UN PARFUM D’INSOUCIANCE: LES PEINTRES DE L’INTIME

Henri Martin Jeune fille assise, vers 1904
Henri Martin Jeune fille assise, vers 1904 Huile sur toile, 96,4 x 56,5 cm Musée des Beaux Arts, Reims inv. 907.19.165 © C. Devleeschauwer
Le Palais Lumière à Evian invite à redécouvrir une page méconnue de l’histoire de l’art : la peinture intimiste de la Belle Époque. F’art a eu tendance à oublier les artistes du début du XXe siècle qui ne pouvaient être rattachés ni au fauvisme, ni au cubisme ni au futurisme. Depuis quelques années, néanmoins, plusieurs événements réhabilitent les peintres et sculpteurs du tournant du siècle qui, après avoir eu du succès de leur vivant, étaient tombés dans l’oubli, des artistes jugés a posteriori trop peu novateurs, pas assez audacieux. Ernest LaurentLa Famille de Paul Jamotprenant le thé, 1910Huile sur toile, 71 x 81 cmMusée des Beaux-Arts etd’archéologie, Roanne, inv. 2590© Musée des beaux-arts et d’archéologie,Roanne De 1901 à 1922, à chaque début de printemps, un certain nombre d’entre eux, français mais aussi britanniques, belges et norvégiens, réunis sous la bannière de la « Société nouvelle de peintres et de sculpteurs » créée par le critique d’art et poète Gabriel Mourey, exposèrent à la galerie Georges Petit à Paris. Georges Petit était une figure clé du marché de l’art de la fin du XIXe siècle et des deux premières décennies du XXe. Il présentait aussi bien les artistes en vogue au Salon, appréciés par une clientèle bourgeoise fortunée, que des artistes impressionnistes et post-impressionnistes. Les membres de la « Société nouvelle de peintres et de sculpteurs » formaient un groupe hétérogène artistiquement mais partageaient le goût de « l’intimité », comme les critiques de l’époque aimaient le...

Le Palais Lumière à Evian invite à redécouvrir une page méconnue de l’histoire de l’art : la peinture intimiste de la Belle Époque.

F’art a eu tendance à oublier les artistes du début du XXe siècle qui ne pouvaient être rattachés ni au fauvisme, ni au cubisme ni au futurisme. Depuis quelques années, néanmoins, plusieurs événements réhabilitent les peintres et sculpteurs du tournant du siècle qui, après avoir eu du succès de leur vivant, étaient tombés dans l’oubli, des artistes jugés a posteriori trop peu novateurs, pas assez audacieux.

Ernest Laurent La Famille de Paul Jamot prenant le thé 1910
Ernest Laurent
La Famille de Paul Jamot
prenant le thé, 1910
Huile sur toile, 71 x 81 cm
Musée des Beaux-Arts et
d’archéologie, Roanne, inv. 2590
© Musée des beaux-arts et d’archéologie,
Roanne

De 1901 à 1922, à chaque début de printemps, un certain nombre d’entre eux, français mais aussi britanniques, belges et norvégiens, réunis sous la bannière de la « Société nouvelle de peintres et de sculpteurs » créée par le critique d’art et poète Gabriel Mourey, exposèrent à la galerie Georges Petit à Paris. Georges Petit était une figure clé du marché de l’art de la fin du XIXe siècle et des deux premières décennies du XXe. Il présentait aussi bien les artistes en vogue au Salon, appréciés par une clientèle bourgeoise fortunée, que des artistes impressionnistes et post-impressionnistes. Les membres de la « Société nouvelle de peintres et de sculpteurs » formaient un groupe hétérogène artistiquement mais partageaient le goût de « l’intimité », comme les critiques de l’époque aimaient le qualifier. Ils s’inscrivaient comme les successeurs de l’impressionnisme, tel que le note le peintre René-Xavier Prinet dans son Initiation à la peinture : « Ses adhérents n’avaient nullement le dessein d’opérer une révolution.

Edmond Aman-Jean Line et François Aman-Jean,1907
Edmond Aman-Jean
Line et François Aman-Jean, 1907
Huile sur toile, 130 x 97 cm
Collection particulière
Ph. Jean-François Heim

Sans qu’il ait été bien nettement formulé, le but de cette société consistait à maintenir la tradition des Manet, des Degas, des Monet, de tous les artistes enfin qui avaient contribué à donner, durant la seconde moitié du XIXe siècle, tant d’éclat à l’art français. » Les tableaux de Prinet des années dix-huit cent quatrevingt-dix montrent une admiration pour le premier impressionnisme, en particulier pour l’œuvre d’Eugène Boudin, qui se traduit par la même importance donnée aux harmonies de gris, bleu et rose du ciel qu’aux activités balnéaires, sur la côte normande, d’une société élégante et oisive.

Frits Thaulow Vieille fabrique sur la Somme, vers 1896-1897
Frits Thaulow
Vieille fabrique sur la Somme,
vers 1896-1897
Huile sur toile, 73 x 92,5 cm
Musée d’Art moderne et
contemporain de Strasbourg
inv. 55.974.0.962
© M. Bertola

Le norvégien Frits Thaulow, nourri par le naturalisme de Zola, peintre des villes portuaires ou du prolétariat au travail, témoin du réel sans artifice, réagit à l’arrivée du pleinarisme en Scandinavie à la fin des années dix-huit cent quatre-vingts. Campagnes et rivières surgissent dans ses œuvres, peintes dans des couleurs franches et baignées d’une lumière limpide. Cherchant à définir une voie originale dans le genre du paysage moderne, il n’hésite pas à flirter avec le symbolisme, privilégiant l’atmosphère d’un lieu et les impressions magiques qui peuvent s’en dégager. Il ose même recomposer à l’atelier un paysage idéal, fruit de son imaginaire, où l’eau, élément fugace et mouvant, joue souvent le premier rôle. D’un point de vue technique, son « impressionnisme » est nuancé : le dessin garde sa précision, la touche se fait vibrante sans pour autant être diffractée. Enfin, il choisit un trait solide pour représenter les bâtiments des usines tirant leur force motrice de l’eau.

Henri Le Sidaner La Table bleue, Gerberoy, 1923
Henri Le Sidaner
La Table bleue, Gerberoy, 1923
Huile sur toile, 73 x 92 cm
Singer Museum
© Singer Laren

Comme Thaulow, Emile Claus se consacre presque exclusivement à la peinture de paysage. L’artiste tempère l’impressionnisme de ses toiles par son désir de réaliser des peintures « finies » et « structurées » et de perpétuer une tradition réaliste propre à l’art flamand. Claus met en œuvre un pointillisme moins rigoureux que celui de Georges Seurat afin de restituer les irradiations de la lumière et de rendre les rayons diffractés du soleil avec une palette colorée et des tonalités douces.

Henri Martin, sans doute influencé par la technique vermiculée et vibrante de Giovanni Segantini pratique lui, un divisionnisme original, plus spontané que théorisé fait de stries courtes, séparées et parallèles. Il le mettait au service de la représentation de figures poétiques et mystérieuses, toujours sereines, dans l’atmosphère douce d’un monde idéalisé et emprunt d’une certaine spiritualité, qui n’est pas sans rappeler l’art de Maurice Denis. Lecteur de Byron, Baudelaire et Verlaine, Henri Martin, exposera ses œuvres en 1892 et 1893 aux salons de la Rose-Croix, société artistique proche de l’ésotérisme et du symbolisme fin de siècle. Épurant le symbolisme de tout son vocabulaire complexe, le peintre s’attardait sur l’harmonie familiale, sur les figures d’enfants sages ou de femmes vertueuses aux attitudes délicates, dont il savait capter les regards mélancoliques et dont il tentait de pénétrer la psychologie. En 1896, le critique Gustave Geffroy évoquait ses « figures un peu languissamment peintes […] en des colorations effacées, ravivées par un détail, une fleur au corsage ou à la chevelure, des yeux trop translucides, enchâssés comme des pierres précieuses ».

Emile Claus Coucher de soleil sur la Lys, 1911
Emile Claus
Coucher de soleil sur la Lys, 1911
Huile sur toile, 71 x 92 cm
Collection particulière
© Galerie Derom

Plusieurs artistes de la « Société nouvelle de peintres et de sculpteurs » évoluaient, comme Henri Martin, entre un néo-impressionnisme assagi et un symbolisme apaisé. Ainsi, Edmond Aman-Jean, condisciple de Seurat à l’École des Beaux-Arts de Paris fut proche des milieux symbolistes et notamment des peintres Alphonse Osbert et Alexandre Séon. Quant à la proximité du peintre Ernest Laurent avec les symbolistes on la reconnaît à la façon dont il nimbe de mystère ses figures féminines saisies dans leur vive quotidienne, et baigne ses intérieurs bourgeois d’une atmosphère intimiste.

Henri Le Sidaner arrête le temps pour mieux nous laisser profiter paisiblement d’une douceur de vivre qui baigne ces havres de paix que sont sa maison et son jardin à Gerberoy, thèmes privilégiés de ses tableaux. « Peintre de l’intimité la plus discrète », comme le qualifiait l’un de ses contemporains, il va même jusqu’à exclure toute figure humaine de ses toiles pour que le regardeur fasse sien le lieu. Les allées attendent nos pas, les bassins sont là pour que notre silhouette vienne s’y refléter. Il ne fait aucun doute que nous sommes les hôtes de ces tables dressées et alléchantes. Le chromatisme chaud et la touche posée délicatement participent du sentiment de silence, de paix et de volupté qui s’en dégage. Avec cette même attention au raffinement des couleurs, au traitement de la lumière qui ne dissout pas les formes mais au contraire les structure, Prinet préfère lui se faire le chroniqueur des anecdotes d’une société insouciante, peuplant avec poésie ses tableaux de flâneurs sur la digue, de baigneurs sous l’œil bienveillant de leur maître-nageur et de jeunes filles rieuses, protagonistes d’un jour d’une peinture aussi légère que le vent du bord de mer qui vient subrepticement soulever leurs chapeaux.

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