TURNER. UNE PEINTURE INCANDESCENTE

Bacchus et Ariane, exposée en 1840
À travers une sélection de toiles, aquarelles et gravures, l’exposition organisée à la Fondation Gianadda explore la fascination de l’artiste britannique pour les forces de la nature, la lune, les nuages et surtout le soleil. Dans les semaines précédant sa mort, Joseph Mallord William Turner aurait déclaré à John Ruskin « le soleil est Dieu ». Cette assertion qui sonne comme un axiome témoigne du rôle central que le soleil joue dans l’obsession de l’artiste pour la lumière et la manière de la restituer sur la toile. À une époque où le soleil est encore source de mystère et d’émerveillement, Turner s’intéresse à l’évolution de la science des astres : il assiste à des conférences de la Royal Society – la Société royale de Londres pour l'amélioration des connaissances naturelles –, installée dans le même bâtiment que la Royal Academy, il s’imprègne des nouvelles théories scientifiques sur le soleil pour tenter de le représenter. L’artiste a une approche très expérimentale de la technique picturale. Afin d’essayer de reproduire les effets du soleil en peinture, il a recours à toute une série de dispositifs visuels. Par exemple, on le voit souvent juxtaposer la zone la plus claire d'une composition avec un motif très sombre pour accentuer le contraste. Il utilise des arcs, des cercles de couleur rayonnants, des coups de pinceau brisés, de la peinture à l'huile épaisse. Sous son pinceau la lumière peut être solide, physique ou, au contraire, un éblouissement brutal. Turner veut aller plus loin que peindre le soleil. C’est son...

À travers une sélection de toiles, aquarelles et gravures, l’exposition organisée à la Fondation Gianadda explore la fascination de l’artiste britannique pour les forces de la nature, la lune, les nuages et surtout le soleil.

Dans les semaines précédant sa mort, Joseph Mallord William Turner aurait déclaré à John Ruskin « le soleil est Dieu ». Cette assertion qui sonne comme un axiome témoigne du rôle central que le soleil joue dans l’obsession de l’artiste pour la lumière et la manière de la restituer sur la toile. À une époque où le soleil est encore source de mystère et d’émerveillement, Turner s’intéresse à l’évolution de la science des astres : il assiste à des conférences de la Royal Society – la Société royale de Londres pour l’amélioration des connaissances naturelles –, installée dans le même bâtiment que la Royal Academy, il s’imprègne des nouvelles théories scientifiques sur le soleil pour tenter de le représenter. L’artiste a une approche très expérimentale de la technique picturale. Afin d’essayer de reproduire les effets du soleil en peinture, il a recours à toute une série de dispositifs visuels. Par exemple, on le voit souvent juxtaposer la zone la plus claire d’une composition avec un motif très sombre pour accentuer le contraste. Il utilise des arcs, des cercles de couleur rayonnants, des coups de pinceau brisés, de la peinture à l’huile épaisse. Sous son pinceau la lumière peut être solide, physique ou, au contraire, un éblouissement brutal. Turner veut aller plus loin que peindre le soleil. C’est son énergie et sa lumière qu’il s’ingénie à faire resplendir dans ses tableaux.

Lorsqu’il peint dans le Devon, comté du sud-ouest de l’Angleterre, devant ses yeux surgit pour lui un merveilleux paysage, un site presque féérique, un fleuve irradiant sous un soleil dont les rayons s’irisent. Un pâle firmament fuit à perte de vue, se noie dans un horizon de nacre et se réverbère dans une eau qui chatoie. Inspiré par les paysages pastoraux de Claude Lorrain, peintre nancéen du XVIIe siècle, célèbre jusqu’à Rome et dont les œuvres étaient collectionnées par les grands noms de l’aristocratie, Turner reprend ses compositions et se place, comme lui, face au soleil. Mais alors que le Lorrain est admiré pour ses ciels limpides et ses éclairage subtiles, la lumière de Turner est plus puissante, plus déconcertante aussi. La critique sévère de Sir George Beaumont, héraut de la peinture académique, en 1805, devant les couleurs saturées des toiles de Turner, se transforme dans les années 1820 en un chœur de désapprobations. Son utilisation excessive des jaunes défraye la chronique et ses détracteurs diront de lui qu’il a contracté la fièvre jaune.

À partir de 1817 et jusqu’à sa mort, le peintre va parcourir, outre son propre pays, l’Europe, de l’Italie au Danemark et de l’Autriche aux rivages de la France, en passant à plusieurs reprises par la Suisse, fasciné qu’il est par ses lacs et ses montagnes, ses sommets et ses abîmes. C’est au cours de nombreux voyage qu’il trouve, fasciné par la nature, le véritable sujet de ses œuvres ; les corps lumineux et liquides favorisent l’élaboration d’une peinture incandescente ; les précipices et l’évocation des brumes deviennent sources et réceptacles de rayonnements solaires. Chez Turner, la lumière n’est jamais lointaine. Même quand il peint une tempête de neige, le soleil perce derrière les nuages chargés de flocons et il fait s’abattre les rayons dorés de l’astre qui irradie sur la blancheur du paysage. On le sent même pointer derrière les nuages gris chargés de pluie de l’Angleterre humide. L’utilisation de couleurs intenses, à tort considérée comme une réponse à son expérience de l’Italie et de sa lumière, est déjà présente dans ses scènes d’Europe du Nord, aussi bien à Dieppe, en Normandie, qu’à Cologne, et même sur les rives de la Tamise.

Si Turner travaille avec enthousiasme à Rome c’est davantage pour y découvrir les maîtres que pour en tirer la matière de paysages. Alors qu’il a étudié et copié dans la collection du Dr Thomas Monro les délicates vues romaines de John Robert Cozens, qu’il a admiré les raffinements des œuvres du Lorrain, il est sans doute dérouté par la franchise des ombres, la limpidité des paysages et la brutalité de la luminosité. Dans la Ville éternelle, c’est le poids de l’histoire qui le frappe. Turner puise son inspiration dans la mythologie antique. Le supplice de Regulus, général romain, paupières cousues et exposé face au soleil, est repris par l’artiste qui reproduit en peinture l’effet de l’éblouissement solaire, tandis que ses tableaux de Python et du prêtre Chrysès mettent en scène le dieu grec du soleil, Apollon. La course du soleil permet enfin à Turner de construire un récit icarien d’ascension et de chute, celui de l’expansion et du déclin de l’Empire carthaginois ou encore celui de l’ascension et de l’effondrement de la domination napoléonienne.

C’est en réalité dans le nord de la péninsule, à Venise, que le peintre trouve un nouvel élan. La puissance et l’intensité de la Sérénissime de Turner proviennent de la dramatisation de la lumière. Ses œuvres sont des concentrations denses de pigments blancs et jaunes destinés à reproduire l’effet éblouissant d’un regard fixé directement sur le soleil. Ces images incandescentes et liquides à la fois déroutent nombre de ses contemporains par la dissolution des formes et les subjuguent par la maîtrise incomparable des couleurs. Dans les années 1840, récolant les fruits de décennies d’expérimentation de pigments et de mélanges de couleurs, il peint, de manière plus expressive encore et dans une matière qui se fait tactile, des études à l’huile audacieuses qui, comme de nombreuses aquarelles réalisées au même moment, semblent avoir été peintes entièrement pour son propre plaisir ou pour sa propre formation, et n’ont été ni exposées ni vendues. Ici, c’est le jour qui se lève : Turner laisse tomber des charges de peinture orange et de rouge liquides dans un lavis jaune humide qui souille le ciel. Ailleurs, c’est le coucher de soleil ardent sur l’eau qui embrase le papier.

Les paysages de Turner se regardent comme une offrande au Dieu soleil. L’artiste capture tel un trophée la douce lumière de l’aube, l’éclat intransigeant du midi ou l’éclairage en technicolor du couchant. Avec la même ferveur esthétique et technique Turner explore les métamorphoses de l’astre tour à tour phénomène naturel, objet d’études astronomiques, source de mystère voire d’inspiration mystique, ou corps céleste impérieux.

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