GERALD CRAMER

Pablo Picasso dans son atelier
« La Californie ». Il grave un
cuivre en présence de Gérald,
Ynès et Tania Cramer, vers 1961
Photo de Jacqueline Picasso
© BGE, Arch. Gérald Cramer Photo 428
Pablo Picasso dans son atelier « La Californie ». Il grave un cuivre en présence de Gérald, Ynès et Tania Cramer, vers 1961 Photo de Jacqueline Picasso © BGE, Arch. Gérald Cramer Photo 428
Pour le centenaire de la naissance de l’éditeur genevois le Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire de Genève présente : «  Gérald Cramer et ses artistes : Chagall, Miró, Moore. » Un  splendide voyage au cœur de la création où l’amitié est toujours au rendez-vous. Impossible pour Gérald Cramer  de travailler autrement que dans l’amitié. Le Cabinet des arts graphiques  le démontre avec brio dès l’entrée de l’exposition.  Sur  un écran géant défile ses amis  : Henri Matisse, Georges Braque, Pablo Picasso,  Juan Miró,  Alberto Giacometti , Paul Eluard, Marc  Chagall, Henry Moore,  Alexander Calder etc. On comprend tout de suite  la relation intime que Cramer entretient   avec ces géants du vingtième siècle.  Dans la première salle, les cartes de vœux de Braque,  oiseaux  bleu, noir ou rouge voisinent avec un livre dédicacé par Henri Matisse, un tableau de Miró offert pour ses soixante ans,   un exemplaire de « Sable mouvant » de Pierre Reverdy cadeau de Picasso.  Les dix aquatintes qui illustrent celui-ci  empruntent  le thème du peintre et son modèle. Picasso l’a dédicacé  à son ami Gérald Cramer, le 22 juillet 1967, orné d’une tête d’homme barbu. L’éditeur lui rend visite pour la première fois en 1945 rue des Grands-Augustins avec l’idée de lui acheter un tableau et une gouache sur papier.  Picasso est d’accord  mais il faut  bien fixer un prix. Alors Pablo dit à Gérald en l’attrapant par la manche de son veston : « Qu’est-ce que ça vaut un costume comme ça en Suisse ? » Gérald  répond  :« deux cents francs » et Pablo de...

Pour le centenaire de la naissance de l’éditeur genevois le Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire de Genève présente : «  Gérald Cramer et ses artistes : Chagall, Miró, Moore. » Un  splendide voyage au cœur de la création où l’amitié est toujours au rendez-vous.

Impossible pour Gérald Cramer  de travailler autrement que dans l’amitié. Le Cabinet des arts graphiques  le démontre avec brio dès l’entrée de l’exposition.  Sur  un écran géant défile ses amis  : Henri Matisse, Georges Braque, Pablo Picasso,  Juan Miró,  Alberto Giacometti , Paul Eluard, Marc  Chagall, Henry Moore,  Alexander Calder etc. On comprend tout de suite  la relation intime que Cramer entretient   avec ces géants du vingtième siècle.  Dans la première salle, les cartes de vœux de Braque,  oiseaux  bleu, noir ou rouge voisinent avec un livre dédicacé par Henri Matisse, un tableau de Miró offert pour ses soixante ans,   un exemplaire de « Sable mouvant » de Pierre Reverdy cadeau de Picasso.  Les dix aquatintes qui illustrent celui-ci  empruntent  le thème du peintre et son modèle. Picasso l’a dédicacé  à son ami Gérald Cramer, le 22 juillet 1967, orné d’une tête d’homme barbu. L’éditeur lui rend visite pour la première fois en 1945 rue des Grands-Augustins avec l’idée de lui acheter un tableau et une gouache sur papier.  Picasso est d’accord  mais il faut  bien fixer un prix. Alors Pablo dit à Gérald en l’attrapant par la manche de son veston : « Qu’est-ce que ça vaut un costume comme ça en Suisse ? » Gérald  répond  :« deux cents francs » et Pablo de rétorquer : « alors ce sera dix costumes. »   À partir de cette date, une amitié est née. Combien de fois,  Gérald  qui possède une maison à Grasse, se rendra à la Californie à Cannes, puis à Notre- Dame- de- Vie  à Mougins chez Pablo et Jacqueline Picasso  avec sa femme Ynès, leurs  deux enfants Tania et Patrick, et plus tard avec les jumeaux de Tania , Eric et  Henry.

Pablo Picasso dans son atelier « La Californie ». Il grave un cuivre en présence de Gérald, Ynès et Tania Cramer, vers 1961 Photo de Jacqueline Picasso © BGE, Arch. Gérald Cramer Photo 428
Pablo Picasso dans son atelier
« La Californie ». Il grave un
cuivre en présence de Gérald,
Ynès et Tania Cramer, vers 1961
Photo de Jacqueline Picasso
© BGE, Arch. Gérald Cramer Photo 428

Rien ne prédestinait Gérald Cramer né le  22 juin 1916 à Genève, dans une famille de banquiers  à devenir l’un des plus grands  éditeurs d’art  de son époque,  si ce n’est que ses ancêtres Gabriel et Philibert Cramer  ont été ceux  de Voltaire.

 Après des études de droit, il  peine à trouver sa vocation : «  J’ai perdu mon père à l’âge de vingt ans et je n’avais pas beaucoup de direction dans ma vie. »

En 1940, en pleine mobilisation dans l’armée suisse, Gérald  tombe gravement malade avec le sentiment qu’il ne va jamais s’en sortir. Pendant  son interminable  convalescence pour tuer le temps, il  s’initie à la reliure artistique. Il dévore tout ce qui lui tombe sous la main.  De passage à Zurich, à l’automne 1942, il pousse la porte de la grande librairie Elsässer et ne trouve pas ce qu’il cherche. Le propriétaire, Giovanni Rodio,  séduit par ce jeune érudit lui propose d’emblée  le département du livre français. Très vite, cet apprentissage  permet à Gérald  de rencontrer la poignée de personnes qui compte alors dans le domaine des livres rares en Suisse. Notamment  le libraire genevois William Kündig, qui le prend comme expert à ses côtés. En 1942, Gérald se marie à Gwatt sur les bords du lac de Thoune, avec  Ynès von Bonstetten.  Issue d’une grande famille patricienne bernoise, et apparentée par sa mère Betty  Lambert à celle des Rothschild. Ynès a 19 ans,  un chic fou et elle est extrêmement cultivée.  De retour à Genève en 1943,   le couple s ‘installe dans un appartement de la rue Adhémar- Fabri. C’est là que Gérald débute à son compte  son métier d’éditeur et de libraire. Il envoie à ses clients des listes polycopiées  d’ouvrages qu’il propose. Ses  bibliophiles  se nomment  déjà  Tristan Tzara,  Henri Matisse,  Georges Braque et aussi Picasso qui, un jour, lui renvoie sa liste en cochant tout accompagné d’un dessin.  En  1952, Cramer  présente dans sa nouvelle  galerie du 13, rue de Chantepoulet,  «  de Degas à Giacometti » eaux -fortes, sculptures, dessins et lithographies.  Le critique du Journal de Genève écrit : «  Un autre bronze de Maillol, une «  Baigneuse » riche de sève nous fait sentir par comparaison tout ce qu’il y a d’artificiel dans la figure étirée de Giacometti…les lithos de Matisse sont molles, la sculpture érotique de Miró nous impose un sexe béant, comme un bâillement, quant aux mobiles et aux stabiles de Calder, petits morceaux de métal découpés et pliés, je ne sais trop qu’en penser. »

Qu’importe Gérald aime et défend ses artistes envers et contre tout. Non seulement,  il les aide financièrement,  donne des idées,  mais leur laisse une totale liberté, un temps indéfini pour aller jusqu’au bout de leur travail.  Comme en témoigne « À Toute Epreuve »,  sa plus exaltante aventure éditoriale.  Gérald Cramer a eu  un coup de cœur en  lisant les poèmes d’Eluard écrits  après sa rupture avec Gala partie  vivre avec Dali.  Gérald dit à  Eluard qu’il souhaite en  faire un livre illustré. Ce dernier, enthousiaste,  lui conseille de demander à son ami Miró.  Réponse du peintre le 19 mars 1947 : « Monsieur, j’ai reçu votre lettre du 8 mars, avec la brochure d’Eluard et dois vous dire avec quel enthousiasme je vais l’illustrer… »  Gérald et  Miró se retrouvent à Barcelone, et Cramer lui montre  des  bois de Gauguin ayant servi pour son œuvre gravée.  Miró  décide alors d’adopter  la xylographie.

Le commissaire de l’exposition, Christian Rümelin , entraîne le visiteur  au cœur de la création de cet ouvrage extraordinaire.  On peut admirer les bois matrices dont s’est servi le peintre, et découvrir toutes les illustrations pas moins de quatre -vingts  alors qu’une quarantaine était prévue au départ.  Miró va tout d’abord vivre l’atmosphère du livre, s’imprégner  de ce couple Gala Eluard  divisé, déchiré, pour trouver dit- il : « des images solitude. »  À chaque page les couleurs de Miró éclatent comme des soleils, c’est un feu sacré, un véritable  acte d’amour.  «  À Toute Epreuve » sera imprimé  en 1958 chez Lacourière  et  Frélaut à Paris.   Quel éditeur aujourd’hui serait ainsi à l’écoute d’un artiste, attendrait dix ans la naissance d’un livre, sans montrer le moindre signe d’impatience juste pour atteindre  la perfection absolue !

 Gérald Cramer a écrit un jour  que  Miró n’aurait pas été Miró sans sa femme Pilar.  On peut dire la même  chose pour  Gérald, avec Ynès , ils formaient  un merveilleux « team ».

 En 1958, Chagall et son épouse Vava séjournent  quinze jours  à la Closeraie, la demeure  des Cramer à Mies. Le  chêne majestueux   du parc inspire  Chagall  qui  dessine un couple d’amoureux  au pied de l’arbre.  Le peintre est fasciné par un  paravent de Pierre Bonnard représentant des nourrices avec enfants  place de la Concorde à Paris, qui se trouve dans le salon et date de 1899. Cramer lui suggère d’en réaliser un aussi. Et Chagall va se mettre au travail et  l’offrir à ses hôtes.

 Les deux paravents   sont d’ailleurs  exposés dos à dos  entourés des  poèmes de Chagall illustrés par lui-même  ainsi que de ses monotypes. C’est Ynès qui souffle l’idée  à Chagall pour ses  Psaumes de David : ajouter de l’aquatinte dans le fond de ses gravures en noir et blanc,  avant que  Gérald ne  les  publie en 1979.

L’exposition  s’achève avec le  sculpteur Henry Moore avec lequel comme avec Miró,  Gérald aimait tant  faire du bateau.  Ses  gravures animalières  se déclinent autour d’un crâne d’éléphant que des amis lui avaient ramené du Kenya. « On n’ a pas osé emprunter le modèle original pour des questions de douane explique Christian Rümelin.  Le crâne de « Miss Djeck », une éléphante exhibée puis abattue dans les Bastions à Genève en 1937, a fait l’affaire ».

Gérald sera aussi à l’origine, de l’achat par la ville de Genève  de la   sculpture  « Reclining Figure : Arch Leg » qui se trouve Promenade de l’Observatoire  face au Musée d’art et d’histoire de Genève.  Son ami Henry Moore est venu lui- même choisir son emplacement.

 Cramer va faire preuve aussi  d’une immense générosité  en faisant don  de toutes ses archives à la ville de Genève.  En 1976, il remet la gestion de sa galerie à son fils Patrick, souhaitant se consacrer uniquement à l’édition.

Le dimanche 17 mars 1991,    Gérald meurt emporté par un cancer dans sa maison de Mies.  Il n’a que 74 ans. Le « New York Times » lui rend hommage et salue  l’éditeur  d’ « À Toute Epreuve »l’un des plus beaux livres illustrés du vingtième siècle, exposé au MoMA  de New York, à la Bibliothèque nationale de France à Paris  ainsi qu’au musée du  Louvre.   Ynès  gardera  intact le bureau de Gérald au premier étage  de la Closeraie. Elle me l’avait montré avec beaucoup d’émotion, à ma dernière visite, ainsi qu’un mobile noir de Calder « Eight Black Leaves » car c’était un cadeau de son mari.   Calder s’amusait à appeler Gérald « Bibliocramer ». Ce dernier a été l’un des premiers à diffuser et à exposer  son œuvre en Europe après la guerre , Calder lui en a toujours été reconnaissant.

Le 31 juillet  2012,  Ynès a rejoint Gérald. Tous deux  reposent  dans le petit cimetière de Genthod. On peut lire gravé dans le marbre noir   « Que risques- tu l’amour fait rire la douleur et crier sur les toits l’impuissance du monde » signé  Paul Eluard.

Pépita Dupont

A lire : « Gérald Cramer et  ses  artistes : Chagall, Miró, Moore » (Patrick Cramer Editeur)

Jusqu’ au 29 janvier 2017

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