Trois hirondelles nous font le printemps

Trois-hirondelles
André Tubeuf Je n’ai jamais vu dans les disques des objets de consommation. Quand j’ai commencé à m’en payer, ils étaient si chers que j’y regardais à deux fois. Pour une seule écoute, pure curiosité ? Jamais. Mais avec toujours l’idée, le désir d’y revenir ; que ça fasse de l’usage ; que j’y apprenne quelque chose de définitif : les œuvres, d’abord ; puis un détail, un regard neuf sur l’œuvre et, par là même, si je puis dire, la couleur des yeux d’un interprète, ce qui fait que, jouant la même œuvre dans le même esprit, un Kempff et un Lipatti nous en disent pourtant autre chose. Je ne pense pas du tout que nos jeunes interprètes d’aujourd’hui bâclent leurs disques. Pourtant c’est comme s’il était entendu d’avance que leur nouveau disque serait entendu avec plaisir, à peine réécouté, et remplacé dans un an par un autre nouveau. Daniel Barenboim a accrédité l’idée qu’on peut se permettre tout jeune une intégrale des concertos de Mozart ou des sonates de Beethoven puis, dix ans après, une autre qui dit mieux, ou autrement. Mais il était Barenboim, et il n’y en a pas deux. Et il a montré qu’il sait durer, se renouveler, rester Barenboim, et que Beethoven relu reste Beethoven. Qui peut en dire autant aujourd’hui ? On a l’œil depuis longtemps sur Adam Laloum, pianiste discret, qui semble suivre son chemin solitaire, à l’écart des circuits publics, voyants, bruyants. Son Brahms était, pour un si jeune homme, sobre et profond,...
André Tubeuf
André Tubeuf

Je n’ai jamais vu dans les disques des objets de consommation. Quand j’ai commencé à m’en payer, ils étaient si chers que j’y regardais à deux fois. Pour une seule écoute, pure curiosité ? Jamais. Mais avec toujours l’idée, le désir d’y revenir ; que ça fasse de l’usage ; que j’y apprenne quelque chose de définitif : les œuvres, d’abord ; puis un détail, un regard neuf sur l’œuvre et, par là même, si je puis dire, la couleur des yeux d’un interprète, ce qui fait que, jouant la même œuvre dans le même esprit, un Kempff et un Lipatti nous en disent pourtant autre chose.

Je ne pense pas du tout que nos jeunes interprètes d’aujourd’hui bâclent leurs disques. Pourtant c’est comme s’il était entendu d’avance que leur nouveau disque serait entendu avec plaisir, à peine réécouté, et remplacé dans un an par un autre nouveau. Daniel Barenboim a accrédité l’idée qu’on peut se permettre tout jeune une intégrale des concertos de Mozart ou des sonates de Beethoven puis, dix ans après, une autre qui dit mieux, ou autrement. trois_01Mais il était Barenboim, et il n’y en a pas deux. Et il a montré qu’il sait durer, se renouveler, rester Barenboim, et que Beethoven relu reste Beethoven. Qui peut en dire autant aujourd’hui ? On a l’œil depuis longtemps sur Adam Laloum, pianiste discret, qui semble suivre son chemin solitaire, à l’écart des circuits publics, voyants, bruyants. Son Brahms était, pour un si jeune homme, sobre et profond, sans effets, procurant à l’auditeur le sentiment que quelque chose de fatal, d’inévitable, est à l’œuvre : dans le piano de Brahms ; dans sa façon de le jouer. Rien que des Variations, des Klavierstücke, des Intermezzi, mais un ton, qui s’est trouvé, s’ose, s’affirme. Brahms essentiel en peu de mots. Le voici regardant dans les yeux le Schumann de la difficile Sonate en fa dièse, l’Humoresque plus vétilleuse encore (Mirare). De quoi faire oublier dans Schumann Anda, Arrau, Egorov ? Evidemment pas. Mais de quoi être sûr qu’un artiste toujours très jeune suit son chemin en silence, et que dans dix ans il n’aura pas épuisé ce qu’il a à nous dire.

Bertrand Chamayou est bien différent. C’est comme si d’emblée il avait été salué comme le wonder boy du piano français, et ses premiers disques l’ont à chaque fois confirmé. Ils visaient haut : les Schumann importants, sérieux, qui ne s’en tiennent pas à l’humeur, et pour qui les jolis doigts à la française ne suffisent pas. Il n’avait pas peur de Liszt non plus, de son brio, de son exécution transcendante. Et à chaque fois il sautait allègrement l’obstacle.  trois_02Eh bien le voici (Erato) à Schubert, Schubert/Liszt plutôt, ce qui implique à la fois les doigts sophistiqués, « travaillés » pour Liszt (même rhabillant Schubert : Erlkönig, ça déferle !), et le sentiment juste, naïf, essentiellement non travaillé pour Schubert. Formidable Wanderer Fantasie. C’est à une vraie grande sonate de Schubert qu’on l’attend maintenant, une qui demande la longue tranquillité du souffle!

En chant, les repères seraient plus évidents, si le disque ne nous trompait pas sur la taille réelle des voix, leur capacité de pénétration en direct, leur portée. Un très juste triomphe a été fait à la très jeune Sabine Devieilhe qui, en plus, est svelte, ravissante : très légitimement la révélation de l’année. Mais qu’a à nous apprendre un disque Rameau comme le sien ? La finesse de l’exécution, le style aussi : mais soit bouffe soit noble, c’est toujours le style Rameau. Des joliesses d’époque, dont chacune éblouit, mais dont la séquence peut créer, au lieu de variété, monotonie. On vient de l’applaudir à l’Opéra Comique en délire, dans Lakmé : et constaté une sensibilité exquise à l’œuvre, une façon idéale d’infuser des teintes, des nuances de sentiment dans la tenue mélodique ; mais tout cela (qui est superbe) dans un son tout petit, dont on ne sait pas ce qu’on saisirait dans une plus grande salle (comme elles sont toutes), et avec un chef et des partenaires ne jouant pas forcément son jeu à elle, mais la bousculant un peu. On lui souhaite de durer, et de s’épanouir en mûrissant, comme un beau fruit. Pour l’instant elle est une belle fleur. Et ça peut faner vite, les fleurs. Respirons-en vite le parfum hélas périssable.

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