La limite du langage

Olivier Kaeppelin Essayer de comprendre et d’utiliser chaque jour un peu mieux l’expérience que propose l’art pour connaître le monde est une préoccupation, un objet de réflexion et surtout une suite d’actes qui me semblent essentiels. L’art est une expression et une connaissance. Il traverse l’histoire des civilisations et, bien sûr, celle de l’histoire occidentale, mais étrangement l’Occident ne lui accorde guère cette deuxième qualité. Si nous pouvons nous passionner pour sa capacité expressive, il est peu fréquent que nous lui accordions les qualités et les pouvoirs essentiels d’un savoir, de la même manière que nous le faisons pour les sciences ou les sciences humaines comme il en va, par les temps qui courent, pour l’économie. Il est très rare, dans les enquêtes menées pour les journaux ou les magazines sur l’état du monde, c’est-à-dire l’état de la société, de la matière ou de l’univers, de voir interroger, aux côtés des savants ou des théoriciens, des artistes, qui ont pourtant beaucoup à « dire », à « montrer » et à échanger sur ce sujet. Une grande partie cependant de ma compréhension du réel ne m’est possible que parce qu’elle a été construite par les œuvres d’art, non pas isolées et sacralisées, mais en relation avec d’autres types de savoir. Je me souviens toujours avec beaucoup d’émotion de ce moment, voilà déjà bien longtemps, dans l’atelier du sculpteur Skoda où, observant ses travaux et ses recherches sur la matière, ceux-ci existaient, non pour signifier une forme extérieure autour de laquelle...
Olivier Kaeppelin

Essayer de comprendre et d’utiliser chaque jour un peu mieux l’expérience que propose l’art pour connaître le monde est une préoccupation, un objet de réflexion et surtout une suite d’actes qui me semblent essentiels.

L’art est une expression et une connaissance. Il traverse l’histoire des civilisations et, bien sûr, celle de l’histoire occidentale, mais étrangement l’Occident ne lui accorde guère cette deuxième qualité.

Si nous pouvons nous passionner pour sa capacité expressive, il est peu fréquent que nous lui accordions les qualités et les pouvoirs essentiels d’un savoir, de la même manière que nous le faisons pour les sciences ou les sciences humaines comme il en va, par les temps qui courent, pour l’économie.

Il est très rare, dans les enquêtes menées pour les journaux ou les magazines sur l’état du monde, c’est-à-dire l’état de la société, de la matière ou de l’univers, de voir interroger, aux côtés des savants ou des théoriciens, des artistes, qui ont pourtant beaucoup à « dire », à « montrer » et à échanger sur ce sujet.

Une grande partie cependant de ma compréhension du réel ne m’est possible que parce qu’elle a été construite par les œuvres d’art, non pas isolées et sacralisées, mais en relation avec d’autres types de savoir.

Je me souviens toujours avec beaucoup d’émotion de ce moment, voilà déjà bien longtemps, dans l’atelier du sculpteur Skoda où, observant ses travaux et ses recherches sur la matière, ceux-ci existaient, non pour signifier une forme extérieure autour de laquelle nous pouvions tourner et multiplier les points de vue, mais pour manifester une substance interne qui s’écroulant, se rabattant sur elle-même, créait un foyer d’énergie que Skoda tentait de saisir par ses volumes.

L’important n’était pas ce que nous pouvions percevoir directement, mais ce que nous laissaient supposer les formes visibles nous conduisant au cœur de son œuvre, bâtie sur l’hypothèse d’une matière présente et invisible, non pas un vide, mais une substance réelle que ses recherches tentaient de débusquer par les effets qu’elle produisait sur l’espace. En l’écoutant, en regardant, ce jour-là, je comprenais que l’art, comme le faisait l’astronomie pour les « trous noirs », était en train de formuler une conception précise de l’univers et de la pensée.

Ce sentiment, je l’éprouve aussi quand je me trouve dans l’atelier de Fabrice Hyber ou que je travaille à son exposition « Essentiel » à la Fondation Maeght. Fabrice Hyber explique que son dessin est sa pensée. C’est cette pensée que je suis, non pas à travers des argumentations logico-déductives, des discours, mais grâce à son dessin qui figure, additionne, multiplie, glisse d’un point à un autre, change la nature d’éléments usuels que je crois connaître, les anime d’un mouvement qui m’invite à l’expérience d’un monde en perpétuelle croissance.

Grâce à Fabrice Hyber je connais mieux les principes, les phénomènes, les genèses qui organisent ou désorganisent nos vies.

C’est avec ces œuvres et bien d’autres, toutes fragments de savoirs, de propositions d’interprétation, que je comprends et me situe dans la société humaine, à travers les rapports qu’elle entretient avec ce qu’elle n’est pas.

C’est à partir de ces questions, ces discussions, qu’avec Adrien Maeght, j’ai proposé à Bernard-Henri Lévy, par une exposition et un livre catalogue, très libres, comme peuvent les imaginer les écrivains, depuis toujours compagnons de route de la Fondation Maeght, d’approfondir cette réflexion, mais aussi ce vécu d’émotions très vives, ces développements d’utopies, cette mémoire de controverses productives, ainsi que la mise en lumière de concepts, de fictions et surtout de formes qui ont marqué la création artistique.

Il fallait l’envisager, je crois, non pas du seul point de vue de l’art, mais en confrontant ce point de vue, riche et complexe, à d’autres modes d’approche, d’autres méthodes de pensée, en l’occurrence la philosophie. Vieille ennemie, vieille complice, vieille compagne de l’art, elle l’est encore aujourd’hui et de façon étonnamment actuelle. Elle l’est dans l’incompréhension ou dans la « sympathie » avec au milieu la question du langage, des mots et de ce qui leur échappe. Ce dialogue construit par Bernard-Henri Lévy met en relief et permet, je l’espère, de mieux faire comprendre notre relation au monde. N’est-ce pas l’ambition de la philosophie et, par des chemins détournés, celle de l’art ? Il est temps de les écouter ou de mieux les voir dans les troubles de l’époque.

 

Olivier Kaeppelin

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