Le cinéma est mort, vive le cinéma ?

CINEMA 04
En voyage à New York, j’ai eu l’occasion de visiter VR WORLD, nouveau centre de pointe des réalités virtuelles. Une expérience qui me conduit, dans cette chronique, à m’interroger sur l’avenir du cinéma, et à me demander si « l’objet film » tel que nous le connaissons, n’aurait pas déjà signé son arrêt de mort... Arthur Dreyfus Au premier abord, tout semble si simple : un fauteuil confortable, un casque sur les oreilles, un autre devant les yeux. Ensuite, cela démarre comme dans les films futuristes – à la seule différence que cette fois-ci, nous sommes dans le film. L’image apparaît. Une banquise à perte de vue. Là encore, rien que de très normal. Sauf qu’en pivotant spontanément la tête pour contempler les pingouins groupés sur le côté gauche, l’image pivote avec vous. En un tournemain, le protocole est intégré : où que nos yeux s’aventurent, l’image nous accompagne, et ne se refuse plus à nous. Le dispositif est inédit, mais la rapidité avec laquelle le corps et l’esprit s’y accommodent a quelque chose de fascinant ; et d’inquiétant. S’il est aisé à ce point de se fondre dans la technologie, quelles résistances posséderons-nous lorsqu’il sera nécessaire de lui résister, voire de la contrarier ? Le cinéma, on le sait, est né en tant que divertissement. Des bobines Lumière aux premiers films érotiques projetés dans les fêtes foraines, l’objectif originel fut de s’extraire quelques instants de la grisaille quotidienne pour atteindre au rare, à l’exceptionnel, au jamais-vu. Sans délai, les premiers auteurs du septième art se...

En voyage à New York, j’ai eu l’occasion de visiter VR WORLD, nouveau centre de pointe des réalités virtuelles. Une expérience qui me conduit, dans cette chronique, à m’interroger sur l’avenir du cinéma, et à me demander si « l’objet film » tel que nous le connaissons, n’aurait pas déjà signé son arrêt de mort…

Arthur Dreyfus

Au premier abord, tout semble si simple : un fauteuil confortable, un casque sur les oreilles, un autre devant les yeux. Ensuite, cela démarre comme dans les films futuristes – à la seule différence que cette fois-ci, nous sommes dans le film. L’image apparaît. Une banquise à perte de vue. Là encore, rien que de très normal. Sauf qu’en pivotant spontanément la tête pour contempler les pingouins groupés sur le côté gauche, l’image pivote avec vous. En un tournemain, le protocole est intégré : où que nos yeux s’aventurent, l’image nous accompagne, et ne se refuse plus à nous. Le dispositif est inédit, mais la rapidité avec laquelle le corps et l’esprit s’y accommodent a quelque chose de fascinant ; et d’inquiétant. S’il est aisé à ce point de se fondre dans la technologie, quelles résistances posséderons-nous lorsqu’il sera nécessaire de lui résister, voire de la contrarier ?

Le cinéma, on le sait, est né en tant que divertissement. Des bobines Lumière aux premiers films érotiques projetés dans les fêtes foraines, l’objectif originel fut de s’extraire quelques instants de la grisaille quotidienne pour atteindre au rare, à l’exceptionnel, au jamais-vu. Sans délai, les premiers auteurs du septième art se précipitèrent au bout du monde pour en rapporter des merveilles d’exotisme. Ensuite, dès la naissance du cinéma de fiction, par le truchement d’acteurs et de décors plus vrais que nature, il s’agit similairement d’oublier le réel afin de se projeter dans une dramaturgie imaginaire. Le théâtre, borné pendant quelques millénaires au lieu et au temps de la scène, s’enrichissait d’une dimension supplémentaire, qui ressemblait à la vie. Exit les changements de costumes ou de lumières : à la faveur d’une seule coupe, on passait subitement de Bangkok à Genève.

Bien au-delà de la « 3D », on se demande comment le vieux cinéma pourrait donc résister à la réalité virtuelle, qui pulvérise ses dernières limites – puisqu’en trois secondes, sans que la mise en scène ait besoin d’être signée Hitchcock ou Fellini, on oublie la notion de virtualité. Alimenté dans les mêmes proportions que dans la vie en stimuli informationnels, le cerveau se dupe sans effort. Ainsi équipé du casque magique, une planche de bois clouée au sol se transformera-t-elle en poutre perchée au sommet d’un gratte-ciel. Et si la virtualité peut nous persuader que cette innocente latte est un effroyable danger – au point de nous dissuader de la chevaucher –, on n’ose imaginer jusqu’où les réalisateurs de demain entendront emmener, et impliquer leur public…

Mais la limite de la réalité virtuelle se situe peut-être, paradoxalement, dans son absence de limites. En empruntant à la vie ses facultés infinies, elle se prive d’un outil constitutif du cinéma : le hors-champ. De fait, le spectateur omniscient n’a plus peur du couteau, dans la fameuse scène de Psychose : il a déjà tiré le rideau de douche et vérifié qu’il n’y avait personne derrière. Quant à la place du créateur, la réalité virtuelle pose en outre la question de la genèse du geste artistique. Dans 2001, l’Odyssée de l’espace, il n’est pas une comète, pas une planète, par une fraction de station orbitale dont la vision ne soit pas conçue, orchestrée, géométrisée par un metteur en scène avant-gardiste. Or une fois Monsieur-tout-le-monde chaussé des prodigieuses lunettes, le concept d’écriture cinématographique se dissout au profit du seul avènement d’une autre réalité – comme dans un jeu vidéo… Fasciné par les technologies de pointe, Kubrick l’aurait-il pressenti ?

En fin de compte, c’est un spectacle toujours partiel que promet la réalité virtuelle, puisqu’en tournant la tête d’un côté, on manque ce qui existe de l’autre. Reste cependant l’extrême intensité des images absorbées, à l’image de ces vidéos musicales surréalistes, puissantes comme un songe ou un voyage sous acide – sans qu’il soit besoin de s’endormir ou d’ingérer des drogues. Sans qu’il soit non plus possible d’y échapper. Alors le philosophe se demande : lorsque l’écran n’aura plus de bords, jusqu’où ira le cinéma ?

Arthur Dreyfus

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