UN CHEF-D’ŒUVRE À DÉCOUVRIR

DOMINIQUE FERNANDEZ
DOMINIQUE FERNANDEZ
Quoi ? Avec un titre pareil ? Vous vous moquez ! Avoir appelé un livre Le Génie du christianisme repousse le lecteur du XXIe siècle. Il l’ouvre, il y repère cent stupidités. Voltaire serait un bien meilleur écrivain s’il avait été chrétien. Un auteur qui refuse de croire en Dieu renferme sa pensée dans un cercle de boue, etc. Chateaubriand, avoir proféré ces âneries ? Eh oui ! Pourquoi continuer cette lecture ? On s’aperçoit vite qu’il a obéi à une commande. L’ouvrage fut publié en 1802, dans la France à peine sortie du chaos révolutionnaire, pour riposter à l’athéisme répandu par les philosophes des Lumières. Jean-Jacques Rousseau en prend aussi pour son grade. Passé le premier mouvement de répulsion, on s’avise que cette apologie forcenée du christianisme n’est qu’une pose, et que Chateaubriand admire autant, et peut-être plus, les païens de l’Antiquité que les catholiques modernes, Bossuet, Pascal et Racine exceptés. Il nous vante les mérites de Milton et de Pope, mais on sent que son cœur penche du côté d’Homère et d’Eschyle. Il a beau s’extasier devant les monastères en ruine, où s’engouffre le vent des tempêtes, il doit bien reconnaître que « les vestiges des monuments chrétiens n’ont pas la même élégance que les ruines des monuments de la Grèce et de Rome ». Et cent autres repentirs de la sorte. À propos de cœur, il a cette formule si juste, qui devrait servir de devise, d’impératif et d’idéal à tout romancier : « On ne peint...

Quoi ? Avec un titre pareil ? Vous vous moquez ! Avoir appelé un livre Le Génie du christianisme repousse le lecteur du XXIe siècle. Il l’ouvre, il y repère cent stupidités. Voltaire serait un bien meilleur écrivain s’il avait été chrétien. Un auteur qui refuse de croire en Dieu renferme sa pensée dans un cercle de boue, etc. Chateaubriand, avoir proféré ces âneries ? Eh oui ! Pourquoi continuer cette lecture ? On s’aperçoit vite qu’il a obéi à une commande. L’ouvrage fut publié en 1802, dans la France à peine sortie du chaos révolutionnaire, pour riposter à l’athéisme répandu par les philosophes des Lumières. Jean-Jacques Rousseau en prend aussi pour son grade. Passé le premier mouvement de répulsion, on s’avise que cette apologie forcenée du christianisme n’est qu’une pose, et que Chateaubriand admire autant, et peut-être plus, les païens de l’Antiquité que les catholiques modernes, Bossuet, Pascal et Racine exceptés. Il nous vante les mérites de Milton et de Pope, mais on sent que son cœur penche du côté d’Homère et d’Eschyle. Il a beau s’extasier devant les monastères en ruine, où s’engouffre le vent des tempêtes, il doit bien reconnaître que « les vestiges des monuments chrétiens n’ont pas la même élégance que les ruines des monuments de la Grèce et de Rome ». Et cent autres repentirs de la sorte.

À propos de cœur, il a cette formule si juste, qui devrait servir de devise, d’impératif et d’idéal à tout romancier : « On ne peint bien que son propre cœur, en l’attribuant à un autre. » Exit l’autofiction ! L’intelligence du vicomte se réveille ainsi tout à coup. Il démontre, par l’étymologie, que les Grecs n’étaient sensibles qu’au vol de l’aigle, alors que, pour les Hébreux, cet oiseau n’est sublime que parce que, immobile sur le rocher de la montagne, il fixe l’astre du jour à son réveil.

Le style de Chateaubriand, son sentiment poétique, insufflent à son livre une grande beauté.
« Un petit lac ne ravage pas ses bords, et personne n’en est étonné ; son impuissance fait son repos ; mais on aime le calme sur la mer, parce qu’elle a le pouvoir des orages, et l’on admire le silence de l’abîme, parce qu’il vient de la profondeur même des eaux ».

On sait que René et Atala, ces deux récits avant-coureurs du romantisme, avaient été inclus dans la première édition. L’auteur les retira des éditions suivantes, comme étant des morceaux de trop littéraire éloquence. Mais il reste dans Le Génie du christianisme mille preuves de son génie lyrique et de sa puissance descriptive. Le souvenir du péché originel lui fournit le prétexte de faire quatre pages éblouissantes sur le serpent. « Tout est mystérieux, caché, étonnant dans cet incompréhensible reptile. Ses mouvements diffèrent de ceux de tous les autres animaux ; on ne saurait dire où gît le principe de son déplacement ; car il n’a ni nageoires, ni pieds, ni ailes, et cependant il fuit comme une ombre, il s’évanouit magiquement, il reparaît, et disparaît encore, semblable à une petite fumée d’azur, ou aux éclairs d’un glaive dans les ténèbres. Tantôt il se forme en cercle, et darde une langue de feu ; tantôt, debout sur l’extrémité de sa queue, il marche dans une attitude perpendiculaire, comme par enchantement. Il se jette en orbe, monte et s’abaisse en spirale, roule ses anneaux comme une onde… » On s’en veut de ne pas recopier en entier le passage. « …Il possède l’art de séduire l’innocence ; ses regards enchantent les oiseaux dans les airs ; et, sous la fougère de la crèche, la brebis lui abandonne son lait. Mais il se laisse luimême charmer par de doux sons ; et, pour le dompter, le berger n’a besoin que de sa flûte »

La Charmeuse de serpents du douanier Rousseau, vue à contre-jour au clair de lune, dont on ne distingue que la silhouette noire et les deux yeux incandescents, au milieu d’un de ces paysages tropicaux de palmes et de lianes chers à l’auteur du Voyage en Amérique, ne serait-elle pas la parfaite illustration de ces pages ?

DOMINIQUE FERNANDEZ

de l’Académie française

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