériste. Elle donne surtout l’occasion d’observer le meilleur d’une production pratiquement ab-sente des cimaises des musées étrangers. La cote de Giacomo Ceruti s’est en effet envolée sur le mar-ché de l’art et sa redécouverte récente empêche l’ex-portation de ses tableaux qui demeurent essentielle-ment en Italie. Une sélection de ceux actuellement offerts à l’admiration du public à Brescia prendra pour la première fois le chemin de l’étranger en juillet prochain. Giacomo Ceruti sera ainsi passé de l’oubli, il y a un siècle avec une seule œuvre attri-buée, aux honneurs d’une première exposition mo-nographique au Getty Museum de Los Angeles.

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed