Rugissants fauves

pozay
Entrant dans la salle VII du Salon d’Automne de 1905 à Paris, où étaient exposées les œuvres d’Henri Matisse et de ses amis Charles Camoin, Henri Manguin, Albert Marquet, Jean Puy, André Derain et Maurice de Vlaminck, le critique d’art Louis Vauxcelles, fut étonné par le contraste entre leurs toiles et deux bustes classiques du sculpteur Albert Marque: « La candeur de ces bustes surprend au milieu de l’orgie des tons purs : Donatello chez les fauves», écrit-il dans le supplément au Gil Blas du mardi 17 octobre. La comparaison de la salle d’exposition à une « cage aux fauves» avait été employée par Vauxcelles quelques lignes plus haut, «fauve» faisant référence au public et aux critiques féroces. En revanche, dans le syntagme « au milieu de l’orgie des tons purs : Donatello chez les fauves», Vauxcelles associait le mot «fauve» à une couleur, un jaune tirant sur le roux, celle des grands félins ou fauves, bêtes puissantes et violentes… comme les couleurs des tableaux de la salle VII du Salon d’Automne. Les rugissements de fureur déclenchés par les œuvres de ces « outranciers» et «incohérents», tels qu’ils étaient qualifiés par la critique contemporaine, offrirent une publicité immédiate à ce qui était alors davantage un réseau d’amitiés qu’un mouvement ou un groupe distinct d’artistes réunis par un credo artistique. Les fauves ne partageaient pas les visées picturales novatrices des néo-impressionnistes ni n’agissaient collectivement comme les futuristes ou les surréalistes, qui définissaient, à l’aide de manifestes, des programmes d’actions autant politiques...

Entrant dans la salle VII du Salon d’Automne de 1905 à Paris, où étaient exposées les œuvres d’Henri Matisse et de ses amis Charles Camoin, Henri Manguin, Albert Marquet, Jean Puy, André Derain et Maurice de Vlaminck, le critique d’art Louis Vauxcelles, fut étonné par le contraste entre leurs toiles et deux bustes classiques du sculpteur Albert Marque: « La candeur de ces bustes surprend au milieu de l’orgie des tons purs : Donatello chez les fauves», écrit-il dans le supplément au Gil Blas du mardi 17 octobre. La comparaison de la salle d’exposition à une « cage aux fauves» avait été employée par Vauxcelles quelques lignes plus haut, «fauve» faisant référence au public et aux critiques féroces. En revanche, dans le syntagme « au milieu de l’orgie des tons purs : Donatello chez les fauves», Vauxcelles associait le mot «fauve» à une couleur, un jaune tirant sur le roux, celle des grands félins ou fauves, bêtes puissantes et violentes… comme les couleurs des tableaux de la salle VII du Salon d’Automne.

Les rugissements de fureur déclenchés par les œuvres de ces « outranciers» et «incohérents», tels qu’ils étaient qualifiés par la critique contemporaine, offrirent une publicité immédiate à ce qui était alors davantage un réseau d’amitiés qu’un mouvement ou un groupe distinct d’artistes réunis par un credo artistique. Les fauves ne partageaient pas les visées picturales novatrices des néo-impressionnistes ni n’agissaient collectivement comme les futuristes ou les surréalistes, qui définissaient, à l’aide de manifestes, des programmes d’actions autant politiques que plastiques. Pour les fauves, plus qu’un miroir de la vie, de la société et de la nature, le tableau était une toile et des pigments. Les fauves partageaient ce violent défi lancé au réel et à la représentation à travers l’embrasement subjectif de couleurs arbitraires affranchies du dessin et à travers un chromatisme intense. Les fauves travaillaient en duo ou par petits groupes, plaçaient souvent leurs chevalets côte à côte, peignaient des motifs presque identiques. Dans le sillage des impressionnistes, ils s’installèrent en bord de Seine, aux portes de Paris, dans les hauts lieux touristiques de la côte normande, les villages du Midi et les stations balnéaires de la Méditerranée. À l’été 1905, Derain rejoignit Matisse à Collioure. Le divisionnisme, l’application de petites taches de couleur pure juxtaposées, fut abandonné. Les deux artistes transcrivirent alors les paysages tels qu’ils les percevaient, en termes de masses colorées, d’animation de la touche, avec une infinie diversité, faisant la part belle à une utilisation libre de la couleur pure. Misant à la fois sur des tons complémentaires ou au contraire sur des disharmonies poussées jusqu’à la stridence, ils disposaient la peinture par aplats ou par larges touches, traits, virgules ou arabesques. Cette diversité des propositions picturales n’empêchait pas chaque tableau d’offrir une vision harmonieuse où se mariaient figures, constructions et nature: les couleurs vives – orange, rose, bleu – qui dessinaient les murs et les toits du village étaient reprises aussi bien pour figurer une bande de terre ou l’eau, ou encore les collines au loin, au point que parfois il était difficile de déterminer où finissait le premier plan et où commençait le second. Les zones de toile laissées vierges de peinture, mais jetant autant de lumière que les touches de couleur, participaient de cette volonté de réduction draconienne de la technique afin d’obtenir ce que Matisse appelait «la pureté des moyens». Vlaminck, resté lui à Chatou et à Bougival expérimentait à la fois les contrastes violents de teintes primaires, parfois pressées directement du tube sur la toile, la puissante simplification du volume et la libération des règles de la perspective. Au même moment, Marquet, Manguin et Camoin, établis à Saint-Tropez, pratiquaient une version tempérée du fauvisme, utilisant la couleur de manière audacieuse mais privilégiant les jeux complémentaires aux ruptures de gammes chromatiques. La touche, plus caressante, qui campait les figures dans des paysages ou des intérieurs et distillait une joie de vivre paisible et harmonieuse, ne présentait guère de point commun avec la facture exubérante, voire agressive, de Matisse et de Derain. Significative l’est tout autant la différence de la conception de l’espace: alors que Matisse et Derain niaient la profondeur de la toile en posant des traits de pinceau qui affirmaient la planéité de sa surface, Manguin et Camoin construisaient le motif afin que l’arrière-plan s’éloignât de manière traditionnelle du premier plan. Dès octobre 1906, ce furent deux membres du Cercle de l’art moderne du Havre qui rejoignirent le Midi: George Braque et Othon Friesz. À l’Estaque puis à La Ciotat, ils travaillaient à la fois la séduction de la saturation des couleurs, la juxtaposition des tons vifs – comme le duo Matisse-Derain – et l’exaltation ressentie face à la lumière méditerranéenne. Dans leurs paysages, ils alliaient la fermeté de la construction à une ligne fluide, suggérant les plans, et à une touche frémissante. Braque optait pour des gammes subtiles de rouge-rose ou de mauve-violet, sans se laisser emporter par l’ivresse des couleurs. Friesz choisissait lui une palette vive sans être agressive dans des tableaux où l’arabesque se faisait omniprésente. La rencontre avec les tableaux des fauves aux Salons incita un troisième havrais, Raoul Dufy, à tonifier la palette de ses tableaux, à faire un usage plus audacieux de tons primaires, à peindre avec des couleurs plus tranchées et plus arbitraires sans renier son goût pour le dessin plat, caractéristique aussi de l’œuvre de Marquet. Les rues pavoisées pour les fêtes et les façades recouvertes d’affiches fournirent à Dufy une occasion particulière d’utiliser les couleurs saturées. La rétrospective posthume Paul Cézanne au Salon d’Automne 1907 fut un tournant déterminant pour les fauves : nouvelle recherche de solidité structurelle, nouvelle stylisation du paysage par une construction à l’aide de facettes anguleuses et nouvelle économie de moyens, avec une palette plus sombre et moins intense, des coloris plus assourdis. Si l’aventure fauve se révéla être de courte durée, Matisse admit que quoiqu’«elle ne fût pas tout», la peinture fauve avait bien été «le fondement de tout». Ainsi, il désigna la position clef du fauvisme dans l’histoire de l’art moderne, ouvrant de nouveaux champs d’exploration, bouleversant profondément la conception de la peinture, libérant la couleur et la forme de leurs visées imitatives pour «toucher l’esprit aussi bien que les sens».

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