NOVAE (SVISHTOV) UNE PROMENADE AU CŒUR DE L’HISTOIRE DE LA BULGARIE

Vue aérienne du Parc Monumental, du terroir et de la ville antique de Novae avant les fouilles extensives des années deux mille. Courtoisie du Centre de Recherches sur l’Antiquité de l’Europe du Sud-Est de l’Université de Varsovie.
Vue aérienne du Parc Monumental, du terroir et de la ville antique de Novae avant les fouilles extensives des années deux mille. Courtoisie du Centre de Recherches sur l’Antiquité de l’Europe du Sud-Est de l’Université de Varsovie.
Pour atteindre notre objectif, rien de tel qu’un voyage depuis Bucarest, qui n’est distante que de quatre-vingts kilomètres de la frontière : mais quelle frontière ! Une traversée du plus grand fleuve d’Europe est toujours un événement, d’autant que nous arrivons à Roussé, où jadis naquit Elias Canetti, à l’époque où la ville était surnommée « la petite Vienne » du Bas Danube, pour son caractère cosmopolite. De là, en empruntant en grande partie la route menant à Veliko Tarnovo, ville royale du Second Empire bulgare, que l’on quitte pour longer le fleuve par l’intérieur des terres, une belle nature humanisée et fertile explique à elle seule l’impressionnante concentration d’habitats successifs, de la préhistoire jusqu’aux grandes heures du Royaume bulgare. Nikolaï Dmitrievitch, Dmitriev-Orenbourgski, La bataille de Svishtov, 1883 Tableau conservé au Musée national de l’Artillerieà Saint-Pétersbourg Tandis que les plateaux dévoilent d’immenses champs de céréales, les collines déploient, sous leur crête protectrice de forêts, une alternance de coteaux viticoles et de rangées soignées d’arbres fruitiers, alors que l’on devine de ci - de là des carrières et des bancs d’argile exploités jusqu’à l’époque moderne. À l’abord des quelques gros villages presque cachés par la végétation foisonnante, vaches et brebis paissent sereinement près de l’un des nombreux torrents. Nous sommes sur le territoire d’Ulpia Nicopolis ad Istrum, la fastueuse colonie fondée par Trajan pour commémorer sa victoire sur les Daces. En taillant dans les forêts pour redescendre enfin sur le Danube, un dernier virage serré dévoile, tout...

Pour atteindre notre objectif, rien de tel qu’un voyage depuis Bucarest, qui n’est distante que de quatre-vingts kilomètres de la frontière : mais quelle frontière ! Une traversée du plus grand fleuve d’Europe est toujours un événement, d’autant que nous arrivons à Roussé, où jadis naquit Elias Canetti, à l’époque où la ville était surnommée « la petite Vienne » du Bas Danube, pour son caractère cosmopolite. De là, en empruntant en grande partie la route menant à Veliko Tarnovo, ville royale du Second Empire bulgare, que l’on quitte pour longer le fleuve par l’intérieur des terres, une belle nature humanisée et fertile explique à elle seule l’impressionnante concentration d’habitats successifs, de la préhistoire jusqu’aux grandes heures du Royaume bulgare.

Nikolaï Dmitrievitch, Dmitriev-Orenbourgski, La bataille de Svishtov, 1883 Tableau conservé au Musée national de l’Artillerie
à Saint-Pétersbourg

Tandis que les plateaux dévoilent d’immenses champs de céréales, les collines déploient, sous leur crête protectrice de forêts, une alternance de coteaux viticoles et de rangées soignées d’arbres fruitiers, alors que l’on devine de ci – de là des carrières et des bancs d’argile exploités jusqu’à l’époque moderne. À l’abord des quelques gros villages presque cachés par la végétation foisonnante, vaches et brebis paissent sereinement près de l’un des nombreux torrents. Nous sommes sur le territoire d’Ulpia Nicopolis ad Istrum, la fastueuse colonie fondée par Trajan pour commémorer sa victoire sur les Daces.

En taillant dans les forêts pour redescendre enfin sur le Danube, un dernier virage serré dévoile, tout à coup, un intrigant et gigantesque obélisque en béton érigé au milieu d’un parc aux arbres ancestraux, derrière lesquels on entrevoit les eaux paisibles du fleuve mythique. Nous sommes arrivés sur la commune de Svishtov. Dans le parc mémorial, on prend pleinement la mesure de l’histoire millénaire de ce territoire tout en observant les barges qui, sans hâte, relient Vienne, Budapest et Belgrade à la Mer Noire et, sur la berge opposée, l’étendue infinie de la plaine céréalière de l’Olténie roumaine.

Cette sérénité du paysage est certainement celle qui, en 1877, a trompé les Ottomans, qui n’ont jamais considéré plausible une attaque en cet endroit précis, où le Danube est très large et les marais abondent. Des hauteurs côté bulgare, la vue porte sans limite sur l’autre rive et permettait de déceler tout mouvement de troupes. Ainsi, la Sublime Porte n’avait cantonné qu’une maigre division à quatre kilomètres en amont, à l’emplacement de la ville actuelle de Svishtov. Or, sur une idée de génie du major-général Mikhail Dragomirov, c’est
bien là, le 26 juin 1877, que vont attaquer les troupes russes et leurs alliés roumains, décimant les troupes ottomanes depuis le fleuve, leur artillerie arrimée de façon impensable à des radeaux, accompagnant une multitude d’embarcations menant à bon port les troupes d’infanterie de débarquement. Le lendemain déjà, Svishtov devenait la première ville libre de Bulgarie, sa garnison, découragée, s’étant rendue à la brigade cosaque du major-général Mikhail Skobelev, surnommé « le pacha blanc » par les Turcs, et admiré comme « le plus habile des commandants de l’histoire » (ndr. avant 1914) par le Général Montgomery dans son opus « A History of Warfare », publié en 1968.

Ainsi, le le tsar Alexandre II a pu inaugurer, en 1881, le « Parc-Monument de la victoire », dominé depuis 1977 par l’énorme obélisque, en un lieu qui était connu de tous les habitants durant des siècles sous le nom de « colline de verre »… car les verres et autres céramiques romaines y jonchaient le sol, à perte de vue.

Et pour cause : nous sommes bel et bien au cœur de la plus grande forteresse militaire romaine de cette partie de l’Empire : sur ces terres, occupées par le camp de la Legio Octava Augusta dès 49 après J.-C., sera construit le puissant siège de la Legio Prima Italica, en 69, sur l’ordre de Vespasien et connue plus tardivement sous le nom de Novae. Découvert au XIXe siècle déja, le site est devenu l’objet de toutes les attentions dès 1953, lorsque les autorités polonaises de l’époque ont signé un traité illimité de collaboration avec l’Académie des sciences de Bulgarie. Depuis, trois missions polonaises doublées de deux missions bulgares mettent au jour, année après année, l’imposante forteresse.
Appartenant à la période de la citadelle militaire, le plus impressionnant des édifices est sans aucun doute l’hôpital (valetudinarium) et son temple central dédié à Esculape. Occupant plus de 6’000 m2, il était à même de soigner trois cents légionnaires en même temps, ce qui le place parmi les plus grands bâtiments de ce type de tout l’Empire romain.

Tuile avec l’estampille de la Legio Prima Italica, qui ne quittera Novae qu’au Ve siècle © Photo : Janusz Reclaw
Une partie du site restauré de Novae : les principia du camp légionnaire et, en premier plan, les édifices tardifs et la basilique épiscopale.
Restitution en 3D du Valetudinarium. Courtoisie du Centre de Recherches sur l’Antiquité de l’Europe du Sud-Est de l’Université de Varsovie.

Plus encore, ces recherches ont permis d’établir qu’après la première guerre gothique, en 250, l’habitat va se métamorphoser sans jamais périr. Les militaires ne vont en conserver qu’une partie, tandis que les civils, auparavant établis à l’extérieur de l’enceinte, vont en remodeler le faciès urbain, construisant quartiers artisanaux et zones d’habitat sur les vestiges des casernes abandonnées. La ville recommence son expansion, devenant au IVe siècle, lors de l’abandon définitif de Nicopolis ad Istrum, la plus grande agglomération de la région et, surtout, son premier centre épiscopal.

Avec un marché florissant, la puissance de l’évêché et la garantie de la présence militaire, Novae rayonne jusqu’au Delta du Danube, forte d’une nouvelle enceinte, de reconstructions et de bâtis ex novo ordonnés par les maîtres de Constantinople dès le milieu du IVe siècle, et parachevés par Justinien dans le cadre de son œuvre de stabilisa
tion stratégique du Bas Danube. Ce n’est qu’au cours du VIIe siècle que la ville sera définitivement abandonnée, pour peu de temps puisqu’un siècle plus tard, un petit habitat médiéval naîtra à l’emplacement de la ville moderne, plus à l’Ouest.

Une œuvre de restauration réussie, parachevée en 2016, permet aujourd’hui de saisir pleinement l’histoire et la beauté du centre du site, en se promenant de jour, et surtout de nuit avec un éclairage parfaitement ajusté, distinguant édifices et phases de construction grâce à de multiples panneaux trilingues et à une habile différenciation des couleurs des sols.

Laurent Chzranowski

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