Danses au-dessus du volcan

AP67
A l’heure où les musées s’érigent en plate-forme de débats, le MEG donne la parole aux peuples autochtones et à leur combat vital pour la défense de leur environnement naturel. On ne ressort pas indemne de cette exposition polyphonique aux allures de manifeste. Par Bérénice Geoffroy-Schneiter « Il était une fois une mère avec beaucoup d’enfants. Ils étaient si différents qu’il était inutile de les comparer. La mère leur a appris à tous qu’ils étaient tous aussi importants pour le bien-être de tout le monde. Ils savaient que si l’un d’eux était blessé ou délaissé, quelqu’un — si ce n’était tous — souffrirait de manières inimaginables et de manière inconnu », déclare l’artiste, écrivaine et journaliste Maret Anne Sara en préambule d’une de ses déclarations en faveur de la protection des droits du peuple autochtone des Sami, dans le Nord de la Norvège. Elle-même issue d’une famille de Guovdageaidnu, la jeune femme n’a eu de cesse d’attirer l’attention des médias par ses installations et ses prises de paroles dénonçant la destruction de l’environnement et des pratiques culturelles de cette communauté d’éleveurs condamnés à réduire leurs troupeaux à 75 rennes. Faisant écho à l’extermination massive des bisons sur le sol américain, la photographie de Maret Anne Sara montrant cette pyramide d’animaux abattus par les autorités norvégiennes est, sans conteste, l’une des images les plus fortes et les plus troublantes du parcours. Car plutôt qu’une classique réunion d’œuvres d’art, l’exposition du MEG se veut davantage une plate-forme mettant en lumière les injustices environnementales subies...

A l’heure où les musées s’érigent en plate-forme de débats, le MEG donne la parole aux peuples autochtones et à leur combat vital pour la défense de leur environnement naturel. On ne ressort pas indemne de cette exposition polyphonique aux allures de manifeste.

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter

« Il était une fois une mère avec beaucoup d’enfants. Ils étaient si différents qu’il était inutile de les comparer. La mère leur a appris à tous qu’ils étaient tous aussi importants pour le bien-être de tout le monde. Ils savaient que si l’un d’eux était blessé ou délaissé, quelqu’un — si ce n’était tous — souffrirait de manières inimaginables et de manière inconnu », déclare l’artiste, écrivaine et journaliste Maret Anne Sara en préambule d’une de ses déclarations en faveur de la protection des droits du peuple autochtone des Sami, dans le Nord de la Norvège. Elle-même issue d’une famille de Guovdageaidnu, la jeune femme n’a eu de cesse d’attirer l’attention des médias par ses installations et ses prises de paroles dénonçant la destruction de l’environnement et des pratiques culturelles de cette communauté d’éleveurs condamnés à réduire leurs troupeaux à 75 rennes. Faisant écho à l’extermination massive des bisons sur le sol américain, la photographie de Maret Anne Sara montrant cette pyramide d’animaux abattus par les autorités norvégiennes est, sans conteste, l’une des images les plus fortes et les plus troublantes du parcours.

Car plutôt qu’une classique réunion d’œuvres d’art, l’exposition du MEG se veut davantage une plate-forme mettant en lumière les injustices environnementales subies par ces communautés dispersées à travers le monde, regroupées sous le vocable commode et un brin réducteur de « peuples autochtones ». Ces hommes et ces femmes représentent 500 millions d’individus, soit 5 à 6 % de la population mondiale, mais gèrent environ 80 % de la biodiversité de la planète », résume Carine Ayélé Durand, conservatrice en cheffe et commissaire de cette exposition sensible et engagée. Riche de photos et de documents d’archives, scandé d’installations d’artistes, de projections et de bornes vidéo, le parcours invite ainsi le public à découvrir les préjudices subis par ces communautés — déforestation de leur territoire, extraction minière et pétrolière, exploitation liée aux hydrocarbures, implantation de centrales hydrauliques —, tout en découvrant leur capacité à lutter contre ces menaces et leurs conséquences dramatiques.

Force est de constater l’importance du rôle joué par les femmes dans cette prise de conscience. Qu’elles soient poétesses ou plasticiennes, nombreuses en effet sont celles qui prennent désormais la parole à travers des écrits, des œuvres et des performances, dont la diversité le dispute à la pertinence.

Développeuse de jeux vidéo et chercheuse, Elisabeth Lapensée a ainsi conçu le jeu Honour Water (« Honorer l’eau ») afin de diffuser les chants des Anishinaabekwewag (femmes anishinaabeg) destinés à guérir les eaux polluées des fleuves de cette région d’Amérique du Nord.

Appartenant au peuple Ts’msyen de la côte nord-ouest des Etats-Unis et du Canada, l’artiste Kandi MacGilton tente, quant à elle, de sauver de l’extinction la langue sm’algyax, tout en faisant revivre et évoluer vers la modernité une technique de vannerie traditionnelle. « En voie de disparition, la vannerie ts’msyen de l’île d’Annette que je tresse est unique, intégrant un élément très élaboré et visuellement frappant appelé fausse broderie. Je récolte du cèdre rouge, des fougères Adiantum et de l’Alpiste des Canaries pour créer des motifs de vannerie traditionnels. Mon travail artistique, mon apprentissage linguistique et mon aventure associative s’entrecroisent avec le travail de la Haayk Foundation dans un documentaire dont le but est la préservation de la vannerie d’Annette Island et du vocabulaire sm’algyax.  Ces styles et idéaux avant-gardistes captent l’esprit ts’msyen d’innovation et de créativité », déclare solennellement la plasticienne.

Face à cette multitude de témoignages, une certitude s’impose. Loin d’être coupés du monde moderne et de ses modes de communication les plus sophistiqués, les peuples autochtones naviguent avec une aisance déconcertante d’un univers à l’autre et entendent jouer un rôle pionnier dans la préservation de la planète pour les générations futures. Des Aborigènes d’Australie aux Inuit, en passant par les communautés de langue quechua de la Bolivie et de l’Equateur, tous prônent cet équilibre entre les humains et les non-humains (animaux et végétaux) qui assure la durabilité et l’équilibre des forces de la planète. « Nous ne pouvons vivre sans les saumons, le cèdre, la rivière ou la mer. Ceux-ci sont tous tissés ensemble dans un supersystème. Si l’un est détruit, alors tous les autres suivront. Mais lorsque nous vivons comme un seul être, en harmonie avec la nature, suivant le rythme des battements de cœur de la Terre Mère, nous transcendons les traumatismes et les illusions de division imposés par la colonisation », déclare ainsi l’artiste et poète Gavin Hudson, qui a réinterprété un conte évoquant les relations entre les Ts’msyen d’Alaska et le peuple des Saumons. En écho, quatre masques réalisés spécifiquement pour l’exposition par le sculpteur David R. Boxley incarnent, chacun, un personnage délivrant son propre point de vue :  le Cèdre, le Prince, la Rivière, le Chef des saumons.

Mais c’est peut-être dans la vidéo mettant en scène la rencontre de deux poétesses, issues de deux régions du monde aux antipodes, que l’exposition atteint le plus haut degré de poésie et d’émotion. « Sœur des contrées océaniques et des plages du Pacifique », Kathy Jetnil-Kijiner des îles Marshall dénonce la hausse du niveau de la mer. « Sœur des contrées glacées et enneigées », Aka Niviâna de Kalaallit Nunnat du Groenland évoque, quant à elle, la fonte des glaciers. Leurs voix et leurs visages se répondent et entonnent un chant choral de toute beauté, qui ne peut laisser le visiteur indifférent.

Que l’on soit écologiste convaincu ou simple citoyen du monde, la portée de leur message résonne encore au-delà des murs de cette troublante exposition…

Injustice gouvernementale. Alternatives autochtones, jusqu’au 21 août 2022, Musée d’ethnographie de Genève, MEG. + 41 22 418 45 50. www.meg-geneve.ch   

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