HIROSHI SUGIMOTO ∙ UN PHOTOGRAPHE À VERSAILLES, ENTRE OMBRES ET LUMIÈRES

Napoléon Bonaparte, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Napoléon Bonaparte, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Fasciné depuis 25 ans par les effigies en cire du musée Tussaud à Londres, Sugimoto en a sélectionné certaines qu’il a photographiées avant de les exposer au Domaine de Trianon pour raconter une autre histoire de la Révolution française à travers le Temps. Après Jeff Koons, Takashi Murakami, Anish Kapoor et quelques autres, c’est au tour de Hiroshi Sugimoto, photographe, architecte et philosophe, d’investir Versailles avec son exposition intitulée « Révolutions », dont l’essentiel se déploie en immenses photographies en noir et blanc sublime, réalisées à partir des portraits de cire du musée de Madame Tussaud. Si Sugimoto a choisi le Domaine de Trianon plutôt que les galeries du château ou le parc historique, à l’instar de ses prédécesseurs, ce n’est pas un hasard. Au grandiose des ors de Versailles, Sugimoto a préféré l’espace intime des fêtes champêtres de Marie-Antoinette, la jeune reine guillotinée, qui fit de Trianon le cœur de son refuge inviolé avant que tout ne soit emporté dans sa chute. Le Roi-Soleil a beau trôner à l’entrée, telle la statue du Commandeur, sous la forme d’une photographie prise de profil, à partir d’un moule réalisé en 1688 par Antoine Benoist, dix ans avant la mort du monarque, on sent bien que l’artiste a préféré écouter les murmures d’un passé fantasque et tragique dont les murs gardent les échos à peine contenus. Pourtant, Marie-Antoinette, à qui Louis XVI offrit le Petit Trianon, ce joyau d’harmonie érigé en 1768 par l’architecte Gabriel afin qu’elle puisse y vivre ses robinsonnades...

Fasciné depuis 25 ans par les effigies en cire du musée Tussaud à Londres, Sugimoto en a sélectionné certaines qu’il a photographiées avant de les exposer au Domaine de Trianon pour raconter une autre histoire de la Révolution française à travers le Temps.

Après Jeff Koons, Takashi Murakami, Anish Kapoor et quelques autres, c’est au tour de Hiroshi Sugimoto, photographe, architecte et philosophe, d’investir Versailles avec son exposition intitulée « Révolutions », dont l’essentiel se déploie en immenses photographies en noir et blanc sublime, réalisées à partir des portraits de cire du musée de Madame Tussaud. Si Sugimoto a choisi le Domaine de Trianon plutôt que les galeries du château ou le parc historique, à l’instar de ses prédécesseurs, ce n’est pas un hasard. Au grandiose des ors de Versailles, Sugimoto a préféré l’espace intime des fêtes champêtres de Marie-Antoinette, la jeune reine guillotinée, qui fit de Trianon le cœur de son refuge inviolé avant que tout ne soit emporté dans sa chute. Le Roi-Soleil a beau trôner à l’entrée, telle la statue du Commandeur, sous la forme d’une photographie prise de profil, à partir d’un moule réalisé en 1688 par Antoine Benoist, dix ans avant la mort du monarque, on sent bien que l’artiste a préféré écouter les murmures d’un passé fantasque et tragique dont les murs gardent les échos à peine contenus.

Pourtant, Marie-Antoinette, à qui Louis XVI offrit le Petit Trianon, ce joyau d’harmonie érigé en 1768 par l’architecte Gabriel afin qu’elle puisse y vivre ses robinsonnades très raffinées est « la » grande figure absente et, en quelque sorte, l’irreprésentable des portraits de Sugimoto à Versailles. Irreprésentable, et d’autant plus présente qu’elle est absente, sinon par le portrait en majesté qu’en fit Madame Elisabeth Vigée Le Brun… On la trouve sous les traits de Kristen Dunst dans le film sur Marie-Antoinette de Sofia Coppola projeté en continu dans le Théâtre de la Reine et ceux de l’actrice Norma Shearer, photographiée par Sugimoto d’après une photographie d’elle dans un autre film sur Marie-Antoinette datant de…1938, un an donc avant un autre désastre. 1788, 1938, 2018 ? Sugimoto ne photographie ni Marie-Antoinette ni la Montespan, ni la Pompadour ni Madame du Barry, et aucun des fantômes charmants qui habitent les lieux. Manière de signifier qu’on n’est pas au musée Grévin !

Signés Sugimoto en revanche, les portraits de la Reine Elizabeth II et de Lady Diana cohabitent dans la chapelle du Petit Trianon. Et au hasard des salons, des entresols et des caves, on découvre les représentations de Louis XVI, Charles Ier, le Duc de Wellington, la Reine Victoria, Fidel Castro, Salvador Dali, l’Empereur Hirohito, Benjamin Franklin, Napoléon et Voltaire, comme autant d’esprits shintoïstes surgis dans le désordre du Temps et disséminés dans la nature. Les trois dernières photographies de Sugimoto sont réalisées à partir des effigies en cire de Madame Tussaud elle-même ; les autres
ont été choisis par le photographe dans le musée éponyme. Tous sont des personnages entrés dans l’Histoire. Un seul artiste, vu comme le bouffon d’un Théâtre Nô transporté en Occident, sous les traits de Salvador Dali ; les autres sont des hommes et des femmes de pouvoir aux héritages plus ou moins glorieux. Et tous sans exception ont visité Versailles… « Sugimoto restaure les ombres qui ont hanté ces lieux et qui ont produit ou hérité de ce grand bouleversement à l’effet universel qu’a été la Révolution française », analysent Jean de Loisy et Alfred Pacquement, les deux commissaires de l’exposition. Qu’en reste-il ? Des spectres qui nous interrogent sur le temps, la contingence, la vanité et la disparition. Tout est mort mais paraît vivant dans cette galerie de morts-vivants. Si photographier un être humain, c’est capter un instant de vie tout en sachant très bien que le geste même de le faire a à voir avec l’absence, photographier les mannequins de cire de madame Tussaud comme s’il s’agissait d’êtres en chair et en os, plonge le regardeur dans une angoisse existentielle, car cette impression de vivant factice intensifie le rapport de la photographie à la mort. « Je fais de l’authentique à partir du faux. Je suis faussaire du faux », explique Sugimoto. « Aujourd’hui, le monde est mort », alertait Sugimoto, il y a quatre ans, dans son exposition du Palais de Tokyo. Ses paysages minimalistes plaident pour la perfection de la nature, entre ombre et lumière. « Révolutions » propose des portraits de gloires prises au filet mortuaire des moulages de cire qui figent l’instant sans en retenir la vie ni en saisir le charme perdu… Comment transmettre l’héritage des Lumières sans tomber dans la Terreur ? Si Madame Tussaud se rappelle au bon souvenir de Sugimoto sur les cimaises du Petit Trianon, c’est qu’habituée de la Cour de Versailles avant la Révolution sous le nom de Marie Grosholtz, elle en connut tous les protagonistes, en modela certains, y enseigna les arts à la princesse Elisabeth, soeur de Louis XVI, avant de se retrouver en prison dans la même cellule que Joséphine de Beauharnais, où les révolutionnaires lui intimèrent l’ordre de faire passer à une postérité de cire les têtes des guillotinés qu’on lui apportait. Et si elle put elle-même échapper à l’échafaud, c’est de peu et par miracle. Les révolutions fomentent aussi des renaissances. 1788, 1938, 2018… Faut-il rappeler que le chiffre huit, symbole de la perfection en Asie et nombre favorable lié à la prospérité, est aussi le symbole d’une vie nouvelle et le signe de l’infini ?

Elizabeth II et Diana, Princess of Wales, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Voltaire, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Fidel Castro, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Salvador Dali, 1999, tirage argentique. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Surface of Revolution, 2018, aluminium, acier. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Glass Tea House Mondrian, Bassin du Plat-Fond, Versailles, 2018, commissionnée à l’origine par Pentagram Stiftung for LE STANZE DEL VETRO, Venice. Architectes : Hiroshi Sugimoto et Tomoyuki Sakakida / New Material Reasearch Laboratory. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Pentagram Stiftung.

Patricia Boyer de Latour

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