Renée Levi est la lauréate du Prix de la Société des Arts • Arts Visuels • Genève 2019, l’un des prix actuellement les plus importants en Suisse. Se préparent une exposition et une publication pour septembre prochain.
Renée Levi est de ces artistes qui ont pour objet permanent d’élargir et de redéfinir avec vigueur le champ de la création et plus précisément, la concernant, celui de la peinture », explique Claire Le Restif, directrice du Crédac. Artiste bâloise de renommée internationale, Renée Levi fait de la peinture abstraite, mais également des dessins et des installations. Architecte de formation, collaboratrice pour Herzog & De Meuron dans les années quatre-
vingts, enseignante à l’École des Beaux-Arts de Bâle depuis 2001, elle développe un travail qui porte sur la perception de l’espace en utilisant des couleurs souvent très vives voir fluorescentes. Née en 1960 à Istanbul, elle a signé des interventions pérennes dans différents lieux en Suisse, publics et semi-publics : Steps pour la clinique Hirslanden à Zurich en 1997 ; Ping à la clinique Barmelweid près d’Aarau en 1998, Eyes pour l’UBS à Bâle en 2000, et Le Tapis volant pour le cycle d’orientation de Montbrillant à Genève en 2003.
Connue pour les grandes installations de peinture qu’elle réalise dès les années deux mille, Renée Levi s’était pourtant lancée dans la production des Kunst am Bau cinq ans auparavant avec une première intervention in situ : Farbraum pour l’Hôtel de Ville de Liestal. Le Kunst am Bau, littéralement, « l’art dans la construction », est une pratique qui reconnaît l’importance de la présence d’œuvre(s) d’art sur un territoire et du rôle des artistes dans la société.
Si l’art et l’architecture se sont éloignés l’un de l’autre dans le courant du XXe siècle, par leurs évolutions respectives, très spécifiques, force est de constater que depuis les années quatrevingt-dix, un nouveau rapprochement s’est progressivement opéré entre les deux domaines, insistant désormais sur l’interaction et le dialogue.
Renée Levi s’inscrit ainsi dans une génération qui fait de la peinture un instrument analytique dans le rapport qu’elle peut entretenir à l’architecture. Refusant dans ce contexte le seul rôle ornemental de la peinture – quand bien même elle travaille avec le non-figuratif et en cela œuvre sur un terrain controversé quand il s’agit de la conjuguer avec le bâtiment – et portant en elle l’héritage moderne qui offre une plus-value à la couleur en tant que telle, Renée Levi pousse ses projets jusqu’à l’expérience sensorielle. Sans pour autant les détacher d’une donnée réflexive qui peut s’étendre à des questions de société.
Affirmant clairement que la peinture peut être autre chose que de la décoration, qu’elle peut s’affranchir des contraintes du tableau, Renée Levi lie étroitement la couleur aux qualités de l’architecture. C’est ce qui rend ses interventions audacieuses et en même temps parfaitement respectueuses du contexte dans lequel elle agit. Ainsi en va-t-il de la salle du Grand Conseil de Lucerne (Reuss, 2001) : les conseillers administratifs siègent désormais à la hauteur d’un rectangle blanc – mettant leurs silhouettes en exergue – situé au sein d’une arche en plein cintre recouverte sur toute sa surface d’entrelacs jaunes. Une nouvelle luminosité s’est immiscée au sein d’une architecture classique et autoritaire. L’intervention baptisée du nom du fleuve lucernois devient force d’intensité conceptuelle avivant les débats, et confirme qu’il est possible de conquérir un espace avec du pictural.
Matériau minéral par excellence, le béton est généralement de couleur grise. Dans l’intervention que Renée Levi imagine en 2003 avec les architectes Weber et Hofer AG de Zurich pour le projet de l’école genevoise mentionné plus haut, un effet de contrastes est appliqué à même le sol et les murs. À partir de la couleur du béton, qui doit être dans ce cas précis « la plus claire » de l’architecture – tel que le décide Renée Levi – les teintes
se sont organisées en évitant délibérément le blanc – réservé stricto sensu aux emplacements des « tableaux noirs » dans les salles de classe et du « tapis volant », gigantesque monochrome réfléchissant ses teintes dans la cour, et agissant comme un espace de respiration dans le collège, de projection et d’imagination pour les élèves : un cramoisi éclate dans les couloirs, dialogue avec l’aubergine des blocs sanitaires et ne rencontre jamais le bleu « Suchard » des salles de classes appliqué sur les murs intérieurs. Réchauffant les tonalités propres des matériaux utilisés pour le bâtiment – le béton, l’acier, le verre – son intervention artistique insuffle une dynamique positive pour les sept cents élèves qui étudient tous les jours au sein d’une œuvre d’art.
Dans son atelier, Renée Levi a eu recours au spray des années durant, comme les tagueurs. Mais elle inscrit aussi ses formes sur des fonds monochromes, et joue sur les nombreuses combinaisons possibles de supports, matériaux, textures et structures, tracés, dessins, démontrant que la conjonction du vibrant et de l’affirmé peuvent ensemble provoquer une position clairement assumée. Conçus à différentes échelles, et se situant
du côté du processus, ses dessins se pratiquent quant à eux tous les jours comme des réflexions. Réalisés à l’acrylique, à la bombe, à l’encre ou à l’aquarelle, ils permettent à son œuvre de rester toujours en mouvement. C’est dans une salle du Palais de l’Athénée que l’artiste pourra en septembre prochain, dans le cadre du Prix de la Société des Arts, répondre par un « geste pictural » et tenter concrètement de modifier quelque chose de la perception de cet espace, traduisant la densité de ses réflexions en une promesse : celle que des moyens simples peuvent véritablement révéler un espace.