Le goût « début de siècle » à la galerie la Nouvelle Athènes

Tancrede Hertzog
Tancrede Hertzog
Tancrède Hertzog Il n’est guère aisé, dans la conjoncture économique actuelle, d’ouvrir de nouvelles galeries d’art, a fortiori quand celles-ci ne se spécialisent pas dans la création contemporaine, qui attire les millionnaires de l’élite internationalisée, mais dans l’art du XIXe siècle, collectionné par un public plus discret d’amateurs et recherché par les savants conservateurs des musées. C’est pourtant dans un écrin idéalement placé au cœur du quartier qui, le mieux, a su conserver l’esprit du Paris bohême et artistique du XIXe siècle, la Nouvelle Athènes, que deux jeunes passionnés, Damien Dumarquez et Raphaël Aracil de Dauksza, ont établi leur propre galerie (sobrement intitulée du nom du quartier) il y a moins de six mois, renouvelant par des accrochages remarqués le panorama assez figé du marché de l’art dans ce secteur. Dans les deux salons qui constituent leur espace d’exposition, on mise sur la qualité plus que sur la quantité, la belle trouvaille plus que le grand nom, même si des esquisses de Courbet et de Delacroix sont déjà passées entre les mains des deux galeristes. Chez eux, on dégote ce qui fait le bonheur du véritable amateur, novice ou confirmé, de celui, en un mot, qui suit le plaisir de son œil et de ses lectures et non la mode du marché. Toutes les œuvres sont d’une grande qualité mais aussi d’un solide intérêt historique : ce sont des études préparatoires pour telle gravure ou tableau de musée, des dessins inédits, de plus grands formats longtemps oubliés...
Tancrède Hertzog
Tancrède Hertzog

Il n’est guère aisé, dans la conjoncture économique actuelle, d’ouvrir de nouvelles galeries d’art, a fortiori quand celles-ci ne se spécialisent pas dans la création contemporaine, qui attire les millionnaires de l’élite internationalisée, mais dans l’art du XIXe siècle, collectionné par un public plus discret d’amateurs et recherché par les savants conservateurs des musées. C’est pourtant dans un écrin idéalement placé au cœur du quartier qui, le mieux, a su conserver l’esprit du Paris bohême et artistique du XIXe siècle, la Nouvelle Athènes, que deux jeunes passionnés, Damien Dumarquez et Raphaël Aracil de Dauksza, ont établi leur propre galerie (sobrement intitulée du nom du quartier) il y a moins de six mois, renouvelant par des accrochages remarqués le panorama assez figé du marché de l’art dans ce secteur. Dans les deux salons qui constituent leur espace d’exposition, on mise sur la qualité plus que sur la quantité, la belle trouvaille plus que le grand nom, même si des esquisses de Courbet et de Delacroix sont déjà passées entre les mains des deux galeristes. Chez eux, on dégote ce qui fait le bonheur du véritable amateur, novice ou confirmé, de celui, en un mot, qui suit le plaisir de son œil et de ses lectures et non la mode du marché. Toutes les œuvres sont d’une grande qualité mais aussi d’un solide intérêt historique : ce sont des études préparatoires pour telle gravure ou tableau de musée, des dessins inédits, de plus grands formats longtemps oubliés ou rarement montrés.

C’est cette confidentialité, sans que l’on ait pour autant l’impression d’un entre soi refermé, d’un monde fonctionnant en circuit fermé et réservé à une élite vieillissante, qui fait tout le charme de cette galerie où le contenant s’accorde avec le contenu : c’est un salon, un cabinet d’amateur, dans l’atmosphère feutrée et l’esprit raffiné du musée de la Vie Romantique situé quelques pas plus loin dans la même rue.

Pour leur deuxième exposition, les galeristes ont réuni une sélection d’œuvres qui concerne le tout début de leur domaine de spécialisation puisqu’elles datent du XVIIIe siècle finissant et du XIXe commençant. Le néoclassicisme est bien là avec plusieurs grands dessins qui se prennent pour des bas-reliefs antiques : on remarque surtout un beau lavis de Vivant-Denon, compagnon de Bonaparte en Egypte, premier et tout-puissant directeur du Louvre et dessinateur amateur à ses heures. Un amateurisme tout ce qu’il y a de plus relatif quand on découvre le dessin proposé par la galerie, digne de n’importe quel émule de David : il représente, comme il se doit, un sujet pris à l’histoire antique, La Calomnie d’Apelle, dans une composition en frise se déployant sur fond dépouillé duquel se détache les personnages, dans des poses affectées et immobiles. On reconnaît l’œil et le trait d’un fin observateur des monuments anciens, d’un connaisseur qui a souvent voyagé (avant la Révolution il fut secrétaire d’ambassade aux quatre coins de l’Europe) et a croqué, dans ses carnets, les témoignages les plus brillants de l’art occidental : ici, il se réfère précisément à un dessin de Raphaël qu’il avait pu copier pendant une heure à Modène en 1789. Le tout est puissamment contrasté pour donner plus de relief et une présence dramatique à un morceau hiératique mais non monotone.

La Calomnie d'Apelle de Vivant-Denon
La Calomnie d’Apelle de Vivant-Denon

Et comme, dans le royaume de la peinture, les années 1790-1810 se déroulent à l’ombre lumineuse de David, ce Bonaparte des arts, on ne s’étonnera pas de trouver non pas une mais bien deux versions dessinées des Sabines par son école. Il faut aussi remarquer une grande étude de nu par Michel-Martin Drolling, artiste quelque peu oublié mais qui, en son temps, fut assez reconnu pour que l’on lui confie la réalisation de certains décors peints dans les salles Charles X du musée du Louvre : cette académie d’homme en pied finement détaillée, datée de 1807, nous replonge directement dans l’atmosphère des ateliers d’artiste de l’époque, qui fleurissent à la suite de David, et où l’on s’affaire à reproduire à la perfection le corps masculin et sa musculature saillante. La connaissance du nu était de rigueur pour qui voulait prétendre faire carrière : inspirée de l’observation de l’antique, émulation des sculptures de Polyclète et confrères, elle marquait aussi la prévalence du dessin, que maîtrise parfaitement ici le jeune Drolling, préfigurant son succès prochain au Prix de Rome, qu’il remporte en 1810, et sa carrière de peintre officiel pendant la Restauration.

L'académie d'homme nu de Drolling
L’académie d’homme nu de Drolling

Les femmes peignent aussi en France à la fin du XVIIIe siècle : on connaît bien Vigée-Lebrun et ses portraits qui figent les derniers fastes de l’Ancien Régime, Adélaïde Labille-Guiard ou Marie-Guillemine Benoist, beaucoup moins Constance-Marie Charpentier : élève (encore !) de David, qui la soutint dans sa tentative d’entrer à l’Académie (elle n’y parviendra jamais), elle expose régulièrement au Salon à partir de 1795. Belle-sœur de Danton, elle est inquiétée à plusieurs reprises lors de la Terreur mais continue à exercer son art conte vents et marées et particulièrement les hommes de son entourage qui voient d’un mauvais œil une femme s’attaquer à la peinture d’histoire. Elle rencontre finalement le succès au Salon de 1801 grâce à une toile intitulée La Mélancolie qui aurait pu servir de frontispice à une œuvre de Chateaubriand. Une femme au nez attique, vêtue d’une simple et légère robe blanche, qui rappelle autant les goûts vestimentaires de Joséphine que l’accoutrement d’une vestale antique, est assise seule, l’air méditatif, renfermée dans des pensées que l’on devine sombres, sur le fond d’un paysage ombrageux qui alimente et décuple sa tristesse, refuge autant que berceau de la mélancolie. Un poète de l’époque, qui ne se laissa pas envahir par la coloration triste du tableau, considéra au contraire que cette jeune femme abattue au crépuscule faisait « trouver du charme à la mélancolie ». On ne saurait lui donner tort. Le tableau proposé par la galerie est une reprise autographe et plus tardive de la composition de 1801, avec un certain nombre de variations. On appréciera la facture lisse, soignée et presque porcelaine de la toile ainsi que l’association d’un paysage tout ce qu’il y a de plus romantique à une figure on ne peut plus grecque. C’est une œuvre de l’équilibre, non seulement formel, mais parce que romantique par l’atmosphère et classique par son traitement, elle se trouve à mi-chemin exactement de deux univers que l’on croit trop souvent irrémédiablement opposés.

La Mélancolie de Charpentier
La Mélancolie de Charpentier

Une mention particulière doit être accordée aux paysages dessinés par les artistes français qui parcourent alors l’Italie sans relâche, carnet de dessins sous le bras, apprenant, copiant, s’émerveillant des ruines et des palais disséminés un peu partout, fréquentant aussi bien la campagne rustique que les ors de la villa Médicis fraîchement acquise par le gouvernement française pour y installer l’Académie de France à Rome (1803). Un de ces dessins, un grand lavis, est attribué au maître du genre avant Granet, Pierre-Henri de Valenciennes, qui fut l’un des premiers artistes à travailler directement sur le motif et dont le Louvre possède une série d’admirables études à l’huile sur papier exécutées d’après nature et qui tapissent la totalité des murs d’une de ses salles.

Le paysage d'Italie attribué à Pierre-Henri de Valenciennes
Le paysage d’Italie attribué à Pierre-Henri de Valenciennes

Enfin, n’oublions pas qu’il existe aussi une activité artistique bouillonnante en dehors de France à cette époque et un dessin d’un Anglais peu connu de nos jours, John Claude Nattes, constitue à n’en pas douter l’un des morceaux les plus intéressants de cette sélection d’œuvres du tournant du siècle. On ne peint pas qu’en France mais c’est tout de même à Paris que l’on vient apprendre le métier et Nattes ne déroge pas à la règle. Pendant son séjour parisien, il exécute des dessins des alentours de la capitale, comme cette Vue de Saint-Germain-en-Laye proposée par la galerie et que l’on prend d’abord pour une vue des abords de Rome. Le premier plan est incertain, les architectures se détachent, fumeuses, entre un ciel jaune qui pèse lourd (il occupe la majeur partie de la feuille) et une végétation estompée. Les variations d’intensité de l’encre donnent une présence un peu irréelle à ce large panorama probablement réalisé vers 1802 et par laquelle il nous faut conclure notre tour d’amateur.

La vue de Saint-Germain-en-Laye de Nattes
La vue de Saint-Germain-en-Laye de Nattes

Ces quelques œuvres, dans la variété de leurs sujets, styles et techniques, ne constituent qu’un aperçu d’un accrochage qui est lui-même un charmant condensé de ce cet art du XIXe siècle naissant, que la galerie continuera d’explorer quand, dans une quinzaine de jours, cet ensemble laissera sa place à une sélection de toiles et de dessins romantiques.

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