Au parcours des mondes, le frisson des arts lointains

C’est devenu le rendez-vous incontournable des amateurs d’arts premiers. Lors de la prochaine édition du Parcours des Mondes du 10 au 15 septembre prochain, amateurs, collectionneurs et même conservateurs de musée se presseront dans les galeries du mythique quartier de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, pour dénicher l’oiseau rare qui manque encore à leur collection : masques Dan de Côte d’Ivoire, fétiche nkisi du Congo dardé de clous, poupée kachina des Indiens Hopi ou Zuni, bouclier d’Afrique ou d’Océanie… En ces temps de morosité ambiante, les marchands constatent d’ailleurs un engouement croissant pour les arts venus d’ailleurs imprégnés de spiritualité. Mais des peintures aborigènes d’Australie aux ivoires eskimos en passant par les sculptures des Philippines ou de l’Indonésie, de nouveaux « territoires » restent encore à conquérir, promesses de chocs intellectuels et esthétiques. STÉPHANE JACOB, UN PASSEUR DE « RÊVES » Rien ne prédisposait le jeune étudiant de l’École du Louvre spécialisé en architecture et décor des grandes demeures à devenir l’un des plus ardents défenseurs de la peinture aborigène. Et pourtant, depuis son premier voyage « initiatique » en Australie en 1991 et la découverte de communautés d’artistes viscéralement attachés à la terre de leurs ancêtres et à leur cosmogonie, Stéphane Jacob n’a eu de cesse de faire découvrir à un public de plus en plus large leur poésie onirique. Il propose ces toiles zébrées d’éclairs et ponctuées de trous d’eau, véritables cartographies mystiques des Temps primordiaux qui virent naître les premiers êtres surnaturels, mais aussi se former les premiers paysages tels qu’ils existent encore. Célébrés, pour certains d’entre...

C’est devenu le rendez-vous incontournable des amateurs d’arts premiers. Lors de la prochaine édition du Parcours des Mondes du 10 au 15 septembre prochain, amateurs, collectionneurs et même conservateurs de musée se presseront dans les galeries du mythique quartier de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, pour dénicher l’oiseau rare qui manque encore à leur collection : masques Dan de Côte d’Ivoire, fétiche nkisi du Congo dardé de clous, poupée kachina des Indiens Hopi ou Zuni, bouclier d’Afrique ou d’Océanie…

En ces temps de morosité ambiante, les marchands constatent d’ailleurs un engouement croissant pour les arts venus d’ailleurs imprégnés de spiritualité. Mais des peintures aborigènes d’Australie aux ivoires eskimos en passant par les sculptures des Philippines ou de l’Indonésie, de nouveaux « territoires » restent encore à conquérir, promesses de chocs intellectuels et esthétiques.

STÉPHANE JACOB, UN PASSEUR DE « RÊVES »

Rien ne prédisposait le jeune étudiant de l’École du Louvre spécialisé en architecture et décor des grandes demeures à devenir l’un des plus ardents défenseurs de la peinture aborigène. Et pourtant, depuis son premier voyage « initiatique » en Australie en 1991 et la découverte de communautés d’artistes viscéralement attachés à la terre de leurs ancêtres et à leur cosmogonie, Stéphane Jacob n’a eu de cesse de faire découvrir à un public de plus en plus large leur poésie onirique. Il propose ces toiles zébrées d’éclairs et ponctuées de trous d’eau, véritables cartographies mystiques des Temps primordiaux qui virent naître les premiers êtres surnaturels, mais aussi se former les premiers paysages tels qu’ils existent encore. Célébrés, pour certains d’entre eux, dans les plus grandes biennales d’art contemporain, les peintres aborigènes n’en continuent pas moins à perpétuer leur corpus d’images et à réactiver ce « Temps du Rêve » à travers leurs œuvres. Une façon magique et spirituelle de le rendre éternellement vivant. Démonstration éblouissante au Parcours des Mondes avec ces deux artistes inspirées présentées par Stéphane Jacob : l’illustre doyenne Kathleen Petyarre (née en 1930) et Abie Loy Kemarre, sa petite fille, qui reprend avec maestria la tradition picturale du Désert central australien.

Commentaire de l’œuvre de Kathleen Petyarre : Mountain Devil Lizard Dreaming, 2010, Utopia, Désert central, Territoire du Nord, acrylique sur toile, 122 x 122 cm.

Télescopant passé et présent, souvenirs mythiques et claniques, lignée masculine et féminine, cette magnifique toile est représentative du style pictural de Kathleen Petyarre. On y décèle en effet la maîtrise exceptionnelle du dot painting ou « pointillisme », technique expérimentée dès les années soixante-dix par les premières communautés de peintres aborigènes pour retranscrire leurs territoires mystiques. Vivant désormais à Adélaïde, l’artiste n’en demeure pas moins la gardienne d’un motif hérité du « Temps du Rêve » : celui de la Femme-Lézard Arnkerrth dont les lézards du désert (baptisés « Moutain Devils » à cause de leurs piquants semblables à des cornes) sont considérés comme les incarnations actuelles. Mais au-delà du décryptage « ésotérique », s’impose la force plastique de cette toile, d’un chromatisme et d’un dépouillement « métaphysiques ».

Commentaire de l’œuvre d’Abie Loy Kemarre : Bush Leaf – Optic, 2013, Utopia, Désert central, Territoire du Nord, acrylique sur toile, 122 x 122 cm.

C’est sur les conseils de sa grand-mère, la grande Kathleen Petyarre, qu’Abie Loy Kemarre a pris le pinceau à son tour et est devenue l’une des artistes les mieux représentées dans les collections privées et publiques australiennes. Sur cette immense toile, hypnotique à souhait, vibrent les feuilles d’une plante bien connue des Aborigènes pour ses vertus thérapeutiques et hallucinogènes : l’ipomoea muelleri, bénéfique et maléfique tout à la fois.

Mais – ne l’oublions pas – ce que notre œil occidental perçoit comme une œuvre d’art d’un modernisme abouti revêt une importance considérable pour les membres de la communauté d’Abie Loy Kemarre. Aussi séduisante soit-elle, cette peinture est un rappel des origines en même temps qu’un acte de foi.

ANTONY JP MEYER, ARPENTEUR DE TERRITOIRES NOUVEAUX

« Le propre du marchand est d’être toujours en avance sur sa clientèle », affirme d’emblée Antony Meyer qui s’est spécialisé dans l’art océanien depuis 33 ans. Œil qui frise, moustache triomphante, le galeriste avoue être mû par le désir de résister aux effets de mode et de montrer avant tout des objets d’exception. Acquisitions récentes ou « vieilles amies qui ont l’honneur d’être à nouveau sous les spots », les pièces exposées au Parcours ont donc été choisies pour des raisons totalement subjectives. En témoignent ces ivoires eskimos dont la dimension magico-religieuse n’exclut pas l’intention esthétique de haute volée.

Petite figure chamanique représentant un ancêtre. Culture Okvik, Île Saint Laurence, Détroit de Béring, Alaska. Défense de morse fossilisée. 250 av. J.-C. , 100 apr. J.-C. 5,2 cm.

« Devant ces objets, on est à l’époque de la plus haute antiquité de l’homme », s’émeut le marchand en contemplant cette figurine excédant à peine cinq centimètres. Le visage et le corps ornés de tatouages, ce personnage représente-t-il un ancêtre de la communauté, ou bien un chaman ? On ne saurait trancher. Il se dégage cependant de cette statuette hiératique aux accents « brancusiens » une « absolue vérité », une esthétique rude et austère comme le mode de vie de ces hommes, aux confins de terres sublimes et désolées.

Effigie de chaman. Début de la Culture de Thulé, Alaska, 1 000 à 1 400 apr. J.-C. Défense de morse fossilisée, 9,2 x 3 cm.

D’une sensualité extrême – que renforce cette chaude patine – cette statuette représenterait, selon les uns, un « strong man » (homme fort), selon d’autres une femme aux formes plantureuses ! Au-delà de toute interprétation, c’est une preuve indéniable du degré de perfection atteint par les sculpteurs eskimos. Il est en outre très rare de trouver ce type d’effigies aussi bien conservées. D’usage chamanique, la plupart de ces ivoires étaient en effet brisés rituellement lors de cérémonies religieuses.

ALAIN BOVIS ET VÉRONIQUE DU LAC, L’APPEL DE L’ASIE

Connue pour ses remarquables expositions d’art africain, la galerie Alain Bovis affirme cependant de plus en plus son inclination pour l’Asie tribale. Outre les masques himalayens et leur beauté « convulsive », son dévolu se porte désormais sur les archipels de l’Indonésie et des Philippines, ces entre-deux fascinants à mi-chemin de l’Asie et de l’Océanie. Un seul mot d’ordre guide cependant leur sélection pour cette nouvelle édition du Parcours : le « supplément d’âme » distillé par chacun de leurs objets.

Corne à médecine, Toba-Batak, naga morsarang, Sumatra, Première moitié du XIXsiècle, corne de buffle, bois, crin, L. 47 cm.

Quoi de plus élégant que cette corne à médecine chevauchée par cette multitude de petits personnages venus apporter leurs offrandes et cette représentation onirique et fabuleuse du Singa, sorte de « Gorgone » apotropaïque des Bataks de Sumatra ? Comme échappée d’un cabinet de curiosités, cette pièce datée du début du XIXe siècle est sans doute l’un des plus anciens exemplaires connus sur le marché.

Boîte rituelle ifugao, Philippines (cf. légende sur we transfer)

Dans le sillage de la grande exposition du musée du quai Branly consacrée à l’art des Philippines – une vraie révélation pour le public ! – la galerie Alain Bovis a sélectionné cette très belle boîte rituelle dans laquelle s’exprime avec force la pureté des lignes de la statuaire ifugao. On retrouve l’anatomie robuste propre à ces habitants des rizières du Nord de Luçon (si bien magnifiée dans leurs effigies baptisées « bulul ») et ce sens d’une stylisation aux accents quasi cubistes. Du grand art !

INFORMATIONS PRATIQUES

Parcours des Mondes, le Salon international des Arts Premiers dirigé par Pierre Moos, du 10 au 15 septembre 2013, quartier de Saint-Germain-des-Prés, Paris. Y seront présentes 60 galeries d’arts premiers, dont 29 Françaises, 12 Belges et 8 Américaines. Une vingtaine d’expositions thématiques sera proposée au visiteur. La Présidente d’honneur du Parcours 2013 est la célèbre Hélène Leloup, qui a été commissaire de l’exposition Dogon au musée du quai Branly en 2011.

Alain Pasquier

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