Directeur de musée en France, puis en Suisse, j’ai toujours observé avec curiosité l’évolution du mode de gouvernance des musées, reflet du regard de la société sur cette vénérable institution. Longtemps, les choses étaient simples. Le personnel d’un musée se composait d’un conservateur, d’une secrétaire et de « gardiens ». Ces derniers gardaient, surveillaient, défendaient le musée. Le plus souvent, ils assumaient l’entretien général et renseignaient les (trop rares) visiteurs par des digressions à propos des objets les plus vénérables comme les plus insolites. Le tout avec un budget dérisoire, assorti de bénévoles autant érudits que passionnés.
Les plus grands musées comptaient déjà dans leurs rangs des scientifiques étudiant les collections avec pour unique horizon : la publication. L’activité du musée portait sur l’étude, l’accueil des chercheurs ainsi que sur l’accumulation raisonnée d’objets d’histoire et œuvres d’art acquis grâce à l’entregent du conservateur. Le public était composé de savants, de curieux et d’étudiants. Chacun pouvait entrer au musée pour peu qu’il respectât les codes en usage sans chercher « d’aide à la visite ». Ce curieux attelage fit des miracles et sut collecter des dizaines de millions d’objets qui font depuis la richesse des musées européens. L’inaliénabilité, posée en principe cardinal, en assura la pérennité.
Il faut rendre hommage à ces explorateurs du quotidien qui durant deux siècles ont enrichi ces écrins de la mémoire collective, que sont les musées. Sur ce socle solide, s’est bâti le musée moderne. Celui que les lecteurs d’Artpassions connaissent bien pour le fréquenter assidûment. Attardons-nous un instant sur un curieux personnage, au profil de plus en plus incertain : le directeur. Héritier de ses lointains prédécesseurs, inamovibles auteurs prolifiques, son quotidien est devenu une gageure. Lire une annonce de recrutement de directeur de musée, peut s’avérer totalement décourageant tant on attend de lui des savoirs aussi multiples que contradictoires. Le directeur de musée est au cœur des attentes culturelles d’une époque qui ne sait plus guère ce qu’elle entend par la culture. Il devra être un savant docte et érudit, c’est la moindre des choses ! Son parcours académique devra être exemplaire. Outre des publications et des commissariats d’exposition, on attend de lui qu’il ait assuré de façon durable un enseignement universitaire, si possible international.
Dirigeant parfois un nombre important de collaborateurs, il se devra d’être un manager, assurer un lien précieux entre hiérarchie et opérationnel. Entouré de cadres supérieurs, pour certains plus habitués aux sciences archéologiques, ou aux secrets des peintres, qu’aux multiples exigences administratives, le directeur devra créer de la transversalité, mot magique supposé régler tous les problèmes en privilégiant le « savoir-être » ! Voilà qui eût laissé Monsieur Jourdain pensif ! S’il lui reste quelques heures dans les six premiers jours de la semaine, il s’efforcera de rencontrer artistes et collectionneurs sans oublier de consacrer un temps certain aux demandes des médias. La recherche de mécènes et de partenaires étant essentielle pour le bon fonctionnement du musée. Il devra en faire… sa priorité. Attendu que l’on exerce ce métier pour la « passion de l’art et de l’histoire », il restera les dimanches matin pour écrire les contributions érudites, corollaire de la fonction.
Ce bref aperçu du métier explique sans doute une certaine raréfaction des vocations. On pourrait se prendre à rêver d’un temps où le musée, n’avait pas encore atteint ce degré complexe d’infrastructure culturelle au service de la société. Et pourtant, combien de visiteurs s’exclament : « vous faites un métier merveilleux au milieu de toutes ces œuvres d’art ! ». Quel lieu magnifique et passionnant que ce musée d’aujourd’hui, ouvert à tous. Il vaut bien que nous lui consacrions le meilleur de nous-mêmes.
Jean-Yves Marin
Directeur du musée d’art et d’histoire de Genève (MAHG)