Le rêve exotique et sauvage de Paul Gauguin

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La Fondation Beyeler retrace en une cinquantaine d’œuvres l’odyssée picturale de l’artiste, des tableaux visionnaires et spirituels bretons aux paysages idylliques polynésiens. « Je vais aller à Tahiti et j’espère y finir mon existence. Je juge que mon art que vous aimez n’est qu’un germe et j’espère là-bas le cultiver pour moi-même à l’état de primitif et sauvage. » Lorsque, sur le point de quitter l’Hexagone, il écrit à Odilon Redon, Paul Gauguin a déjà l’expérience du voyage et de la peinture. Larguer les amarres n'est pas nouveau ni pour l’homme ni pour l’artiste. Tour à tour marin (il navigue un an autour du monde en 1866) puis agent de change à la Bourse de Paris, Gauguin profite de son temps libre pour peindre et dessiner. Davantage passionné par l’art que par le milieu de la finance, il parvient à concilier les deux domaines, participant à la 4e exposition impressionniste, en 1879, tout en spéculant en bourse avec succès. Les étés passés à peindre avec Camille Pissarro à Pontoise, au début des années 1880, la rencontre avec Paul Cézanne, l’achat de trois paysages par le marchand Durand-Ruel en 1881, enfin le krach boursier de janvier 1882, ne font qu’accroître son ambition de faire de la peinture sa profession. Bien que limité dans sa liberté artistique par une situation financière de plus en plus précaire, Gauguin n’en conçoit pas moins une passion sans cesse croissante pour les questions de style et de théorie. Poussé par son épouse danoise, Mette, à s’installer à Copenhague, l’artiste continue...

La Fondation Beyeler retrace en une cinquantaine d’œuvres l’odyssée picturale de l’artiste, des tableaux visionnaires et spirituels bretons aux paysages idylliques polynésiens.

« Je vais aller à Tahiti et j’espère y finir mon existence. Je juge que mon art que vous aimez n’est qu’un germe et j’espère là-bas le cultiver pour moi-même à l’état de primitif et sauvage. » Lorsque, sur le point de quitter l’Hexagone, il écrit à Odilon Redon, Paul Gauguin a déjà l’expérience du voyage et de la peinture. Larguer les amarres n’est pas nouveau ni pour l’homme ni pour l’artiste.

Tour à tour marin (il navigue un an autour du monde en 1866) puis agent de change à la Bourse de Paris, Gauguin profite de son temps libre pour peindre et dessiner. Davantage passionné par l’art que par le milieu de la finance, il parvient à concilier les deux domaines, participant à la 4exposition impressionniste, en 1879, tout en spéculant en bourse avec succès. Les étés passés à peindre avec Camille Pissarro à Pontoise, au début des années 1880, la rencontre avec Paul Cézanne, l’achat de trois paysages par le marchand Durand-Ruel en 1881, enfin le krach boursier de janvier 1882, ne font qu’accroître son ambition de faire de la peinture sa profession.

Bien que limité dans sa liberté artistique par une situation financière de plus en plus précaire, Gauguin n’en conçoit pas moins une passion sans cesse croissante pour les questions de style et de théorie. Poussé par son épouse danoise, Mette, à s’installer à Copenhague, l’artiste continue à formuler une nouvelle théorie sur l’art tout en travaillant  pour une entreprise de toiles de bâche. Dans une lettre  à son ami le peintre Émile Schuffenecker en janvier 1885, il exprime son désaccord avec le dogme impressionniste fondé sur la représentation fidèle des sensations physiques et explique la nécessité pour les artistes de rechercher les « vérités invisibles », ces « accords de ligne dont on ne se rend pas compte car c’est la partie la plus intime de l’âme qui se retrouve toute voilée. » C’est dorénavant sur le symbolisme abstrait des couleurs et des lignes que Gauguin spécule. Ne caressant plus l’espoir d’être compris par les Danois conservateurs – « Chaque jour, je me demande s’il ne faut pas aller au grenier me mettre une corde autour du cou » écrit-il à Pissarro – le peintre s’enfuit du Danemark, retourne à Paris, troque une vie de misère contre une autre assez semblable. Le seul grand espoir qui lui reste : être remarqué à la prochaine exposition impressionniste. Pourtant, n’ayant eu guère le temps de préparer de nouvelles toiles, sa présence sur les cimaises passe alors inaperçue.

« J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif »

Les conditions misérables dans lesquelles vit l’artiste le poussent une nouvelle fois à quitter Paris en juillet 1886. L’exil, cette fois, est breton. La Bretagne, ses paysages pittoresques, ses églises et sa statuaire primitive, sa population et ses traditions paysannes, attirent les voyageurs et les artistes en quête de traditions ancestrales sauvegardées, d’une nature encore vierge des effets pervers de la civilisation moderne. C’est là que Gauguin espère voir se perpétuer une civilisation « primitive »  et ainsi trouver les premières réponses à son besoin vital d’exotisme.

À Pont-Aven, où il s’installe, les habitants avaient appris à poser comme modèle, dans un costume pittoresque, que Gauguin observe avec attention et dont il extrait, comme il le fait pour les paysages, le pur pouvoir décoratif. Par une simplification énergique des formes, une conception japonisante de l’espace, des couleurs posées en aplats, le peintre capte l’essence primitive du motif breton. La Vision après le sermon (1888), œuvre anti-naturaliste et symboliste, est l’image accomplie de cette synthèse.

Pendant ces années clés, l’artiste met en place l’essentiel des moyens plastiques qu’il développera ensuite pleinement à Tahiti. Car bientôt  Gauguin juge la Bretagne trop pleine « de monde étranger abominable », il la quitte et repart à la recherche d’un  primitivisme  toujours plus authentique. Le séjour martiniquais de juin à novembre 1887, qui avait aiguisé chez le peintre cette soif d’ailleurs, constitue la première approche concrète de l’exotisme dont la quête orientera toute la vie. Gauguin traduit sur ses toiles, où la palette apparaît métamorphosée par une puissante ivresse des couleurs, le spectacle fascinant d’un paradis tropical. En Arles, auprès de Vincent Van Gogh, à l’automne 1888, puis de nouveau en Bretagne et à Paris, l’artiste rêve de contrées lointaines. À l’été 1890, Tahiti s’impose enfin comme le lieu idéal, celui de son rêve exotique et sauvage. «  Gauguin est fini  pour ici [la France ], on ne verra plus rien de lui » écrit-il à Odilon Redon.

« Une immense renaissance de l’art qui […] aura les Tropiques pour patrie »

Gauguin s’évade de l’Hexagone à trois reprises, vers Tahiti de 1891 à 1892, puis de 1896 à 1900, avant de rejoindre les Marquises, de 1901 à sa mort en 1903. L’artiste découvre enfin un monde dont il avait anticipé l’existence avant son départ à travers la lecture du Mariage de Loti – récit de l’idylle entre l’auteur, Pierre Loti, et une jeune femme de l’île –  et par la visite du musée de l’Homme et de l’Exposition universelle de  1889. Gauguin a hâte de se retrouver en accord avec lui-même au contact d’indigènes qu’il s’imagine alors non pervertis par la civilisation : « Je pars pour être tranquille, pour être débarrassé de l’influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l’art simple ; pour cela j’ai besoin de me retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie, sans autre préoccupation que de rendre, comme le ferai un enfant, les conceptions de mon cerveau avec l’aide seulement des moyens d’art primitifs, les seuls bons, les seuls vrais », explique-t-il au journaliste Jules Huret.

Si l’île que découvre Gauguin est loin de correspondre à celle dont il a rêvé, le lieu demeure pour lui un enchantement artistique : « Ici, la poésie se dégage toute seule et il suffit de se laisser aller au rêve en peignant pour la suggérer. » À Tahiti, de nouvelles couleurs se révèlent aux yeux de l’artiste, ces roses, rouges et jaunes qu’il s’apprête à saisir avec son pinceau dans l’Autoportrait peint vers 1893. Le peintre libère sa palette, transforme les champs colorés en paysages décoratifs sur lesquels se détachent, cloisonnées par un trait noir, ses figures ambrées à la plastique sculpturale.

Les œuvres de Gauguin sont des hybrides reflétant sa vaste culture, créations originales et audacieuses, inspirées par mille primitivismes, des sculptures du temple de Borobudur aux bas-reliefs khmers et à la statuaire égyptienne, et comme hantées par le fantôme des œuvres de Cranach, Rembrandt, Puvis de Chavannes ou encore Manet. Gauguin le peintre « sauvage » abolit toutes frontières et hiérarchies dans ses peintures et ses sculptures, comme il le fera dans la « Maison du jouir », sa dernière demeure, véritable œuvre d’art total qu’il construit sur l’île d’Hiva Oa dans les Marquises.

Scènes de la vie quotidienne et illustrations de contes polynésiens, récits mythiques ou mystiques – aussi bien images prémonitoires de la chute de l’homme (D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?) que paysages à la beauté luxuriante (Rupe Rupe) dans lesquels, au contraire, cette chute ne constitue ni une crainte ni une nécessité – traduisent les préoccupations ethnographiques de Gauguin. Pour l’historien d’art René Huyghe, c’est, en plus d’un renouvellement des formes et d’une nouvelle approche de la couleur, par ces « contes barbares et [c]es dieux sauvages » que Gauguin « a été le premier à prendre conscience d’une rupture nécessaire pour que naisse le monde moderne ». La charge mystique, surnaturelle ou symbolique de ces toiles, à la fois inquiétantes et sublimes, ne les rendent que plus mystérieuses.

Nota Bene : Paul Gauguin, Fondation Beyeler, Riehen près Bâle, du 8 février au 28 juin

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