Budapest

Dominique Fernandez / Artpassions
Dominique Fernandez / Artpassions
Je reviens de Budapest, où je me rends régulièrement depuis quelque trente ans : c’est une des rares belles villes européennes qui aient échappé aux deux fléaux de notre temps : 1° la pollution par le tourisme de masse ; 2° la spéculation immobilière. Le premier de ces fléaux a ravagé Prague, Florence, Venise. Le second a détruit Bruxelles, maint quartier de Bâle, de Paris. Budapest, comme on sait, est fait de la réunion de Buda, vieille colline baroque aux jolies rues tortueuses et pittoresques, et de Pest, grande ville qui s’est développée dans les années 1880, après que la Hongrie eut pris son indépendance. Buda, Prague en miniature, connaît le sort de Prague : c’est devenu un ghetto touristique, pour hordes qui se traînent derrière un parapluie. Pest, qui possède moins de charme immédiat, mais beaucoup plus de caractère et de force, a conservé tout ce qui faisait son prix. Par quel miracle ce qu’on a saccagé ailleurs reste-t-il ici préservé ? En 1983, tout était gris, presque noir de saleté et d’abandon, tout était délabré, au bord de la ruine. Le régime communiste laissait dépérir les magnifiques immeubles Sécession, Art Nouveau, Art Déco. Il ne les a pas détruits, comme eussent fait des promoteurs privés. L’État communiste, qui en était propriétaire, n’avait aucun profit à tirer de leur démolition. Il les a donc laissé vivre, il les a sauvés du second fléau. Il suffisait, après la chute du communisme, de les rénover pour leur faire retrouver leur splendeur, et c’est ce qui a...

Je reviens de Budapest, où je me rends régulièrement depuis quelque trente ans : c’est une des rares belles villes européennes qui aient échappé aux deux fléaux de notre temps : 1° la pollution par le tourisme de masse ; 2° la spéculation immobilière. Le premier de ces fléaux a ravagé Prague, Florence, Venise. Le second a détruit Bruxelles, maint quartier de Bâle, de Paris. Budapest, comme on sait, est fait de la réunion de Buda, vieille colline baroque aux jolies rues tortueuses et pittoresques, et de Pest, grande ville qui s’est développée dans les années 1880, après que la Hongrie eut pris son indépendance. Buda, Prague en miniature, connaît le sort de Prague : c’est devenu un ghetto touristique, pour hordes qui se traînent derrière un parapluie. Pest, qui possède moins de charme immédiat, mais beaucoup plus de caractère et de force, a conservé tout ce qui faisait son prix. Par quel miracle ce qu’on a saccagé ailleurs reste-t-il ici préservé ?

En 1983, tout était gris, presque noir de saleté et d’abandon, tout était délabré, au bord de la ruine. Le régime communiste laissait dépérir les magnifiques immeubles Sécession, Art Nouveau, Art Déco. Il ne les a pas détruits, comme eussent fait des promoteurs privés. L’État communiste, qui en était propriétaire, n’avait aucun profit à tirer de leur démolition. Il les a donc laissé vivre, il les a sauvés du second fléau. Il suffisait, après la chute du communisme, de les rénover pour leur faire retrouver leur splendeur, et c’est ce qui a été fait, sous l’impulsion d’investisseurs étrangers assez intelligents pour réhabiliter de l’ancien magnifique plutôt que de construire du neuf banal ou hideux.

     L’exemple le plus spectaculaire est l’immeuble dit « Gresham », qui s’élève, sur les rives du Danube, au bout du pont des Chaînes. Construit en 1906 par Zsigmond Quittner, il abritait autrefois une compagnie d’assurances britanniques, puis, pendant l’ère communiste, des logements pour les citoyens. Faute d’entretien, il tombait en ruine, quand une entreprise canadienne le racheta pour le transformer en hôtel de luxe. La merveilleuse façade, comme d’un énorme palais aux dômes parsemés d’étoiles, a été conservée intacte, ainsi que le hall, immense verrière aux formes délicieusement tarabiscotées propres à l’Art Nouveau.

Le principal créateur de cette époque a été Ödön Lechner, dont les deux œuvres majeures, la Caisse d’épargne de la Poste et le musée des Arts décoratifs, restaurés eux aussi, offrent une débauche d’ornements sculptés, de tuiles colorées, de motifs en céramique, étourdissantes fantaisies qui introduisent dans l’architecture, genre d’habitude austère, un élément nouveau, la gaieté. Occasion de rappeler que Budapest, de toutes les villes d’Europe centrale, est la seule qui, par ses cafés, sa cuisine, ses vins, ses gâteaux, ses bains, sa musique, ait gardé quelque chose de la Belle Époque, ce sens du jeu, de la fête, qui a déserté Vienne comme Prague. Budapest, ou le bonheur retrouvé.

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