LA JOCONDE ET LE VIRUS

Arthur Dreyfus
Arthur Dreyfus
Entre autres grenouilles, sauterelles, ou bêtes sauvages, les dix « plaies d’Égypte » comptaient déjà les furoncles. Issu de l’Ancien Testament, le Livre de l’Exode précise : Ils prirent de la cendre de fournaise, et se présentèrent devant Pharaon ; Moïse la jeta vers le ciel, et elle produisit sur les animaux et les hommes des ulcères formés par une éruption de pustules. Des pustules incarnant bien sûr la phobie d’une maladie transmissible et mortelle. Cette pandémie tant redoutée par notre planète mondialisée… C’est un fait : depuis l’épisode de la « guérison des lépreux » raconté par Saint Luc dans l’Évangile (souvenons-nous de Ben Hur), en passant par les épidémies de peste ou de choléra, jusqu’au VIH contemporain, l’espèce humaine a toujours vécu sous la menace (ou le fantasme) d’une punition souveraine. Le pasteur américain Rick Wiles ravivait en février cet axiome, déclarant que le coronavirus avait été envoyé par Dieu pour purger le monde du péché transsexuel… Par-delà le puritanisme, telle elle est d’ailleurs la seule « vertu » de la maladie : rappeler aux hommes, indépendamment de leur statut social, de leur richesse, qu’ils sont mortels. Que malgré l’immensité de leurs édifices, et la puissance de leurs armes, un ennemi microscopique peut avoir raison d’eux. Michel Foucault aimait à disséquer « ce qui nous échappe » (la folie, la sexualité, la maladie) afin d’en extraire des vérités sociales. Le philosophe rappela notamment qu’avant la connaissance de l’asepsie, un instinct de survie poussa les hommes à isoler les...

Entre autres grenouilles, sauterelles, ou bêtes sauvages, les dix « plaies d’Égypte » comptaient déjà les furoncles. Issu de l’Ancien Testament, le Livre de l’Exode précise : Ils prirent de la cendre de fournaise, et se présentèrent devant Pharaon ; Moïse la jeta vers le ciel, et elle produisit sur les animaux et les hommes des ulcères formés par une éruption de pustules. Des pustules incarnant bien sûr la phobie d’une maladie transmissible et mortelle. Cette pandémie tant redoutée par notre planète mondialisée…

C’est un fait : depuis l’épisode de la « guérison des lépreux » raconté par Saint Luc dans l’Évangile (souvenons-nous de Ben Hur), en passant par les épidémies de peste ou de choléra, jusqu’au VIH contemporain, l’espèce humaine a toujours vécu sous la menace
(ou le fantasme) d’une punition souveraine. Le pasteur américain Rick Wiles ravivait en février cet axiome, déclarant que le coronavirus avait été envoyé par Dieu pour purger le monde du péché transsexuel… Par-delà le puritanisme, telle elle est d’ailleurs la seule « vertu » de la maladie : rappeler aux hommes, indépendamment de leur statut social, de leur richesse, qu’ils sont mortels. Que malgré l’immensité de leurs édifices, et la puissance de leurs armes, un ennemi microscopique peut avoir raison d’eux.

Michel Foucault aimait à disséquer « ce qui nous échappe » (la folie, la sexualité, la maladie) afin d’en extraire des vérités sociales. Le philosophe rappela notamment qu’avant la connaissance de l’asepsie, un instinct de survie poussa les hommes à isoler les lépreux lors du Moyen Âge. Châtiment divin, la maladie inspirait une terreur mystique plus que sanitaire. Déclaré mort civilement, le lépreux était exclu de la communauté à l’occasion d’un rituel nommé separatio leprosorum. Et pour s’assurer que les malades ne résistent pas, le clergé soulignait qu’en contrepartie de cette exclusion, ceux-ci accéderaient à l’inclusion divine ; autorisant les bons Chrétiens à renoncer sans scrupules à leur devoir de charité. Foucault le résume ainsi : « Le pécheur qui abandonne le lépreux à sa porte lui ouvre le salut. » Et d’observer que le pouvoir religieux, s’accaparant le récit de la maladie, tira grand bénéfice de cette preuve suprême de la Toute-Puissance divine…

Au-delà de la lèpre, les épidémies de peste permirent au penseur de pousser plus loin l’analyse biopolitique. À ses yeux, elles servirent en effet, au nom du salut public, à placer le peuple sous étroit contrôle. Dans Surveiller et punir, Foucault note qu’à l’époque médiévale, des mesures drastiques s’imposaient à
chaque épidémie, comparables en tous points à celles prises par les pays modernes face au coronavirus : quarantaine, strict quadrillage, découpage des villes en districts, eux-mêmes divisés en quartiers, épiés par des inspecteurs, obéissant aux ordres d’un gouverneur appointé pour l’occasion. Quant aux échevins, ils virent leur pouvoir s’accroître à chaque peste.

Mais l’analogie avec l’actualité devient plus tangible encore lorsqu’on découvre que chaque habitant devait se faire recenser, s’enfermer chez soi, remettre ses clés à la police, et ne plus sortir sous peine de vie (un dispositif d’approvisionnement étant prévu, au moyen de poulies et paniers, pour l’alimentation). Soit à quelques détails près : le quotidien de millions de Chinois pendant l’épidémie actuelle – sans oublier l’effondrement de toute activité économique. Car un virus ne s’attaque pas qu’aux hommes : il grignote tout ce qu’ils produisent, jusqu’aux œuvres d’art…

En l’occurrence, les musées constituent les premiers bâtiments publics fermés en cas d’épidémie. Lieux d’échange par excellence, ils brassent des populations multiples, réunies par le seul désir de voir du beau. Certes insensible aux pneumonies, il y a donc fort à parier que Mona Lisa tremble derrière son vernis : car comme toute star, elle vit grâce aux regards. Et il est sidérant d’imaginer qu’un germe invisible, passé par le pangolin, menace cinq siècles plus tard les créations du génie florentin. Alors en attendant que le monde se soigne, le plus sage est encore de relire chez soi – en conservant ses clés –, sa collection complète d’Artpassions. (Nous avons contacté la Joconde. Elle promet d’attendre.).

Arthur Dreyfus

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