THE FABELMANS STEVEN SPIELBERG EXPLIQUE SON TOUR DE MAGIE

The Fabelmans, meilleur film, meilleure réalisation aux Golden Globes 2023. Une oeuvre de Steven Spielberg, avec Gabriel LaBelle, Michelle Will
The Fabelmans, meilleur film, meilleure réalisation aux Golden Globes 2023. Une oeuvre de Steven Spielberg, avec Gabriel LaBelle, Michelle Will
Le dernier film du plus célèbre réalisateur américain remonte le double cours des promesses trahies de l’enfance et de l’amour du cinéma. Un récit essentiel, nimbé de l’ineffable aura des grandes oeuvres. On ne saura jamais vraiment ce qu’est le cinéma. Inscrivons-nous toutefois en faux contre la définition illustre, mais par trop réductrice de Truffaut : « Le travail du metteur en scène est de faire faire de jolies choses à de jolies femmes. » Ce n’était pas gentil pour les messieurs, ni pour les dames. Plus objectivement, si l’on s’en tient au domaine truffaldien de la « fiction », pourra prétendre au statut de cinéma toute séquence dévoilant à l’écran des actrices – et des acteurs – en train de jouer un rôle, soit de contribuer au déploiement d’une histoire. Mais cette objectivité passe elle aussi à côté de l’essentiel, et du plus rare : la magie à l’oeuvre. Car de façon tout à fait inexplicable, bien que filmés avec les mêmes caméras, captés par les mêmes micros, campés par les mêmes comédiens, certains films enchantent dès le premier instant. On ignore pourquoi on a besoin de voir la suite. Le dernier ouvrage de Spielberg, à mi-chemin entre le récit initiatique et le testament artistique, est de ceux-là. François Truffaut, mais celui des Quatre cents coups : comment la forme d’une enfance cisèle une vie d’homme. C’est cependant au Fellini d’Amarcord qu’on songe davantage, tant l’histoire nous est ici contée sous le signe du fantasme, plutôt que du réalisme...

Le dernier film du plus célèbre réalisateur américain remonte le double cours des promesses trahies de l’enfance et de l’amour du cinéma. Un récit essentiel, nimbé de l’ineffable aura des grandes oeuvres.

On ne saura jamais vraiment ce qu’est le cinéma. Inscrivons-nous toutefois en faux contre la définition illustre, mais par trop réductrice de Truffaut : « Le travail du metteur en scène est de faire faire de jolies choses à de jolies femmes. » Ce n’était pas gentil pour les messieurs, ni pour les dames. Plus objectivement, si l’on s’en tient au domaine truffaldien de la « fiction », pourra prétendre au statut de cinéma toute séquence dévoilant à l’écran des actrices – et des acteurs – en train de jouer un rôle, soit de contribuer au déploiement d’une histoire. Mais cette objectivité passe elle aussi à côté de l’essentiel, et du plus rare : la magie à l’oeuvre. Car de façon tout à fait inexplicable, bien que filmés avec les mêmes caméras, captés par les mêmes micros, campés par les mêmes comédiens, certains films enchantent dès le premier instant. On ignore pourquoi on a besoin de voir la suite. Le dernier ouvrage de Spielberg, à mi-chemin entre le récit initiatique et le testament artistique, est de ceux-là.

François Truffaut, mais celui des Quatre cents coups : comment la forme d’une enfance cisèle une vie d’homme. C’est cependant au Fellini d’Amarcord qu’on songe davantage, tant l’histoire nous est ici contée sous le signe du fantasme, plutôt que du réalisme social. Elle s’esquisse au coeur des années cinquante dans le New Jersey, quand le petit Sammy Fabelman pénètre pour la première fois, à contrecoeur, dans une salle de cinéma. On y projette The Greatest Show on Earth de Cecil B. DeMille, un film qui changera son existence ; et la nôtre à tous, puisque se nouera ce soir-là le destin d’un des producteurs de mythes les plus fertiles de notre temps, de Jurassic Park à Indiana Jones, en passant par E.T. ou Les Dents de la mer. La mise en abyme est un exercice périlleux, pourtant. Disséquer le pourquoi d’un amour, c’est risquer de le démagnétiser. Sauf quand les choses sont écrites d’avance : en allemand, Spielberg signifie « montagne de jeu ». Ou si l’on préfère l’allégorie : Fabelman – l’homme rempli de fables.

Le scénariste Tony Kushner révèle que l’idée de ce projet intime est née sur le tournage de Munich en 2005 : durant l’ajustage des explosifs que Steven allait déclencher, en éternel gamin, il avait demandé au metteur en scène d’où lui était venue sa soif de filmer. Celui-ci avait répondu, les yeux humides : « Je vais te confier un secret. » Secret qui allait fonder le socle de The Fabelmans, à savoir la découverte pour un enfant que sa mère aime un autre homme que son père – et que lui. « À compter de ce jour, confie le réalisateur, j’ai cessé de la voir comme un parent, j’ai commencé à la regarder comme un personne ». Or là encore, magie : car de cette lésion banalement oedipienne, Spielberg tire une méditation saisissante sur la gésine de tout artiste. Le secret qui va déchirer sa famille n’étant pas révélé par la vie, mais perçu à travers le prisme d’un objectif, lors du montage du film des vacances. Et la pellicule alors de perdre son statut d’objet ludique, pour se muer en machine à sonder les coulisses du réel. C’est la devise de Cocteau, appliquée à la chambre d’un ado en train de naître comme créateur : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. »

On raconte que sur ce tournage, Spielberg omettait de hurler : « Coupez ! ». Absorbé par chaque scène, il avait besoin de reprendre ses esprits. Nous aussi. La douce folie de Michelle Williams, dans le rôle de la mère, ou la digne tristesse d’un père (Paul Dano) considérant que le cinéma n’est pas un métier, remuent ce qu’il y a d’irrésolu en chaque rêveur déçu – donc en chaque enfant. « J’ai pris conscience, à la fin du montage, que je ne pourrais plus jamais revenir chez moi, conclut l’artiste. Mais il reste ce film ». Voilà enfin l’explication du tour de magie : à rebours de la netflixisation des récits, ne pas chercher à scotcher le public à renfort d’énigmes de carton, de cadrages clonés et de violence gratuite, mais injecter vingt-quatre fois par seconde sa vérité dans une boîte à images. Jusqu’à cet ultime augure dévoilé à Sammy par son grandoncle, dans une séquence aussi féroce qu’inoubliable : « Mon garçon, tu préféreras l’art à ta famille. Ça te fera mal. Ça leur fera mal. Mais c’est déjà trop tard. »

Écrivain, Arthur Dreyfus a collaboré à la revue Positif. Il a aussi été critique de cinéma pour l’émission Le Cercle sur Canal + et il
Écrivain, Arthur Dreyfus a collaboré à la revue Positif. Il a aussi été critique de cinéma pour l’émission Le Cercle sur Canal + et il

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