REMBRANDT-VÉLASQUEZ AFFINITÉS PICTURALES AU SOMMET

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Née d’un partenariat entre le Rijksmuseum et le Musée du Prado, une passionnante exposition tisse un dialogue inédit entre l’école espagnole et l’école hollandaise, chacune dominée par un génie de la peinture : Vélasquez et Rembrandt. Mis en scène avec élégance par Jean-Michel Wilmotte, le parcours est de toute beauté. L'idée de départ est d’une simplicité cristalline : confronter par paire, ou plus rarement par trio, les plus grands peintres du XVIIe siècle appartenant à ces deux écoles picturales qu’on imaginerait, de prime abord, radicalement opposées : la patrie de Vélasquez, et celle de Rembrandt. Baignant dans une pénombre invitant au silence et au recueillement, quelque soixante chefsd’œuvre issus des collections des deux grands musées européens déclinent, chacun à leur façon, ces thèmes universels que sont le rapport au sacré, la traduction de l’opulence et de la richesse, le statut social, la gamme des sentiments (de la mélancolie à la tendresse, en passant par l’amour). Et le résultat est aussi réussi que surprenant ! UNE « EXPÉRIENCE DU REGARD » Il faut dire que les deux commissaires (Gregor J.M. Weber et Cèlia Querol Torelló) ont eu l’heureuse idée de confier la scénographie à ce magicien de la clarté et de la transparence qu’est l’architecte français JeanMichel Wilmotte. Celui qui a déjà repensé en 2013 les vitrines et la muséographie de la prestigieuse institution hollandaise a fait preuve, pour cet exercice éphémère, du même souci d’élégance et de sobriété. Suspendues à quatre mètres cinquante du sol (une hauteur qui oblige le...

Née d’un partenariat entre le Rijksmuseum et le Musée du Prado, une passionnante exposition tisse un dialogue inédit entre l’école espagnole et l’école hollandaise, chacune dominée par un génie de la peinture : Vélasquez et Rembrandt. Mis en scène avec élégance par Jean-Michel Wilmotte, le parcours est de toute beauté.

L’idée de départ est d’une simplicité cristalline : confronter par paire, ou plus rarement par trio, les plus grands peintres du XVIIe siècle appartenant à ces deux écoles picturales qu’on imaginerait, de prime abord, radicalement opposées : la patrie de Vélasquez, et celle de Rembrandt. Baignant dans une pénombre invitant au silence et au recueillement, quelque soixante chefsd’œuvre issus des collections des deux grands musées européens déclinent, chacun à leur façon, ces thèmes universels que sont le rapport au sacré, la traduction de l’opulence et de la richesse, le statut social, la gamme des sentiments (de la mélancolie à la tendresse, en passant par l’amour). Et le résultat est aussi réussi que surprenant !

Rembrandt  Isaac et Rebecca, dite  ’La fiancée juive’, c. 1665 Rijksmuseum, Amsterdam Prêt de la ville d’Amsterdam (A. van der Hoop Bequest)

UNE « EXPÉRIENCE DU REGARD »

Il faut dire que les deux commissaires (Gregor J.M. Weber et Cèlia Querol Torelló) ont eu l’heureuse idée de confier la scénographie à ce magicien de la clarté et de la transparence qu’est l’architecte français JeanMichel Wilmotte. Celui qui a déjà repensé en 2013 les vitrines et la muséographie de la prestigieuse institution hollandaise a fait preuve, pour cet exercice éphémère, du même souci d’élégance et de sobriété. Suspendues à quatre mètres cinquante du sol (une hauteur qui oblige le visiteur à élever le regard), les toiles respirent littéralement sur les cimaises, libérées de leurs cartels déplacés sur le côté. La couleur des murs – un joli « bleu cosmos » mis au point par Jean-Michel Wilmotte – parachève ce sentiment de quiétude et de spiritualité. « C’est à une véritable expérience du regard que nous convions le visiteur », nous a confié l’architecte, visiblement satisfait du résultat.

Mais au-delà de la jubilation esthétique, le parcours dresse également une passionnante radioscopie des sujets et des thèmes en vogue au Siècle d’or : le portrait, le paysage, la nature morte, les scènes sacrées, la transcription du réel… Confronter la sensibilité et la manière des peintres hollandais avec ceux de leurs homologues espagnols provoque, en outre, de véritables chocs visuels et révèle bien plus d’affinités stylistiques qu’on ne saurait l’imaginer…

DE TROUBLANTES AFFINITÉS

Il est d’ailleurs assez troublant de penser que, s’ils ont vécu à la même époque, Rembrandt (16061669) et Vélasquez (1599-1660) ne se sont jamais rencontrés, voire ne connaissaient même pas leur existence ! Et pourtant, leurs œuvres présentent bien des similitudes. Ainsi, loin de s’égarer en détails futiles, leurs portraits jouent sur la même opposition d’ombres et de clartés, reposent sur la même palette (des variations subtiles d’ocres, de noirs et de bruns) pour mieux se concentrer sur les tréfonds de l’âme humaine. D’une présence saisissante, leurs deux autoportraits cueillent littéralement le visiteur, qui peine alors à détacher son regard de ces deux morceaux de bravoure. Peint en 1640, celui de Vélasquez affiche la fierté et l’arrogance de celui qui sait avoir les faveurs de son roi. Peint en 1654, celui de Rembrandt est davantage noyé dans une pénombre et trahit un soupçon d’inquiétude. Le maître hollandais pressent-il déjà les difficultés financières et personnelles qui émailleront son existence ? Il faut dire que le contexte politique et économique n’est pas le même, selon que l’on est un peintre officiel à la cour d’Espagne, que l’on voyage jusqu’à Rome et que l’on gère les immenses collections de son souverain et que, de l’autre, on est un artiste de la République protestante et égalitaire de Hollande, que l’on ne quitte jamais les frontières de son pays et que l’on demeure inféodé aux caprices de ses commanditaires : les puissantes guildes de drapiers et de marchands désireux d’étaler aux yeux de tous leur toute récente prospérité !

Ce sont également deux expressions du religieux et du sacré que l’on devine radicalement différentes à travers les deux école picturales. D’un côté, l’Espagnol catholique Francisco de Zurbáran brosse un émouvant Agnus Dei dans lequel le jeune animal sacrifié symbolise la passion du Christ. De l’autre, le peintre hollandais Pieter Jansz Saenredam peint avec une rigueur toute mathématique l’intérieur dépouillé d’une église calviniste. Il y a presque du Mondrian dans cette architecture quasi abstraite où tout n’est qu’angle droit !

A contrario, un même sentiment de mélancolie nimbe cet Ecce Homo de Bartolomé Esteban Murillo (1660-1670) et ce magnifique portrait de Titus en moine de Rembrandt (1660). Les prunelles baissées, les deux figures transcendent la scène religieuse et émeuvent le spectateur par leur profonde humanité… Dans un tout autre registre, comment ne pas être troublé par cette autre confrontation picturale qui juxtapose la figure d’un nain de Vélasquez (1644) à celle d’un bouffon peint par Frans Hals ? Si le premier nous fixe de son regard sombre et semble traduire la tristesse de sa condition, le second a la légèreté d’un instantané photographique et exalte les plaisirs de la vie !

Vue-de-la-scénographie
Vue-de-la-scénographie

Mais c’est peut-être dans l’extraordinaire confrontation des immenses portraits de commande que s’exprime le mieux ce qui sépare les rigoristes Espagnols de ces « nouveaux riches » épicuriens que sont devenus les marchands de la République d’Hollande. Peints par Vélasquez, Doña Antonia de Ipañarrieta y Galdós et son fils don Luis ont la mine austère et le vêtement sobre qui reflètent leur piété, leur rang et leur condition. Brossé en 1634 par Rembrandt, Maerten Soolmans affiche au contraire la mine réjouie d’un dandy exhibant avec fierté sa fortune et ses colifichets. Des pieds jusqu’à la tête, tout n’est ici que soie, dentelles et froufrous, jusqu’à cette boucle extravagante ornant ses chaussures qui n’aurait guère déplu à un Christian Lacroix ou un John Galliano !

Et pourtant, c’est un même sentiment du réel, modeste et mystique tout à la fois, qui semble parfois réconcilier les deux écoles picturales. D’une vertigineuse virtuosité avec ses dégradés subtils de blancs nacrés, la Nature morte avec des asperges du Hollandais Adriaen Coorte (1697) rejoint ainsi l’extraordinaire modernité de cette Tasse d’eau à la rose de Francisco de Zurbáran(1630). Si la première possède les séductions sensuelles d’un Manet, la seconde anticipe la grâce et le temps suspendu des compositions silencieuses et métaphysiques de Giorgio Morandi…

Claire Doukhan

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