Jean-Michel Frank, le luxe à nu

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Décorateur le plus en vue de l’entre-deux-guerres, il nous laisse l’héritage d’une fulgurante carrière vouée au silence. Une grande figure des arts décoratifs à la française, à découvrir à la Galerie Patrick Gutknecht, à Genève, qui présente actuellement plusieurs pièces exceptionnelles. « On peut meubler une pièce de façon très luxueuse en la vidant » . Avec Jean-Michel Frank, le superflu, le faux-frère, l’anecdotique des intérieurs bourgeois surchargés de l’époque cèdent le pas à l’exercice du dépouillement intransigeant. Un « less is more » qui provoquera un choc esthétique chez ses contemporains. Silhouetté dans un mélange de matières nobles et de matières jusqu’alors inusitées comme le galuchat, le gypse, le mica, la toile à sac, le fer battu ou la marqueterie de paille auxquels il confère un raffinement insoupçonné, son style refuse systématiquement l’effet. Comptant parmi les précurseurs de l’art minimal, Frank devient ainsi, dans l’entre-deux-guerres, le créateur de meubles et le scénographe d’intérieurs d’une élite éprise de radicalité. Clarté et pureté des lignes s’érigent en valeurs suprêmes dans son œuvre aimantée à l’invisible de la véritable élégance. Cette sobriété claustrale est immédiatement reconnaissable, caractérisée qu’elle est par le savant mélange d’une rigueur presque sèche et d’une légèreté onirique. De ce renouvellement du goût, qui reste plus que jamais d’actualité, restent des émotions mobilières où l’imaginaire roule. « Sous leur ciel de parchemin, les appartements de Frank ressemblent à s’y méprendre à des intérieurs qu’un soleil chauffé à blanc ne déserte jamais », écrit la biographe Laurence Benaïm sous le titre Jean-Michel Frank - Le chercheur de silence....

Décorateur le plus en vue de l’entre-deux-guerres, il nous laisse l’héritage d’une fulgurante carrière vouée au silence. Une grande figure des arts décoratifs à la française, à découvrir à la Galerie Patrick Gutknecht, à Genève, qui présente actuellement plusieurs pièces exceptionnelles.

« On peut meubler une pièce de façon très luxueuse en la vidant » . Avec Jean-Michel Frank, le superflu, le faux-frère, l’anecdotique des intérieurs bourgeois surchargés de l’époque cèdent le pas à l’exercice du dépouillement intransigeant. Un « less is more » qui provoquera un choc esthétique chez ses contemporains. Silhouetté dans un mélange de matières nobles et de matières jusqu’alors inusitées comme le galuchat, le gypse, le mica, la toile à sac, le fer battu ou la marqueterie de paille auxquels il confère un raffinement insoupçonné, son style refuse systématiquement l’effet. Comptant parmi les précurseurs de l’art minimal, Frank devient ainsi, dans l’entre-deux-guerres, le créateur de meubles et le scénographe d’intérieurs d’une élite éprise de radicalité. Clarté et pureté des lignes s’érigent en valeurs suprêmes dans son œuvre aimantée à l’invisible de la véritable élégance. Cette sobriété claustrale est immédiatement reconnaissable, caractérisée qu’elle est par le savant mélange d’une rigueur presque sèche et d’une légèreté onirique. De ce renouvellement du goût, qui reste plus que jamais d’actualité, restent des émotions mobilières où l’imaginaire roule. « Sous leur ciel de parchemin, les appartements de Frank ressemblent à s’y méprendre à des intérieurs qu’un soleil chauffé à blanc ne déserte jamais », écrit la biographe Laurence Benaïm sous le titre Jean-Michel Frank – Le chercheur de silence. Quant au grand fumoir aménagé en 1926 pour la vicomtesse de Noailles, au 11, rue des États-Unis, à Paris, Yves Saint Laurent le qualifiera plus tard de « huitième merveille du monde ».  Immortalisée par les photographies en noir et blanc de Man Ray, cette réalisation emblématique est devenue le paradigme de la sophistication articulée dans l’essentiel : de monumentales portes en bronze, des parois sans fioritures, gainées de panneaux de parchemin clairs, du mica feuilleté sur la cheminée, des marqueteries de paille blonde pour les consoles et les paravents, des lampes en quartz, des tables basses inversées en forme de U, des canapés et fauteuils profonds recouverts de cuir ivoire ou de peluche blanche.

Un court et époustouflant parcours

Né en 1895, fils d’un banquier juif allemand établi à Paris, benjamin d’une fratrie dont les aînés périront sur le front de la Grande Guerre, Jean-Michel Frank grandit dans la bourgeoisie de l’avenue Kléberg durant les derniers soubresauts de l’affaire Dreyfus. Adolescent studieux mais atypique parmi tous les jeunes éphèbes boutonneux du lycée Janson-de-Sailly, il se passionne rapidement pour le monde intellectuel et artistique parisien, s’enthousiasme pour Marcel Proust et André Gide. Seul avec sa mère depuis le suicide de son père en 1915, il devient l’intime de Pierre Drieu la Rochelle et de Louis Aragon pour lesquels il va s’improviser décorateur. Ses réalisations attirent bientôt l’attention d’autres personnalités ouvertes à la modernité. Dès la fin des années vingt, le décorateur collabore avec l’ébéniste Adolphe Chanaux dont naîtra l’essentiel de l’œuvre mobilière, à la fois évocatoire et évanescente, mais paradoxalement nette et décidée. En 1924, Frank emménage dans un hôtel particulier, au 7, rue de Verneuil. La nudité des lieux est telle que le mot de Jean Cocteau quittant l’appartement restera célèbre : « Charmant jeune homme ; dommage que les voleurs lui aient tout pris. »La réputation de l’ensemblier explose après sa réalisation pour les Noailles. Dès lors, il s’impose comme le décorateur le plus recherché de la capitale. Le musicien Cole Porter, le député Gaston Bergery sont parmi ses fidèles. Même François Mauriac se laisse séduire par une esthétique qu’il qualifie « d’esthétique du renoncement ». Cependant, Frank ne se contente pas de décors minimalistes. Ses amitiés avec les Surréalistes l’amènent à dévoiler d’autres talents. À partir de 1930, il réunit autour de lui des artistes et architectes à qui il avait déjà commandé quelques créations. Ainsi, pendant dix ans, Alberto Giacometti, Paul Rodocanachi, Jean Hugo, Emilio Terry et Christian Bérard vont être associés à ses réalisations, tout en tempérant quelque peu son style. Apparaissent les couleurs azuréennes de Bérard, les luminaires en bronze, albâtre, plâtre patiné ou teinté de Giacometti qui prennent une place essentielle dans les aménagements, ainsi que des matériaux plus classiques comme l’ébène, l’ivoire et l’acajou. Le succès est immédiat. Les couturiers Lucien Lelong, Marcel Rochas, Elsa Schiaparelli lui font décorer leur showroom. Des commandes d’agencements d’intérieur viennent aussi des États-Unis, avec des milliardaires tel que Nelson Rockefeller.

New York, dernière escale

En juin 1940, Frank doit fuir Paris, chassé par les Nazis. C’est à New York qu’il se donne la mort le 8 mars 1941. En 1943, l’appartement de la rue de Verneuil est livré au pillage, rendant cruellement prémonitoire le mot d’esprit de Jean Cocteau prononcé vingt ans plus tôt.  En 1970, après un temps d’oubli, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé furent les premiers à porter un nouveau regard admiratif sur son œuvre et à lui apporter leur caution d’esthètes avisés. Ses créations sont parmi les plus recherchées des collectionneurs et inspirent encore aujourd’hui les grands décorateurs d’intérieur. À Genève, le galeriste Patrick Gutknecht, spécialiste des arts décoratifs du XXe siècle et fervent de Jean-Michel Frank depuis vingt ans, présente actuellement plusieurs pièces d’exception du créateur.

Viviane Scaramiglia

 

Galerie Patrick Gutknecht
Rue Saint-Léger 28
1204 Genève
www.gutknecht-gallery.com

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