Irréductibilité

Irreductibilite
Valentin Benoît Sans doute fait-on souvent de nos jours un abus de langage quand, en parlant de l'une ou de l'autre de ces grandes expositions organisées chaque saison dans nos capitales, on dit qu'il s'est agi de « réhabiliter », de « faire justice » à ce peintre ou à ce sculpteur plus ou moins délaissé par la critique ou le public. Pourtant ces mots, parfois, sont les bons. On les emploiera à bon escient pour l'exposition qui se tient actuellement à Paris, au Grand Palais, dédiée au photographe américain Robert Mapplethorpe (1946-1988). Car on se rappellera qu'il n'y a pas si longtemps, en 1990, dans sa patrie, un procès pour obscénité fut intenté à l'une des institutions qui organisèrent une exposition de ses œuvres, intitulée « The Perfect Moment » ; ou qu'en 1998, à Birmingham, on retira de la bibliothèque de l'University of Central England cet ouvrage d'Arthur Danto : Playing with the Edge. The Photographic Achievement of Robert Mapplethorpe. Les moralistes et les censeurs ont toujours, à toutes les époques – qu'on songe aux critiques que suscita le Jugement dernier de Michel-Ange –, réduit l'art, desservi les forces complexes de l'esprit, ignoré la vie des formes, pointé tristement les grandes œuvres pour n'y voir que leurs propres limites. Pas plus que le génie de la Sixtine, Robert Mapplethorpe ne se donnait pour but de choquer : « Je n'aime pas ce mot : « choquant ». Je cherche l'imprévu. Je cherche des choses...
Valentin Benoît
Valentin Benoît

Sans doute fait-on souvent de nos jours un abus de langage quand, en parlant de l’une ou de l’autre de ces grandes expositions organisées chaque saison dans nos capitales, on dit qu’il s’est agi de « réhabiliter », de « faire justice » à ce peintre ou à ce sculpteur plus ou moins délaissé par la critique ou le public. Pourtant ces mots, parfois, sont les bons. On les emploiera à bon escient pour l’exposition qui se tient actuellement à Paris, au Grand Palais, dédiée au photographe américain Robert Mapplethorpe (1946-1988). Car on se rappellera qu’il n’y a pas si longtemps, en 1990, dans sa patrie, un procès pour obscénité fut intenté à l’une des institutions qui organisèrent une exposition de ses œuvres, intitulée « The Perfect Moment » ; ou qu’en 1998, à Birmingham, on retira de la bibliothèque de l’University of Central England cet ouvrage d’Arthur Danto : Playing with the Edge. The Photographic Achievement of Robert Mapplethorpe. Les moralistes et les censeurs ont toujours, à toutes les époques – qu’on songe aux critiques que suscita le Jugement dernier de Michel-Ange –, réduit l’art, desservi les forces complexes de l’esprit, ignoré la vie des formes, pointé tristement les grandes œuvres pour n’y voir que leurs propres limites. Pas plus que le génie de la Sixtine, Robert Mapplethorpe ne se donnait pour but de choquer : « Je n’aime pas ce mot : « choquant ». Je cherche l’imprévu. Je cherche des choses que je n’ai jamais vues… J’étais dans la position de pouvoir prendre ces photos. Je me sentais dans l’obligation de le faire. ». Montreur par excellence du galbe viril et des enlacements d’hommes, du cuir épais, de l’incongru, de la sensualité la plus crue, Mapplethorpe s’est efforcé de donner forme, à sa manière, à cette assertion de Michel Foucault : « il ne faut pas être homosexuel mais s’acharner à être gay ». Seulement, cela va sans dire, il n’aurait pas été ce chantre archaïque de la liberté s’il n’avait été, avant tout et en dernier lieu, un artiste, soit un homme aux préoccupations universelles. Les crânes, les fleurs et les sourires (celui de Louise Bourgeois par exemple) ne lui sont pas étrangers.

Robert Mapplethorpe Grand Palais, Paris Jusqu’au 13 juillet 2014
Robert Mapplethorpe
Grand Palais, Paris
Jusqu’au 13 juillet 2014

On peut considérer la photographie comme relevant de la vieille mimesis, comme continuant cet effort qui relie les Vénitiens du XVIe siècle aux impressionnistes, cette volonté de saisir ce qui nous entoure et en particulier cette lumière qui nuance tout à l’infini, une gorge désirable comme une confortable meule de foin. D’où l’idée que la photographie, dont la lumière même est un moyen, est nécessairement fidèle. Parallèlement à cette conception, à laquelle on peut associer le nom magique d’« l’instantané », les œuvres de Robert Mapplethorpe en suggèrent une autre. Notre homme construit, géométrise, monumentalise. Il s’apparente aux Florentins de la Renaissance qui chérissaient le volume et pour qui la lumière garantissait celui-ci. Son black and white a peu à voir avec le clair-obscur, le débordant, le mystérieux. Il est au contraire une forme de franchise, de force, une manière – avec tous les sens attachés à ce verbe éminemment classique – de forcer.

Toute œuvre d’art véritable, autrement dit : tout objet ou toute image que définit une certaine irréductibilité, se double de sentiments et d’idées. Les photographies de Robert Mapplethorpe n’échappent pas à cette constante. Elles nous offrent elles aussi, comme les haïkus les plus doux ou les épopées les plus frustes, mille réponses, et mille fois plus de questions encore. « Quelle valeur pour le corps ? » se dira-t-on peut-être devant l’œuvre intitulée Thomas, un nu qui tient presque du pictogramme. « La nature me voit-elle ou m’entend-elle seulement ? » devant la fleur Calla Lily. « Ma chère amie, ô chère amie… » percevrons-nous sans doute devant tel portrait de Patti Smith. « Qui m’interdira de jouer et d’être ? » face à l’Autoportrait de 1980. « Où m’amènera la mort ? » aussi, face au « double » et poignant Autoportrait de 1988.

Ken Moody, 1983 50,8 x 40,6 cm © Robert Mapplethorpe Foundation.
Ken Moody, 1983
50,8 x 40,6 cm
© Robert Mapplethorpe Foundation.

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